Revolt. She said. Revolt again

Festival d’Avignon:

 

Revolt. She said. Revolt again,  d’Alice Birch, traduction de Sarah Vermande, mise en scène d’Arnaud Anckaert

 revolt_grdDans la patinoire d’Avignon, un espace clos et nu aux murs jaunes, juste quelques gradins. Un lieu esthétiquement très simple, conçu pour la représentation de la pièce. En fond de scène, des chaises, une table, des costumes, quelques objets disparates, et côté cour : une batterie et quelques instruments.
Et suspendue, omniprésente : une enseigne lumineuse, rouge et noire où, à chaque changement de séquences, apparaissent en clignotant, des slogans : «Révolutionnez le langage », « Ne vous mariez pas » etc…
Ce maître-mot: révolutionnez, reviendra à plusieurs reprises, scander le rythme des fragments dramatiques de ce spectacle musical qui à la fois drôle et féroce, attire  notre attention  sur les femmes et les hommes de la société occidentale du XXIème siècle qui vivent  dans un monde globalisé.

Avec une dramaturgie parfois déconcertante et une écriture non narrative, cette auteure britannique de vingt-neuf ans crée un univers vrai, sans concession, et d’une grande théâtralité. Le public ressent ici, à travers les situations existentielles (professionnelles, sentimentales, sexuelles…) une étonnante complicité avec les personnages. Arnaud Anckaert a imaginé une mise en scène sobre, et sans aucun effet sophistiqué, et il réussit à faire  exploser malaises retenus, désirs frustrés, violences intimes, et inégalités, déguisées mais quotidiennes, de ces personnages. «Les comédiens sont véritablement au centre de la représentation. Des hommes sont amenés à jouer le rôle des femmes, des femmes changent de rôle, rien de sage; j’ai voulu  respecter l’écriture d’Alice Birch. »

Jeu sensible, convaincant de Mounya Boudiaf, Antoine Lemaire et Pauline Jambert,  soutenu par la musique de Benjamin Collier.  Ce  théâtre ne cherche pas à faire illusion  et le public touché par cette langue, juste, parfois très crue, jamais vulgaire,  rit aussi ! C’est une des forces de cette pièce.
«Que montrer des rapports hommes/femmes ? Que faire ? Que révolutionner ? Dans un monde globalisé ? ». Nous sommes invités, malgré tout, à ne pas suivre le mollusque, grand manitou de la société de consommation et du simulacre. Et à continuer de pouvoir rêver, créer, entreprendre en toute liberté….

 Elisabeth Naud

La Manufacture (Patinoire) du 6 au 24 juillet. Rencontres théâtrales Charles Dullin le 24 novembre au Théâtre de Rungis.


Archive pour juillet, 2016

La Dispute

 

Paris Quartier d’Été:

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

3-la-dispute-225x225Jacques Vincey connaît bien les six jeunes apprentis-comédiens qu’il a formés, et à qui il donne leurs premiers rôles.« Avec eux, je ne fais pas un spectacle sur le temps, mais dans le temps (…) j’avais envie de monter non pas La Dispute, mais une Dispute avec eux (…) La Dispute ausculte impitoyablement ce fameux passage de l’enfance à l’âge adulte au cours duquel l’infini des possibles se resserre en un faisceau de comportements induits, plus ou moins consciemment, par le monde dans lequel il faut vivre.
Avec le sérieux et la légèreté des enfants quand ils jouent, les comédiens nous entraîneront dans une fête des sens, lumineuse et cruelle. ».

Nous sommes enfermés deux par deux dans de petites cabines aux miroirs sans tain,  avec des écouteurs, autour d’une piste circulaire où nous allons assister aux premiers émois amoureux de ces jeunes couples privés de tout contact humain depuis leur naissance. Seule présence humaine: deux serviteurs noirs qui les ont servis depuis  toujours…
Le Prince et son amie ont décidé de leur faire rencontrer l’autre sexe qu’ils découvrent avec ravissement, jurant de ne s’en jamais lasser. Mais rapidement, ils se séparent munis d’une tablette avec la photo de leur bien-aimé, puis se disputent au moment des retrouvailles. Séparés, ils rencontrent  un inconnu dont ils s’éprennent tout aussi vite que de leur premier amour.
L’inversion des sexes joue un rôle étrange dans le charme auquel se livrent ces amoureux. On a un peu de mal à respirer dans ces petites cabines surtout avec les écouteurs sur les oreilles et dans la chaleur, mais on est séduit par cette mise en scène insolite.
De lointains souvenirs de la mise en scène de Patrice Chéreau, bien différente, nous reviennent en mémoire.

Edith Rappoport

Théâtre 13 Paris jusqu’au 30 juillet à 19 et 21 h, relâche le 27. T: 01 44 94 98 00. Attention: il n’y a que 56 places.

Smashed

 

Smashed par la compagnie Gandini Juggling

 www.quartierdete.com    Il est des pièces où le spectateur ne devrait pas lire les indications portées sur la feuille de salle ; de même, un article doit garder un certain mystère avant la découverte d’une œuvre.

Cette création a été conçue juste après la mort de Pina Bausch, en 2009, en forme d’hommage humoristique à la chorégraphe.
Nous y retrouvons sa ronde rituelle, la tonalité nostalgique des musiques, et les clins d’œil complices aux spectateurs. La troupe, deux femmes et sept hommes, emporte habilement le public en jonglant avec des pommes.

Avec une maîtrise de l’espace parfaite, les tableaux s’enchaînent, accompagnés de quelques allusions à la misogynie ordinaire entre les deux femmes et leurs partenaires mâles. Après quarante-cinq minutes, la représentation (en une heure) devient plus explosive et surprenante. Le jonglage, se déstructure, sans atteindre la folie gestuelle des sketches des Monty Python et intervient de façon gratuite, sans être amené par l’objet lui-même, alors que l’on observe quelques ratages voulus dans les séquences précédentes.

Fondée par un jongleur, fils d’une Irlandaise et d’un Italien, et par une ancienne championne de gymnastique rythmique finlandaise, cette troupe sympathique aurait pu approfondir sa lecture de la pièce. Mais elle se contente d’un spectacle léger,  à découvrir dans la magnifique cour intérieure du Centre culturel irlandais.

Jean Couturier

Paris Quartier d’Eté, au Centre culturel irlandais jusqu’au 29 juillet à 20h.

www.quartierdete.com

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Babel 7.16 chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jale

Festival d’Avignon:

Babel 7.16 chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet,(en anglais surtitré en français)

 © Christophe Raynaud de LageAprès, dans la carrière de Boulbon, Puz/zle en 2012 (voir Le Théâtre du Blog), le chorégraphe belge, ancien interprète du Ballet C de la B, aidé du danseur et chorégraphe Damien Jalet, son partenaire sur de nombreux projets, occupe maintenant la Cour d’honneur.
 Recréation d’une pièce conçue en 2010, cette œuvre célèbre  la coexistence : «Chaque artiste de Babel a une double identité, une culture duale», disent-ils. Associant musiques d’Italie, du Rajasthan ou du Japon, dix-sept  interprètes d’origine et de langues différentes, jouent ce spectacle  qui  fait l’objet d’une nouvelle lecture. Pour Damien Jalet : «Chacun vient avec sa langue parlée et chorégraphique car le mythe de Babel parle de la relation entre territoire et langage». Suite aux  événements dramatiques récents, pour Sidi Larbi Cherkaoui dont le parcours artistique est symbole de mixité, «On vit tous aujourd’hui avec la conscience de ces horreurs, la vie est là, il faut travailler avec cela».

La pièce s’est donc construite à partir de ces principes. La  musique offre des moments magiques : depuis le haut du mur du fond  ou l’embrasure d’une fenêtre en ogive, les interprètes se répondent avec une partition d’une grande beauté. Les danses,en particulier, celles en groupe, sont précises, rythmées, très violentes ou très tendres, comme la dernière chorégraphie, où les pieds des danseurs s’entremêlent et se prennent les pieds comme on se prend la main!

  Mais les textes des auteurs, dont Nicole Krauss et Karthika Naïr, peu convaincants, ne facilitent pas le travail des danseurs qui ne sont pas à l’aise, trop caricaturaux, lorsqu’ils déclament. Certains moments  surtitrés, allongent inutilement la pièce qui dure une heure quarante. Cette chorégraphie frustrante manque cruellement de danse, mais évite le recours à la vidéo et à la nudité, les deux fausses bonnes idées de toute création contemporaine actuelle !

Jean Couturier

 Spectacle joué dans la Cour d’honneur du Palais des Papes du 20 au 23 juillet.      

Les Âmes mortes d’après Nicolas Gogol

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 Festival d’Avignon :

Les Âmes mortes d’après Nicolas Gogol, mise en scène  de  Kirill Serebrennikov. (en russe surtitré en français)

Le directeur du Gogol Center à Moscou, dont nous avions vu l’adaptation très réussie des Idiots, l’an dernier (voir Le Théâtre du Blog), s’attache ici à nous rendre compréhensible ce grand classique de la littérature russe, publié en 1842. Au début du XIXème siècle, les « âmes »  représentent les serfs appartenant aux riches propriétaires, et leur nombre qui détermine la valeur foncière des domaines, fait l’objet d’une imposition. Les serfs sont recensés seulement tous les cinq ans par l’administration, mais ceux décédés dans cet intervalle restent dans les registres, et deviennent ainsi des «âmes mortes ».
Dans le roman de Nicolas Gogol, un escroc charmeur, Pavel Tchitchikov, tente d’acheter à bas prix, ou de se faire offrir les titres de propriété de ces âmes mortes, en vue d’une frauduleuse opération immobilière.

La scénographie et les costumes, remarquables, ont été conçus par le metteur en scène: toute l’action se déroule à l’intérieur d’une boîte en bois contreplaqué construite en perspective. Avec, à cour, une fenêtre, obturée par trois cercueils; une porte, au fond, ferme l’espace, et à jardin, hors de cette boîte, un piano droit et son interprète.
La musique d’Alksandr Manotskov  accompagne les différentes scènes, entrecoupées de chansons, à la manière d’un cabaret expressionniste. Comme à l’époque de William Shakespeare, tous les rôles sont tenus par neuf hommes d’une justesse incroyable… Excellente direction d’acteurs  : chaque comédien, même travesti dans des tenues les plus ridicules ce qui accentue le côté farcesque de l’œuvre, ici s’avère exceptionnel, dont l’étonnant Odin Byron dans le rôle de Tchitchikov.  Américain, il a effectué ses études au Théâtre d’Art de Moscou et s’exprime en russe.
 Pour le metteur en scène, Tchitchikov ne peut comprendre réellement l’âme russe. Il rend successivement visite aux notables de la ville, qui se révèlent tous médiocres et cupides.
Dans une scène d’une grande force, Tchitchikov va s’enivrer du contenu de ces âmes achetées, symbolisées par des verres en plastique qu’il remplit de vin.  Mais il finit par être confondu par ceux qu’il a escroqués.

Nicolas Gogol et Kirill Serebrennikov dénoncent les travers d’une société en voie de pourrissement, qu’elle soit russe ou occidentale. A la fin, les comédiens entonnent un chant d’amour pour la terre russe : «Russie que veux-tu de moi !». Ce qui  traduit bien la relation d’attraction et de méfiance de Kirill Serebrennikov envers  sa patrie.

Ce spectacle malgré sa longueur : 2h25, nous incite à continuer de découvrir du vrai théâtre. Nicolas Gogol écrit dans les Ames mortes: «Comment une vie futile et impuissante cède la place à une mort terne et dénuée de sens. Combien stupidement, s’accomplit ce terrible événement. Insensibilité. La mort frappe un monde insensible. D’autant plus frappante cependant, doit apparaître au lecteur l’insensibilité cadavérique de la vie. Les effroyables ténèbres de la vie passent, et un grand secret est caché en cela. La vie effervescente, frivole, n’est-elle pas un phénomène grandiose? … Les bals, les fracs, les commérages, les cartes de visite empêchent de songer à la mort».

Jean Couturier

Spectacle joué à 15h à la FabricA du 20 au 23 juillet.       

Let me change your name

 

Paris-Quartier d’été:

Let me change your name chorégraphie d’Eun-Me Ahn

FullSizeRenderUne fois encore, la chorégraphe coréenne, qui danse aussi dans son spectacle, a enthousiasmé le public de Paris-Quartier d’été. Après une folle semaine coréenne ,  selon Patrice Martinet, celle que nous avions découverte pour l’édition 2014  (voir Le Théâtre du Blog), s’entoure ici de trois danseuses et de quatre danseurs impressionnants par leur liberté de jeu et leur technique.

La musique entraînante de Yonggyu Jang et des costumes de couleurs vives-les artistes évoluent souvent torse nu-habillent un défilé de mode atypique où s’invitent des pas de danse d’une grande beauté. La chorégraphie joue sur la perte de repères entre masculin et féminin: la féminité des hommes est troublante et le regard impérieux des danseuses surprend.

 Malgré certains tableaux un peu longs, pour un spectacle de quatre-vingt minutes, le public semblait impatient de rejoindre, à la fin, la troupe pour danser avec elle sur le plateau. Eun-Me Ahn sait parfaitement utiliser le pouvoir attractif des corps androgynes, et s’expose elle-même de façon touchante quand, torse nu, elle révèle son corps de femme mûre. L’énergie de cette artiste et de sa compagnie est toujours la bienvenue dans notre été parisien.

Jean Couturier

Paris-Quartier d’Été les 22 et 24 juillet au Carreau du Temple. www.quartierdete.com  

 

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La Tête des porcs contre l’enclos

 

Festival d’Avignon :

La Tête des porcs contre l’enclos, pièce chorégraphique et texte de Marine Mane

Crédit : C. Ablain Légende :

Crédit : C. Ablain

Depuis plusieurs années, avec sa compagnie In Vitro, Marine Mane explore dans ses mises en scène les traces intimes qui dessinent les parcours individuels et collectifs. Avec un théâtre du corps, où la danse occupe une place prépondérante, accompagnée par des dispositifs sensoriels, visuels  et sonores, cette création (2015) est proche d’un spectacle total.
 Il s’agit de cartographier la mémoire d’une enfant blessée. Non pas de raconter un traumatisme mais d’en parcourir les traces : mémoire du corps, empreinte sensorielle,  avec un travail en direct sur le plateau, restituant impressions, images et émotions.

Une voix off dit à quel point les mots peinent à exprimer les affects liés au traumatisme. Le corps est le meilleur vecteur de ce souvenir. Traversant  avec violence la chambre, le lit, la salle de bains, le salon, l’extérieur (chaque lieu, siège d’un impact), les danseurs dansent ce heurt contre les parois, les meubles, et le choc d’un corps-à-corps forcé n’en reste pas moins une recherche d’amour et du contact physique qui l’accompagne. Dans une chorégraphie de l’éternel retour, les corps entrent dans un combat avec la matière.

L’accès au verbe est défendu à l’enfant, parce qu’elle a subi la violence dans le langage de l’amour.  Sa conscience reste captive de ce paradoxe et la femme adulte n’en finit pas de revivre ce choc. Elle continue à vivre l’enfermement dans la maison : les murs symbolisent le cercle familial dont elle est prisonnière. Tout refait surface «comme un mur qu’on se prend tout le temps dans la figure » dit Marine Mane. Cette tentative de libération passe par une sollicitation de toutes les émotions et leur traduction en langage plastique et sensuel : images, sons, corps en mouvement. Sublimation !

De la blessure intime infligée à l’enfant, reste un chaos émotionnel et affectif : le foyer censé la protéger a été le lieu d’une agression. Et sa mémoire corporelle et mentale porte la trace de ce chaos. Toute la scénographie tente de restituer cet effet de puzzle disloqué, et ce spectacle total délivre quelque chose de cette émotion indicible.

Marine Mane prépare un nouveau spectacle pour 2017,  A mon corps défendant. Sans commentaire ! On lui fait confiance pour exprimer ce à quoi nombre d’autres se sont en vain efforcés.  

Michèle Bigot

 Caserne des Pompiers, jusqu’au 26 juillet.

Paris Quartier d’Été Framed (Encadrés)

Paris Quartier d’Été

 

Framed (Encadrés) chorégraphie de Johanne Saunier et Ines Cleas, textes de Martin Crimp et Georges Aperghis

 

Avec leur « Ballets confidentiels », fondframed-3é en 2012, les deux chorégraphes belges aiment mettre la danse partout et, à la demande du festival, investissent cet été plusieurs lieux parisiens pour des performances insolites. Dans la cour de la bibliothèque historique de le Ville de Paris, elles se sont adjoint Richard Dubelski pour quarante minutes de variations sur le thème de la surveillance.

 

Partout des caméras nous épient, des vigiles nous fouillent, des portiques nous scannent… Nos images peuplent les écrans… Tous réputés coupables, nous sommes pris au piège d’un œil géant et omniprésent. Encadrer quelqu’un, en anglais, to frame someone, signifie rassembler des preuves contre lui. Jouant sur les mots, les interprètes manipulent des cadres de couleurs et de tailles différentes pour suggérer, selon le modèle, des plans larges ou serrés sur le corps de leurs partenaires : un main, un tête, un sein, une hanche, se découpent : corps-objets fragmentés dans les viseurs de Big Brother.

 On retrouve la rigueur des gestes de Johanne Saunier, acquise auprès d’ Anna Teresa de Keersmaeker et un sens de la mise en scène hérité de sa collaboration avec des artistes comme Guy Cassiers, George Aperghis, Ictus Ensemble, Luc Bondy. Ine Claes, elle, intéressée par les rapports entre mouvement, voix et arts visuels, apporte son talent de chanteuse aux textes qui, dans la pièce, reproduisent les méandres des discours intérieurs des personnages. Les chorégraphes ont réuni des extraits de La République du Bonheur de Martin Crimp, morcelés par des phrasés suivant les mouvements et répétés en vo et vf ; à l’instar du parlé-chanté haché des compositions textuelles de Georges Aperghis qu’elles ont choisies.

Malgré la gravité du propos, on reste dans la légèreté. Pas de discours paranoïaque : l’humour est au rendez-vous dans cette performance élégante et drôle, où mots et gestes se marient agréablement, réglés au millimètre. Une composition savante d’une grande finesse. Des éclairages auraient peut-être souligné davantage les images subtiles qui naissent derrière ces cadres multiples : à la lumière naturelle, elles semblent se diluer…

 

Mireille Davidovici

 

On retrouvera les Ballets Confidentiels le 30 juillet à Villetaneuse Plage

le 4 août au jardin des Tuileries et les 5 et 6 août au square des Amandiers (75020)

 

La compagnie propose aussi Pop up dans la ville : du jeudi au vendredi, des impromptus chorégraphiques dans plusieurs arrondissements de Paris : renseignements sur le site du festival.

T. 01 44 94 98 02 www.quartierdete.com

 

Les Sonnets de Shakespeare

Les Sonnets 7©Jean-Pierre Estournet copie

Les Sonnets de Shakespeare, mise en scène de Margarete Biereye et David Johnston

Trente-sixième édition du festival du Pont du Bonhomme, via la compagnie de l’Embarcadère depuis plus de vingt ans, avec pour toile de fond vivante, le magnifique cimetière à bateaux de Kerhervy à Lanester, éclairé par une lune de juillet, fière de sa rondeur, qui fait surgir à marée basse de belles carcasses éventrées, des figures de proue somptueuses, des navires élégants soulignés par l’élan gracieux de côtes de bois gigantesques mises à nu-fausses baleines et traces de merveilles enfantines ancrées dans l’imaginaire. Mais, cette année, le festival voit avec tristesse ses subsides coupés par la ville de Lanester…

La fête continue quand même, avec, entre autres, la compagnie allemande de théâtre itinérant Ton und Kirschen Wandertheater, tréteaux de bois, manteau d’arlequin de bric et de broc qui s’effondre volontairement à la fin du spectacle, chaises renversées, bottes vides et malicieuses d’homme invisible qui marchent sur le plateau – le fil de l’existence et du temps va de l’avant, sans pause ni répit.

Le spectacle convivial répond à une joyeuse esthétique du théâtre en plein air, cirque, acrobaties, courses, mimes, chants, théâtre de marionnettes et poésie. Et les Sonnets (1564-1616) de William Shakespeare portent les couleurs de l’autobiographie poétique : l’amour, le beau, la politique et la brièveté de la vie.  Et l’impuissance du langage à dire le vrai (on pense au « words, words, words » d’Hamlet. Le beau, le bon et le vrai sont en effet loin d’être associés dans la vie, quand les sentiments sont pris entre les aspirations de l’idéal, et le chaos du désir physique.

La relation amoureuse concerne d’abord un jeune homme «blond» ou «beau» puis une «dame brune», et décrit les mouvements classiques du bonheur réciproque jusqu’à la rupture.
 Le poète célèbre la beauté de l’amant et son attachement : goût du bonheur de l’amour partagé avant le désespoir du doute. Après les retrouvailles, celui qui aime abandonne l’aimé au temps qui passe et qui l’emporte vers la tombe.

Il revient au poète de dissocier apparence et essence, en ajustant mieux le regard ; la duplicité et l’hypocrisie du jouvenceau brisent l’union, et privilégie la confusion et le mensonge. La «Dame brune» est en échange plus claire dans son noir obscur.  » Oh ! ne dis jamais que mon cœur t’a trahi, bien que l’absence ait semblé modérer ma flamme ! Je ne puis pas plus facilement me séparer de moi-même que de mon âme, qui vit dans ton sein. Car je tiens pour néant, ce vaste univers, hormis toi, ma rose ; en lui, tu es tout pour moi. »

Le couple des metteurs en scène, la rousse et rayonnante Margarete Biereye qui chante à merveille, et David Johnston, poète, et lui aussi chanteur et musicien, ressemblent aux amoureux de Peynet, toujours aimants et mélancoliques, attentifs l’un à l’autre. Cette mise en scène poétique des Sonnets de William Shakespeare commence par l’entrée sur le plateau de bois, d’un homme jeune aux cheveux noirs (Nelson Leon) qui s’agenouille, baissant la tête, tandis qu’une femme, figure du Temps, verse paisiblement un long fil de sable fin de sa cruche : le jeune est devenu vieillard…

Une jeune fille vive en tutu romantique a le buste transpercé par une flèche qui l’ensanglante,  celle de Cupidon et de sa cruelle arme de bois, qui l’assaillent de douleur. La victime n’en danse pas moins sa ronde, tel un ange gracieux descendu du ciel. Une autre scène fait apparaître Cupidon en chair et en os, marionnette facétieuse à tige qui poursuit tous les êtres présents. Un aquarium dispensateur de bulles surgit sur la scène, avec un masque noir à l’intérieur au lieu des poissons attendus, à la voix d’outre-tombe…

Ce spectacle festif participe d’un divertissement ordonnancé qui mêle déclamation poétique, gestuelle acrobatique, danse chorale et  musique : swing, jazz, country, folk, fado, tango, classique… Les instruments à vent et à cordes sont au rendez-vous,  et chacun y va de sa propre langue (allemand, anglais, espagnol, russe et français). Avec des compositions musicales  assurées par David et Steve Johnston.

La première figure féminine de la jeunesse (Polina Borissova) réapparaît en habit de ville contemporain, poursuivie par trois hommes qui la harcèlent, l’approchent et l’étouffent, mais la belle s’en va et fuit, sûre de ses propres désirs personnels. Autre image du temps à travers le chœur des quatre âges féminins de la vie: la jeune personne, l’adulte (Daisy Watkins), la femme mature (Margarete Biereye) et la dame au grand âge, figurine articulée et manipulée avec délicatesse par Daisy Watkins et Polina Borissova.

Personne n’est dupe, et la moquerie et l’ironie se font ici la part belle. Deux jeunes gens, des Narcisse en puissance, s’admirent à travers un même miroir en images rieuses. Une femme se traîne bestialement par terre, avec un masque de lion, puis se découvre le visage; en fait, c’est un homme (Richard Henschel), et alors ? : «Temps dévorant, émousse les pattes du lion, et fais dévorer par la terre ses propres couvées ; arrache la dent aiguë de la mâchoire du tigre féroce, et brûle dans son sang le phénix séculaire. »Pour le poète, l’amour vit toujours à l’intérieur du Temps qui passe, de la jeunesse à la vieillesse ; et, en dépit des rides, resurgit toujours le rayon d’un printemps intime.

Un rendez-vous réussi avec une belle poésie shakespearienne incarnée.

 Véronique Hotte

 Festival du Pont du Bonhomme, au Cimetière à bateaux de Kerhervy à Lanester (56), du 17 au 21 juillet.

 

 

 

 

 

 

Tous contre tous

 

Festival d’Avignon :

Tous contre tous d’ Arthur Adamov, mise en scène d’Alain Timar

adamov-lee-hyun-wooUn texte, adapté en coréen, puis traduit en français… Curieuse alchimie. Mais Alain Timar a su actualisé un texte qui, sinon, paraîtrait aujourd’hui, historiquement daté, et d’une facture trop classique, quand nous avons été habitués à des récits polyphoniques, plus denses et bigarrés. La ligne du récit chronologique sent les années cinquante: Arthur Adamov n’a pas vraiment écrit une pièce à thèse, mais le propos politique reste ici très didactique.
  Alain Timar sauve la pièce, et il compense le manque de couleur et de rythme par la dramaturgie. Second mérite : il a actualisé le niveau politique du texte qui raconte les conflits qui opposent, au sein d’un pays indéfinissable, réfugiés et population d’accueil. Et adapté en coréen, et interprété par des Coréens, elle devient très actuelle. Chômage de masse, misère sociale, et hostilité envers les réfugiés intéressent la plus large partie de l’humanité !

Dans ce monde sans pitié, les personnages se déchirent. Amour, jalousie, possessivité et haine fournissent une abondante matière dramaturgique. La scénographie  traduit  bien le trouble identitaire qui habite les personnages que plusieurs acteurs interprètent tour à tour. L’habit fait le moine.
 Et ça fonctionne très bien sur le plateau. Avec une signification symbolique forte : tous, à l’évidence, peuvent retourner leur veste au gré des circonstances. Inconstant, opportuniste et lâche, l’être humain n’est pas présenté ici sous un jour très favorable. Mais on ne choisit pas le contexte politique. C’est lui qui vous choisit !

 La chorégraphie met en valeur l’aspect redoutable des effets de masse, et la rapidité des changements d’opinion. Le chœur musical et vocal se déplace de façon très orchestrée et les percussions donnent une force transcendante aux mouvements de foule.
Alain Timar, qui signe aussi la scénographie, joue de formes aux couleurs sombres qui donnent la vision d’un pays dévasté. La pièce acquiert alors une dimension universelle comme le montrent  l’actualité politique en France .

Michèle Bigot

Théâtre des Halles, jusqu’au 28 juillet.

 

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