Tristesses


Festival d’Avignon :

Tristesses, conception, écriture et mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem

 

tristesses_acvandalem_philedeprez4302Tristesse est une petite île, fictivement située au nord du Danemark, dont la pauvreté est due à la faillite irréversible de ses abattoirs, jusque là, principale source économique. À partir de là, l’auteure et metteuse en scène belge, attirée en général par les espaces du Nord et par l’actualité politique de notre petite Europe en particulier, a inventé une fable des plus amusées, et des plus macabres aussi, sur la montée d’un parti populiste-nationaliste d’extrême-droite.

La question de l’emploi et du chômage insulaires, face à la situation plus confortable du continent proche, l’actualité douloureuse et polémique des migrants en mal de résidence et d’emploi , la question enfin du repli sur soi et de la protection désuète de valeurs traditionnelles en voie de disparition, à moins qu’elles ne soient celles du renouveau, mais aussi la foi religieuse et la convivialité de voisinage à retrouver :  tels sont les axes d’une mise en scène ludique.  En fonction d’un théâtre dit populaire, un peu tiré par le bas, qui se réclame des séries en vogue, traduction d’un vivre ici ensemble.

 La scénographie de Ruimtevaaders tient du rêve d’enfant: une sorte de livre d’images  en trois dimensions, avec de petites maisons nordiques en bois, un ciel immense et des revenants au pas silencieux qui se déplacent sur la scène. Anne-Cécile Vandalem nous donne une vision fantastique de personnages entre la vie et la mort, avec deux musiciens sur scène, et la figure de la disparue de l’île, prétendument suicidée, mère de la représentante du parti d’extrême-droite, une jeune louve, en passe de devenir premier ministre national.

 L’heure est aux obsèques de la femme, originaire de l’île, et plutôt originale et subversive,  pendue dans un drapeau norvégien, avec l’apparition de la chanteuse lyrique soprano Françoise Vanhecke. Il fallait avoir du culot ; rien n’est en effet plus scabreux que de vouloir faire entrer le fantastique sur une scène de théâtre mais la mise en scène fait preuve d’une audace réussie. Une caméra filme l’intérieur des différentes maisons, et le spectateur/voyeur saisit les images sur écran, des scènes jouées.
 Les personnages apparaissent ainsi à vue dans la rue, dans un jeu de caché-révélé, de dit et non-dit, de confidences et mensonges intimes : le public saisit ainsi la vie quotidienne d’une communauté rurale à sept personnages : le père et la mère de deux filles énigmatiques, entre vérité et étrangeté ; le pasteur, frère de la mère et son épouse qui a travaillé aux abattoirs, et enfin l’ex-mari nationaliste de la défunte opposée à ces vues politiques réactionnaires.

 Les acteurs jouent leur partition dans la justesse d’un regard forcément  simplificateur : les bons d’un côté, celui des jeunes filles en fleur, de la morte et de l’ancienne ouvrière des abattoirs, et de l’autre, les méchants : le père caricatural, tyrannique et comique, au comportement trivial d’un machisme révolu ; son épouse manipulée et secrète enfin, et le pasteur au double jeu.  Cette vision facétieuse, malgré ses approches réductrices et faciles, un peu à l’emporte-pièce, n’emporte pas moins l’adhésion : rires et bouleversements émus du public…
  La relation avec le pouvoir interpelle la malicieuse Anne-Cécile Vandalem, avec cette culpabilité, cette honte, frustration et impuissance des peuples, avec aussi les conséquences attendues de la haine et de la désespérance. Cet engagement politique oblige au respect de l’individu dans la société ; une façon légère mais sérieuse d’en parler avec un sourire immédiat, au premier, comme au second degré, pour le plaisir réel du public.

 Véronique Hotte

 Gymnase du lycée Aubanel, jusqu’au 14 juillet.

 


Archive pour 10 juillet, 2016

Lenz d’après Michael Reinhold Lenz

160707_rdl_1561Festival d’Avignon :

 Lenz d’après Michael Reinhold Lenz, Georg Büchner et Johan Friedrich Oberlin, adaptation et mise en scène de Cornelia Rainer

 Les tourments d’un écrivain-de tout homme, qu’il soit à l’orée de sa jeunesse ou dans sa maturité- et aux prises avec ses questionnements existentiels: telle est la posture attirante, mystérieuse  et inépuisable, que porte à la scène la jeune et sagace conceptrice autrichienne Cornelia Rainer, femme de théâtre et de musique, versée dans les épanchements de l’âme et l’engagement du citoyen dans la société de la fin du XIXème et  le début du XXIème siècle.
Il s’agit ici  du poète et dramaturge Michael Reinhold Lenz, figure énigmatique d’une intériorité à la fois pleine d’ombre et de lumière, qui passionne en 1835, Georg Büchner, homme de lettres ténébreux, exilé à Strasbourg.Le jeune poète fera en 1777 au Ban de la Roche dans les Vosges, un séjour chez le pasteur Oberlin, au sein d’une communauté de fidèles à lui dévoués.

Cornelia Rainer ajoute au récit de Büchner, des extraits de ses pièces et les notes du pasteur Oberlin, réalisant le portrait d’un homme infiniment vivant, se tenant sur la brèche au-delà du vide, privilégiant l’expression d’un état d’urgence intérieur. Sur l’arête de cet abîme : reliefs et précipices montagneux, les Vosges pour Michael Reinhold Lenz, le Tyrol pour Cornelia Rainer, ou les Alpes Suisses pour la compagnie  Schi-lunsch-naven. Le jeune homme, en quête de lui-même et de légitimité artistique, versera, soit du côté de la foi réparatrice du pasteur, soit du côté de la force libre de l’imaginaire. Salut inventé ou perte de soi, dans le néant du hasard de toute existence.

 Le rêveur d’une utopie sociale de « l’homme européen » n’a guère de talent pour imposer sa vision d’une existence libre, ouverte et partagée avec ses semblables, et il ne trouve, à travers maladresses et caprices d’enfant, que l’incompréhension de son prochain pourtant réceptif aux interrogations initiales. Le jeune homme, philosophe et en proie à la douleur, perd peu à peu l’abri communautaire, pour finalement s’en exclure de  façon irréversible.

 Cornelia Rainer nous entraîne dans un monde disparu : rustique et stable. Et la demeure du pasteur nous livre le paysage intérieur de montagnards partagés entre rudes tâches domestiques quotidiennes et lectures religieuses édifiantes. Tables de bois, bassine d’eau pour la domestique lavant vaisselle et vêtements, linge qui sèche sur le fil, tenue sombre du pasteur et longue jupe de coton pour son épouse. Entre chants religieux et cantates de Bach, la paix tranquille des alpages…

La metteuse en scène met en valeur la beauté rude des détails d’un monde perdu: bois, cordes et fer forgé à la main, dévolu à la méditation et à la sagesse protestantes, que vient bousculer le martèlement sonore et musical des percussions de Julian Sartorius.

 La cloche de chapelle tinte: le musicien met le couvert de la communauté, arpente et glisse, bravant  montées et descentes vertigineuses d’une réplique de bois et d’acier de montagnes imaginaires, symbole mythique des prémisses industriels, dénotant à la fois le labeur ouvrier et le divertissement populaire. Julian Sartorius cogne le bois, le fer et la porcelaine, libérant des notes sèches qui résonnent dans l’effroi d’un monde sans maître où  Lenz, poète et dramaturge, essaye  de trouver sa voie.

 Markus Meyer qui joue ce héros énigmatique répond aux sollicitations musicales, écho intense et grave à l’attente immense que peut véhiculer une telle image de recherche existentielle, entre désir de vivre dans l’instant et refus d’une foi aveugle.  Le comédien est un Lenz immensément humain, parfois violent, espiègle et amusé, livré à des instincts qu’il tente de juguler malgré tout.
Vivre s’expérimente et ne s’apprend pas : remarquable démonstration de comédiens qui dressent des portraits d’époque mais aussi éternels.  Dans un magnifique échange entre passé brut  et présent à vif.

 Véronique Hotte

 Cour du lycée Saint-Joseph, jusqu’au 13 juillet. 

Epître aux jeunes acteurs

Epître aux jeunes acteurs, d’ Olivier Py, mise en scène de Thomas Pouget

 

Epître3En ces temps de ferveur footballistique, où klaxons et vociférations tiennent lieu de langage, il est essentiel d’aller (ré)écouter les mots d’Olivier Py, le poète. Dès 2.000, avec ce vade-mecum adressé aux apprentis-comédiens, il enfourchait un de ses chevaux de bataille favoris: la célébration des pouvoirs de la Parole. Plus tard, ses essais Cultivez votre tempête et Mille et une définitions du théâtre, comme son œuvre dramatique, ne cesseront de réaffirmer les vertus du Verbe contre les dégâts du tout-communiquant.

Sus au désespoir ! La jeune compagnie La Joie Errante (allusion à la joie ardemment célébrée dans Orlando ou l’Impatience) a choisi d’en faire son manifeste. Thomas Pouget se frotte à ce texte exigeant en disciple de l’homme de théâtre dont il a été assistant à la mise en scène et comédien (le dernier survivant du Roi Lear, chantre du rôle du poète contre la barbarie, c’était lui !). Il déploie ici tout le lyrisme et la conviction d’un texte brûlot qui souhaite « montrer l’homme changé et sauvé par la Parole ».

 Et le comédien mouille le maillot, ou plutôt la robe de tragédienne. Sa supplique fardée et perruquée n’hésite pas à offrir les fesses du poète en préambule, pour pouvoir mieux affronter ensuite les figures pessimistes de la modernité : le rabat-joie, le responsable culturel, le policier du désir, le ministre de la Communication… autant de tristes figures qui privilégient la vulgarité, le « symbole qui ne symbolise rien » et répandent des textes qui ne conduisent à aucun autre horizon que l’acte d’achat.

 Y est particulièrement fustigé le football, «qui fait des miracles sans parole, sans promesse ». Sous son masque porcin, le vulgaire se gargarise : « Le sport, c’est vrai, le sport, c’est pur, c’est pas des mots. » Quelle actualité ! Comme elle résonne et trouve sa juste place dans l’écrin de la Maison Européenne de la Poésie. Aussi cette lutte au corps à corps contre ceux qui rapetissent l’humain, fait-elle aussi penser à l’essai/coup de poing de Gilles Châtelet Vivre et penser comme des porcs.

La scénographie-une sobre boîte noire, met en valeur quelques accessoires symboliques (valise,  couronne, crâne, table de maquillage…) et des costumes en noir et blanc signés Pierre-André Weitz. Sans esbroufe, la mise en scène a pour principale qualité de réactiver et de faire parfaitement entendre-très bonne diction-un texte indispensable qui contient en germe, tout le suc des obsessions d’Olivier Py. Avec l’acteur au centre :  ses entrées et sorties, sa voix, ses regards, sa présence… Magnifiquement incarné par Thomas Pouget qui s’y engage avec ferveur et précision. Delia Sepulcre Nativi, qui nous avait subjugué dans La Jeune fille, le diable et le moulin, est plus discrète ici, et endosse tous les rôles d’opposants.

Eloge de la transmission, voici une arme bien affûtée contre le tout médiatique, avec  une joie exigeante à opposer à la liesse trop souvent médiocre et primaire des raouts sportifs : une occasion sublime de rendre « la parole à la parole. »

 Stéphanie Ruffier

Centre européen de la Poésie d’Avignon, tous les soirs, à 22h 30 (relâche le 17). T: 04 90 82 90 66.

 

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Nasha Moskva

Festival d’Avignon : 

 

Nasha Moskva, d’après les trois sœurs de Tchekhov, adaptation, mise en scène et interprétation de Marie Bos, Estelle France et Francesco Italiano

 NASHA_MOSKVA_10__Theo_Boermans-siteSoit trois personnages, Olga, Macha et Irina des Trois sœurs de Tchekhov. Soit trois comédiens qui les interprètent et les rêvent au présent : Sabine, Edith et Bernard. Soit trois fous.  Cette réécriture qui tisse les trames narratives, avec un enchevêtrement de personnages et d’époques, fait songer au film de Stephen Daldy, où on passait subtilement du quotidien de Virginia Woolf en train d’écrire Mrs Dalloway, à celui de Laura en train de le lire, pour découvrir parallèlement celui de Clarissa Vaughn, avatar moderne du personnage du roman.

De même, la proposition de la compagnie Colonel Astral mêle réalité et fiction. Le plateau, irrigué par une veine psychanalytique, est vécu comme chambre d’échos de problématiques récurrentes : anniversaire, mort du père, recherche du sens, sentiment d’absurdité face au monde… Comment trouver sa place au sein d’une famille ? Qu’elle soit fratrie, troupe de théâtre, compagnons d’internement : du pareil au même. En société, « qu’on regarde ici ou là, c’est la merde ». Et, comme le martèle avec désespoir Edith : « On finit toujours par s’enculer (…) On ne saura jamais ce qu’il y a derrière le cul. »
Très russes dans l’âme, beckettiens en diable, les personnages ne cessent de s’interroger sur le rôle du travail : « Je m’ennuie », « Si vous voyez la vie en sombre, c’est que vous ne travaillez pas », « Quel ennui de vivre en ce monde », « Je vais me suicider. » Ad libitum.

  Comme toujours chez Tchekhov, on vieillit, on lutine la folie, et on devient maître en procrastination (ah ! aller, ou pas, à Moscou). Interrogeant l’éventuel titre du spectacle, Check in pour le off , on égratigne au passage velléités et ego des artistes. On tente de réanimer le théâtre, à moins que ça ne soit le sens de la vie. La scénographie pour la pièce de Tchekhov joue habituellement avec l’extérieur. Mais, ici enfermé dans la boîte noire du théâtre des Doms, on se sent plus à l’étroit que jamais. Et le passage de frontières paraît plus difficile encore. Des pendrillons de voilage écru laissent entrevoir le décor des spectacles qui suivront, et alimentent une ambiance oppressante de dispensaire. L’univers reposant sur des miroirs, des vêtements, des sources de lumière, plastiquement cohérent, est très réussi.

 Mais ce tissage complexe, a ses faiblesses, et on se perd parfois dans les niveaux de lecture. L’ennui, comme dans l’histoire, est tapi dans l’ombre, et cette proposition exigeante tient surtout  grâce à l’engagement des acteurs.
Le choix de faire incarner une des  sœurs par un homme en robe surannée crée un petit décalage judicieux. Marie Bos, surtout, est une folle très poignante, avec son timbre de voix, son rire fêlé, ses mèches qu’elle ne cesse de réajuster, et son corps sec d’oiseau blessé qui sont saisissants. On rêve de la voir s’épanouir dans un espace plus ouvert.

 

Stéphanie Ruffier

 

Théâtre des Doms jusqu’au 27 juillet, à 14h30, relâche les 13 et 21. T : 04 90 14 07 99

 

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