Jacques et Mylène

 

Jacques et Mylène de Gabor Rassov, mise en scène de Benoît Lambert

 

260_couverts_jacq_mylene_ndeg1_-_co_26000_couvertsLe théâtre de boulevard, perçu comme un pur divertissement teinté d’érotisme, possède un mécanisme élémentaire qui tient à la traque du plaisir, pimentée de coups de théâtre et de jeux de mots, sans la moindre dimension politique.
Vaudeville, comédie d’intrigue, le genre peut s’approcher parfois aussi du drame psychologique. La recette provoque le rire collectif voire l’émotion collective et le public se laisse conquérir par le côté festif de ce théâtre,  mélange de gratuité et de sérieux.
Or, la société suinte le mensonge et les faux-semblants: le Boulevard rit donc parfois jaune, et la plaisanterie gaillarde fait place au sarcasme. Sous l’angle de la vie privée: relations amoureuses, couple, famille ou problèmes de société au quotidien. Soit « le particulier, à l’usage du plus grand nombre » selon Michel Corvin. Avec un didactisme qui, de l’anecdote, tire une fresque sur l’état de la société, ou livre une leçon de conduite.

Ce vaudeville délirant de la compagnie des 26.000 couverts, tourne du côté de la comédie légère et loufoque, et des Feux de l’amour, soap-opéra américain. Avec une satire du couple, teintée de dérision,  et de comique cruel. Avec aussi un regard sans concession sur Jacques et Mylène : l’homme et la femme deviennent ici des stéréotypes à peine humains, des marionnettes. Ingrid Strelkoff et Philippe Nicolle, absolument justes dans leur folie: mélange d’aveuglement, bêtise et sensibilité débridée.

 La mise en scène, souriante, file la métaphore amusée de la manipulation, et les acteurs ont en mains une sorte de poupée Barbie représentant chacune la figure du couple, et plus largement, le locuteur en général,  et les autres personnages, comme le père ou le beau-père de celui-ci, sa mère, puis l’oncle de la femme, et une démarcheuse commerciale.

 Comme décor, juste un pan de mur, une cloison d’appartement, une sonnette et deux portes pour les comédiens qui jouent tous les personnages, avec ou sans moustache, avec ou sans perruque, mais sans sourire. Dans un jeu de folie pure, de rapidité de disparition/réapparition des figures autres-lieu invisible puis peu à peu plus resserré et révélant, côté spectateurs, la métamorphose et le travestissement en cours.

 La condition de la femme est ici montrée sans ambages, avec le goût âcre d’une soumission aveugle au mâle aimé voix blanche, et comme déshumanisée des épouses et amantes, inoffensives et un peu stupides des feuilletons de série B, films d’horreur et porno. Avec aussi des accents qui simulent un don froid et effréné de soi, et le sentiment presque avoué d’une perdition existentielle.

 Benoît Lambert dit évoquer la parodie d’une parodie, un tour de prestidigitation avec des histoires ludiques d’addictions, adultères, incestes et quête d’identité sexuelle. Bref, un jeu de massacre et une note d’hystérie quand, un verre à la main, les acteurs tiennent leur double miniaturisé dans la leur.

 Véronique Hotte

 Maison des Métallos, Paris du 5 au 9 juillet. T: 01 47 00 25 20

 


Archive pour 6 juillet, 2016

Toute ma vie, j’ai fait des choses que je savais pas faire

Festival d’Avignon :

 Toute ma vie, j’ai fait des choses que je savais pas faire de Rémi de Vos, mise en scène de Christophe Rauck 

IMG_5714-crédit-simon-gosselin-780x520 Première bonne surprise du off:  un monologue, créé en novembre dernier au Théâtre du Nord, que Rémi De Vos, à la demande de Christophe Rauck, son vieux complice, a écrit pour Juliette Plumecocq-Mech, remarquable comédienne de nombreux spectacles du metteur en scène depuis Le Cercle de craie caucasien que nous avions vu au festival de Blaye, il y a … quelques années.
  Rien sur la scène qu’un écran blanc posé sur un sol noir (aucune vidéo, ouf !) pour ce texte de quarante-cinq minutes. On discerne à peine un corps allongé par terre, celui d’une femme habillée d’un pantalon  et blouson noirs. Une victime allongée.
En fait, c’est l’histoire d’un homme qui boit tranquillement une bière dans un bar quand il se fait injurier. Il y a-sinistre-la silhouette de cet homme dessinée comme à la craie d’un gros trait blanc.
  D’une belle voix rauque, Juliette Plumecocq-Mech raconte en termes simples, une histoire somme toute banale, dans le registre de celles de l’auteur mais qui ne peut laisser indifférent : «Ok les gars, écoutez-moi. C’est pas moi qui ai commencé, c’est pas moi qui cherchais les histoires, c’est pas moi qui a dit : toi, tu vas t’en prendre une et ça va pas traîner… » (…) Le type est entré d’un coup, il s’est planté entre moi et la porte, et il a commencé à me dire que les mecs dans mon genre il avait jamais pu les blairer, et que rien ne lui faisait plus plaisir que de leur faire leur fête, et qu’il allait maintenant se faire le très grand plaisir, de me faire complètement regretter d’être entré dans le bar.»
Investissement physique maximum, voix rauque inimitable de l’actrice rendue sans doute plus rauque grâce au micro (pour une fois, c’est justifié,). On ne sait plus très bien homme ou femme, quelle est son identité.
Qu’importe, elle réussit avec panache à faire passer toute une palette de sentiments: peur, orgueil, volonté de se sortir… On comprend petit à petit qu’un homme a été tué dans un bar, et que le meurtrier poursuivi, essaye malgré tout de s’en sortir. La scène finale est d’anthologie; il raconte comment où il a enfoncé un verre dans la gorge de la victime: “La partie du verre avait disparu dans sa gorge et le reste qui se trouvait dans la partie du verre encore visible et le verre est devenu rouge. Presque aussitôt, ce qui m’a moi aussi sidéré car j’ai pensé de façon absurde que j’avais pris un verre de vin et non de bière.”
   On n’oubliera pas cette histoire où la gestuelle compte autant que les mots précis, durs, bien servis par la mise en scène de Christophe Rauck,  et seulement accompagnés de  brefs extraits de Sonates de Beethoven.
  Un seul regret: au début , on ne voit pas bien l’actrice, trop près du public, et comme la scène est peu profonde, impossible de faire autrement. C’est l’inconvénient des petites formes destinées à être jouées partout. Donc, placez-vous au premier ou deuxième rang pour voir ce solo qui est, cette année encore une des formes les plus répandues du festival. Mais celui-ci tranche nettement par ses qualité d’écriture et d’interprétation.

Philippe du Vignal

La Manufacture, 2, rue des Ecoles, Avignon, tous les jours à 13h30, relâche les lundi 11 et 18 , jusqu’au 24 juillet.
Et le 17 septembre,  au Nest Théâtre, Centre dramatique national de Thionville-Lorraine. Le 8 novembre, Le Manège, scène nationale de Maubeuge (à la gare numérique de Jeumont).

Les 28 et 29 avril 2017, Festival Coup de théâtre, Mirecourt. Le 20 mai 2017, Théâtre Ducourneau, scène conventionnée, Agen, et du 7 au 24 juin 2017, Théâtre du Nord, Lille.

Les pièces de Rémi de Vos sont publiées aux éditions Acte-Sud.

 

 

Erzuli Dahomey, déesse de l’amour

Erzuli Dahomey, déesse de l’amour de Jean-René Lemoine, mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

 

Inspi Erzuli (rivage)Le Prix du Théâtre 13 a pour vocation de faire découvrir des créations de jeunes metteurs en scène.  Pour cette neuvième édition: six projets et trois lauréats. Prix du jury: Nelson-Rafaell Madel pour Erzuli Dahomey, déesse de l’Amour de Jean-René Lemoine; mention spéciale à Marie-Line Vergnaux pour  2h14 de David Paquet  et prix du public : Dorothée Deblaton pour Jeux d’enfants de Robert Marasco.

Cet auteur, comédien et metteur en scène haïtien a reçu le prix S.A.C.D. 2009 de dramaturgie de langue française pour cette pièce dont l’action se déroule au sein d’une famille à Villeneuve, petite ville de la province française.Victoire Maison, la cinquantaine, est veuve et mère de jumeaux Sissi et Frantz, seize ans et d’un fils aîné Tristan, donné pour mort dans un crash d’avion.
La bonne, Fanta, une Antillaise, est de service vingt-quatre heures sur vingt quatre, et le Père Denis assure l’éducation des jumeaux. Un fantôme dénommé West erre dans la maison et réveille petit à petit le destin de ses habitants. Félicité, la mère du fantôme, arrive subitement d’Afrique pour réclamer le corps de son fils.

Humour, cruauté, rêves et cauchemars, étrangeté, solitude… L’écriture et la mise en scène ne cessent d’aller et venir d’un monde à l’autre: l’Europe, l’Afrique et d’un espace à l’autre, la famille, l’histoire de l’esclavage. Pour Nelson-Rafaell Madel, la poésie devait avoir une place importante dans sa mise en scène. Elle seule en effet laisse résonner les espaces inarticulés et fugaces enfouis dans l’écriture et elle met en lumière l’intériorité des personnages et leur univers culturel et social. Laissant entendre leurs souffrances et contradictions mais aussi leur joie et leur folie…
Ici, l’Histoire se mêle à l’intime, au point de les faire se heurter violemment. Avec des jeux de lumière, souvent des clairs-obscurs, une musique et  une chorégraphie subtils et  émouvants: nous passons vite du rire aux larmes.

Nelson-Rafaell Madel réussit à marier théâtre et poésie pour tisser des liens entre le merveilleux (la magie Erzuli est un Iwa: une divinité du vaudou) et de graves questions éthiques et politiques toujours d’actualité, comme celles du racisme et de l’esclavage. Un texte à la grande beauté dont on sort avec à l’esprit, ce petit message: «Prends soin de laisser la porte ouverte au dionysiaque et  danse de temps à autre avec eux ! »

Elisabeth Naud

Prix du Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène 2016, jusqu’au 4 juillet. Théâtre 13-Seine 30 rue du Chevaleret, Paris (XIII ème).

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