Triunfadela, conception et mise en scène de Nelda Castillo
Triunfadela, conception et mise en scène de Nelda Castillo
Le théâtre de cette artiste cubaine, qui a fondé la troupe El Ciervo Encantado, veut être une réflexion sur les rapports entre l’art, l’histoire de son pays, les idées de l’ethnologue Fernando Ortiz, et les questions relatives au colonialisme et aux guerres de libération.
Au festival Mai théâtral XVI de la Havane où étaient des spectacles de neuf pays hispanophones des Amériques, invités par la Casa de las Americas, elle a présenté Triunfadela et Guan melón, tu melón. Triunfadela, travail courageux et original d’un esprit libre, tient d’abord d’une parodie du réalisme socialiste, avec Alfred Jarry et Bertolt Brecht à l’appui.
La metteuse en scène s’est inspirée de documents authentiques comme des discours d’ouvriers lors de meetings où chacun impose son propre effet d’aliénation. Accompagnés de bruits de la rue, marches, hymnes avec musique officielle, ces discours constituent une bande-son hétéroclite qui évoque l’héroïsme des ouvriers. Tout cela passe par un film tourné en 1970 dans les locaux d’une entreprise, où a lieu le spectacle, alors située en face de ce même théâtre de la rue 18 du Vedado.
A l’époque, on y fabriquait des carrosseries de wagons, montées sur des châssis importés d’Union soviétique. Quelqu’un avait filmé les discussions entre les ouvriers et en avait fait ensuite un montage bizarre et chaotique de morceaux de discours, mêlées aux bruits de la rue. Le tout monté par le département-son de l’Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos, créé en 1959, deux mois après le début de la Révolution. Des sous-titres dans un mauvais anglais, vide de sens ont été ajoutés, et le tout finit par tomber dans le ridicule le plus absolu…
Vers la fin du film, on voit arriver sur le plateau, entre deux rangs de spectateurs, une créature ubuesque et monstrueuse, à la gestualité mécanique d’un robot : parallèle surprenant, parfait entre Triunfadela et Ubu. En uniforme militaire, un seau sur la tête en guise de casquette, les yeux grands ouverts comme un hibou qui surveille sa proie, notre Ubu cubain incarne le démagogue-marionnette : deux micros attachés à son ventre, captent un discours prononcé sur fond de grognements, ronflements, hurlements, gargouillements qu’on ne comprend pas vraiment, et qui a été écrit à partir d’articles tirés de quotidiens cubains, comme Granma, ou Juventud Rebelde.
Réaction du public intéressante: de plus en plus hypnotisé par cette figure grotesque, bête et méchante, il semblait ne plus savoir, s’il fallait rire ou se taire. La dramaturgie de Triunfadela, sans structure narrative, participe d’une suite de mots-clefs isolés et attirants par leur sonorité et leur rythmique qui traduisent bien la vision très critique qu’a El Ciervo Encantado, concernant les leaders qui manipulent les foules.
La troupe a su créer ici une forme de théâtre politique fascinant, très efficace, avec un art de dire l’essentiel. Cette nouvelle poétique de l’ambiguïté induit un type de spectacle, à la fois inquiétant et divertissant, où on peut faire très vite passer un message…
Alvina Ruprecht
Festival Mayo Teatral XVI, Theatro El Ciervo Encantado, Calle 18 Vedado, Habana, Cuba.