Et le off d’Avignon?

 Festival d’Avignon:

Et le off ?

 Comme on ne le sait  pas toujours, le fils caché du festival “in” (qui a soixante-dix ans en 2016) fête, lui, ses cinquante étés . Doté d’un conseil d’administration, il a un nouveau président Raymond Yana, et son “village” est situé en plein centre, Ecole Thiers, 1 rue des Ecoles. Il possède une charte signée par les compagnies, édite chaque année un gros-et lourd-catalogue/programme très précis à défaut d’être toujours bien lisible, un services de presse efficace et d’accréditations professionnelles. Il y a rue des Ecoles, des rencontres professionnelles, ateliers, mais aussi un marché bio, et on a supprimé  la clim au profit de brumisateurs, tri sélectif, etc.

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Un obus dans le cœur

Le festival off est devenue une grosse machine, adoubée par la maire d’Avignon, Cécile Helle, par Maurice Chabert, président du conseil départemental du Vaucluse, et a de nombreux partenaires comme l’ADAMI, la SPEDIDAM, etc.
Avec, comme chaque année, plus de 1.200 spectacles de théâtre (dont de très nombreux solos!) mais aussi des spectacles de danse, récitals de chansons, marionnettes, théâtre musical, cirque, magie, théâtre pour enfants, etc. Et où même des acteurs bien connus comme Richard Bohringer, et cette année, Yann Colette, Ariane Asacaride ne craignent pas de s’aventurer. Et où, bien entendu , on peut trouver de tout.

On  nous demande souvent ce qu’il faut voir… Pas facile en effet de se retrouver dans cette avalanche de spectacles… où il y a parfois le meilleur comme, par hasard, ce premier du catalogue! Un Obus dans le cœur de Wouajdi Mouawad avec Julien Bleitrach.  Ce sont aussi souvent des reprises de spectacles que l’équipe du Théâtre du Blog a vus à Paris et qui ont créés cette année, et que l’on peut donc vous recommander. Donc voici une première petite sélection:

 -Iliade, d’après Homère de Pauline Bayle.

-La dernière Idole, à l’Artéphile.

 -Ce qu’on ne peut pas dire de François Joxe, aux Ateliers d’Amphoux.

-Le Cercle des Illusionnistes, au Théâtre des Bêliers.

-Le petit poilu illustré d’Alexandre Letondeur, au Théâtre des Brumes.

-Toute ma vie j’ai fait des choses de Rémi de Voos, à La Manufacture.

- Cela n’arrive pas qu’aux autres de Nicolas Martinez.

- Les dits de l’Ile  de Nassuf Djailani à la Chapelle du Verbe Incarné

Mais nous vous tiendrons informés de la suite. Bon festival comme on dit…`

Philippe du Vignal


Archive pour 8 juillet, 2016

Les Damnés

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FESTIVAL D’AVIGNON

 Les Damnés d’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli, mise en scène d’Ivo van Hove.

 Spectacle d’ouverture du festival, toujours emblématique, et toujours confié à un metteur en scène d’envergure, cette année à Ivo van Hove qui avait réalisé l’an passé ce fabuleux Vu du Pont d’Artur Miller, suivi d’une reprise de Kings of war d’après Shakespeare, à Chaillot. Sur le grand plateau, une aire de jeu en dalles orange, et, à jardin-vieux procédé déjà entré dans l’histoire du théâtre moderne!-des tables de maquillage où on verra les comédiens se préparer et quatre canapés rectangulaires marron. Côté cour, quelques pupitres pour les saxophonistes, et sur une estrade, six cercueils ouverts.

 Cela commence en 1933 (presque un siècle déjà !) avec des images en noir et blanc historiques et fascinantes projetées sur grand écran, au centre de la scène: l’incendie du Reichstag, puis des gros plans sur les machines-outils fabriquant les pièces détachées indispensables à la poursuite de la guerre, et des chars par dizaines, et à la fin, l’évocation,  à Dachau petite ville bavaroise, du premier camp de concentration.

  Le spectacle est inspiré du scénario écrit  pour le célèbre film de Luchino Visconti Les Damnés qu’ Ivo von Hove n’a  pas cherché à reconstituer (il n’y a pas ici de références ou d’emblèmes nazis, sauf les uniformes noirs impeccablement coupés des S.S. En fait, se raconte ici à un combat sans merci pour le pouvoir à travers l’histoire de la très riche famille Essenbeck qui règne sur la sidérurgie allemande quand les nazis arrivent au pouvoir. (Copie conforme de celle des Krupp vite ralliée à Hitler, et qui va recevoir de fabuleuses  commandes de l’État. Elle employa ainsi 190.000 personnes en 1939, sous la direction dès 1942, d’Alfried Krupp (1907-1967), et membre des SS dès 1931…)
La famille Essenbeck  va faire tuer le vieux baron Joachim, que cette idée de ralliement à Hitler répugne. Intrigues sordides, trahisons, meurtres : on assiste à une sorte de rituel diabolique. Dans un climat politique où une vie humaine ne compte guère et où la cruauté et la perversité sont devenues banales, dans les milieux du pouvoir nazi.
 Mais le tout jeune Martin Von Essenbeck,  fils assez glauque et pédophile de la baronne Sophie von Essenbeck qu’il hait profondément,   possède 51% de l’entreprise familiale,. On va donc assister à la destruction rituelle de cette famille de la grande bourgeoisie: pour commencer, le vieux baron Joachim Von Essenbeck (Didier Sandre), sera exécuté d’une balle dans la tête  par l’un de ses collaborateurs, le sinistre Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne) qui finira lui aussi dans un cercueil avec son amante, la baronne Sophie Von Essenbeck, dénuée de toute pudeur  et grande séductrice (Elsa Lepoivre) .
 Puis dans ce sinistre jeu de massacre, suivront Konstantin Von Essenbeck, qui a manqué totalement de lucidité (Denis Podalydès). Dans cette galerie de personnages, il y a aussi assez clairvoyant mais désespéré, Herbert Thallman (Loïc Corbery). Son épouse juive Elisabeth (Adeline d’Hermy) sera envoyée à Dachau et il  se livrera à la Gestapo pour sauver ses enfants.

 Ces personnages vont s’allonger cérémonieusement dans leur cercueil suivis de six hommes en noir, qui referment le couvercle…Belles images plus que glaçantes.  Mais bon, nous n’avons pas du tout le même enthousiasme que certaines de mes consœurs.  Techniquement, l’ensemble est ici de tout premier ordre : scénographie et lumière de Jan Versweyseld, costumes d’An d’Huys, vidéo de Tal Yarden, musique et concept sonore d’Eric Sleichim.

De là à ce que cela fonctionne sur le plan scénique… “ Tous les objets ont une fonction précise très déterminée: les lits pour les rituels d’inceste, les tables équipée de miroirs pour les rituels de transformation, les cercueils pour les rituels de mort, le praticable d’où les acteurs peuvent voir les autres acteurs accomplir ces rituels” . Si on voit bien le côté « installation” cher à l’art contemporain, pas si sûr que cette aire de jeu orange qui soi-disant évoquerait le feu et cette longues tables à tréteaux soient en adéquation avec le propos visé
Plus encore que dans Kings of war,  la vidéo devient ici envahissante, au épens d’un dialogue déjà assez faible qui n’avait pas besoin de cela. On veut bien que cela produise “un effet loupe, et ”on peut s’approcher extrêmement près”comme comme le dit Jan Versweyveld. Argument un peu facile: à le faire de façon systématique, il y a vite un effet de sur-dose.
Que de procédés usés et revus dont Ivo van Hove semble se délecter ici pour tenter de faire la synthèse entre théâtre et cinéma. D’abord ces basses mugissantes sur scène et dans la salle qu’a lancées il y a quelques années Vincent Macaigne et dont abusent les jeunes metteurs en scène pour signifier un climat tragique et pensant que cela fait moderne! Ivo van Hove pense-t-il ainsi rallier un public jeune qui fait cruellement défaut ici? Ou cette éclairage blanc violent dans la salle pour ponctuer les grands moments du spectacle. On a déjà beaucoup donné ces derniers temps à ce genre de facilités!
  Et côté images, ces nombreuses scènes où on voit très mal les acteurs mais très bien leurs visages démesurément grossis sur le grand écran  (avec leur micro HF comme une horrible pustule sur la joue). Procédé académique apparu il y a une vingtaine d’années  et dont on s’étonne qu’Ivo van Hove, qui sait réaliser des images de toute beauté, l’utilise encore comme s’il ne pouvait faire autrement… Résultat: à moins d’être assis dans les premiers rangs, on ne voit plus que l’écran, et on se croirait presque dans une salle de cinéma: on a connu plus intelligent pour faire aimer un spectacle de théâtre!
On n’échappe pas non plus à une caméra cachée dans le cercueil qui, à chaque fois, filme le visage du mort/non mort en proie à d’affreuses convulsions! Ou encore aux vues en coulisse de la fuite de Sophie dans les escaliers  du Palais des papes, là aussi procédé facile et des plus académiques. Ou aux acteurs nus sur scène. Passons….
Plus convaincantes, à la fin,  ces images floutées en  noir et blanc, voire en négatif, très morbides où Ivo van Hove fait enfin preuve d’une réelle invention. Il aura su diriger les acteurs de la Comédie-Française qui possèdent ici une belle unité de jeu-ce qui n’est pas si fréquent salle Richelieu-et leurs personnages sont tout à fait crédibles, même si les acteurs n’ont pas tellement de grain à moudre sur le plan textuel.
Il y a Denis Podalydès en Konstantin von Essenbeck, chef S. A. Guillaume Gallienne, (Friedrich Bruckmann) et Christophe Montenez, très inquiétant, très noir, ce qui représente un véritable exploit sur un aussi grand plateau, et Elsa Lepoivre, excellente (Sophie von Essenbeck). Et Eric Génovèse froid, en impassible et cynique Von Aschenbach, tout dévoué au nazisme-et cousin de la baronne Sophie- qui tire les fils de cette incroyable histoire.

L’important pour Ivo van Hove est que “le public y croit”. Non désolé, on n’y croit pas sauf juste dans les scènes intimes. En fait, ce flot d’images vidéo/retour du plateau sans cesse diffusées empêche toute véritable connivence avec les comédiens. Exception: à la fin, comment ne pas voir dans une dernière et formidable image, cette fusillade au kalachnikov qui rappelle bien sûr, celle désormais tristement célèbre, du Bataclan à Paris.

Qu’a voulu faire Ivo van Hove? Réaliser une synthèse entre un théâtre épique teinté de brechtisme, et le cinéma? Mais  ici, cela ne fonctionne pas. Reste un impressionnant spectacle-avec une équipe technique importante-et sans doute coûteux-mais souvent sans grand intérêt, voire ennuyeux qui dure plus de deux heures, bourré d’effets sonores comme ces basses sous les sièges du public! et visuels.  Ces Damnés bénéficie de la magie visuelle de la grande Cour, mais qu’en sera-t-il sur le plateau de onze mètres d’ouverture de la salle Richelieu… où, quand même, on pourra enfin distinguer le visage des comédiens, ailleurs que sur un écran-relais.

Alors à voir? Tout le gratin politico-médiatique s’est précipité  pour voir ce spectacle qui, bien en amont, avait été présenté comme l’événement à ne pas manquer,  marquant le retour de la Comédie-Française au festival!  Mais on est loin du compte, et quelle déception!  De toute façon, vous ne pourrez pas le voir en Avignon: c’est bourré. Mais à moins de n’être vraiment pas exigeant, vous ne perdez pas grand chose et cette mise en scène d’Ivo van Hove que l’on a connu mieux inspiré, ne fera pas date. L’erreur de base était sans doute de  reprendre un scénario d’un film-culte pour en faire un spectacle de théâtre: une fausse bonne idée dont Ivo van Hove aurait dû se méfier…
Le public, lucide, ne semblait pas conquis, toussotait souvent, et aux saluts, les rappels n’étaient pas très chaleureux. Rien à voir donc avec la formidable ovation très justifiée qui a accueilli Vu du pont que nous vous recommandons, à sa reprise en automne à l’Odéon…

Philippe du Vignal

Cour d’honneur du Palais des papes, jusqu’au 16 juillet à 22h, sauf le 14 à 23H, relâche le 10. Puis à la Comédie-Française, salle Richelieu, du 24 sept au 13 janvier.

 

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