Je t’écris mon amour d’Emmanuel Darley
Je t’écris mon amour d’Emmanuel Darley
Un homme, une femme. Ils se connaissent, il vient parfois dans sa ville à elle, pour son travail. Ils se rencontrent, passent un peu de temps ensemble, chez elle, auprès de son mari et de ses enfants. Puis, chacun reprend sa vie, mais ils restent en contact grâce aux technologies d’écritures à distance : textos, réseaux sociaux…
Leurs échanges, amicaux, n’empiètent pas sur la vie de l’autre mais peu à peu, se font plus réguliers, et ces êtres pourtant éloignés, se rapprochent. «Je crois que je t’aime bien, lui dit-elle. »
Lentement mais sûrement, leur relation glisse vers l’amour, sans jamais se concrétiser par un face-à-face qu’ils appellent pourtant de leurs vœux. Leur correspondance prend un tour plus tendre, jusqu’à devenir érotique : ils font l’amour par écrit et ne peuvent plus se passer l’un de l’autre.
Au fil des épisodes de ce récit fragmenté, nous voyons naître une relation, tout en sachant qu’elle aura une fin, heureuse ou malheureuse, quand ils se reverront. L’écriture ciselée et précise d’Emmanuel Darley, auteur du Mardi à Monoprix et du Bonheur, disparu en janvier dernier, s’inscrit dans le dialogue. Avec une économie de mots et de tournures, la pièce obéit à une double dynamique : elle dit l’amour en termes concrets, avec la rapidité propre à la correspondance électronique, anti-littéraire et instantanée par essence. Et elle transcende cette aventure, somme toute banale, en faisant appel à l’imaginaire. Emmanuel Darley va au plus juste et nous mène au-delà des contours concrets de cette relation.
Céline Bodis et Jean de Pange resteront assis côte à côte, derrière un grand bureau, à l’exception de quelques déplacements à l’avant-scène. Ils apportent, avec une justesse de ton, ce qu’il faut de légèreté, voire d’humour, pour permettre au spectateur de souffler.
Mention spéciale à Jean de Pange qui signe aussi la mise en scène : il incarne un homme un peu emprunté jusque dans son corps, ultra-sensible, mais dans lequel on peut facilement se reconnaître. Sur un écran en fond de scène s’inscrivent les têtes de chapitre et on craint un moment que la vidéo n’occupe une place trop marquée. Mais, comme le veut la pièce, cet écran s’impose comme le transmetteur de leurs émotions et aussi comme une frontière entre eux. S’y impriment leurs messages, parfois avec la fébrilité de leurs doigts sur le clavier.
Cette histoire part du banal, pour arriver à l’universel et pose la question de la construction de l’amour à travers les mécanismes du langage. On se demande tout au long de la pièce, s’ils s’aiment vraiment, si leur passion virtuelle et clandestine survivra à l’épreuve du réel et du quotidien. La mise en scène, sobre, respecte la finesse d’écriture d’Emmanuel Darley qui, encore une fois, aura touché juste, au plus près des sentiments humains et de son époque qu’il aura traversée trop vite…
Julien Barsan.
Spectacle vu à l’Étoile du Nord dans le cadre d’On n’arrête pas le théâtre.
Les 10 et 11 janvier à Scènes-Vosges à Épinal, et le 3 février à Vivier-au-Cour