Qué haré yo con esta espada ?
Festival d’Avignon :
Qué haré yo con esta espada ? (Aproximación a la ley y al problema de la belleza (Que ferai-je, moi, de cette épée ? Approche de la loi et du problème de la beauté), texte, mise en scène, scénographie et costumes d’Angélica Liddell
Souvenirs, souvenirs: en 2010, Angélica Liddel présentait une sorte de spectacle/performance tout à fait étonnant: La Casa de la Fuerza, pendant plus de quatre heures, avec des images très fortes qui marquèrent tous ceux qui l’ont vu (voir Le Théâtre du Blog).
On retrouve l’artiste espagnole dans ce cloître des Carmes qui l’a plusieurs fois accueillie… L’écrivaine, actrice, et metteuse en scène de toutes ses créations, n’a pas tout réussi, loin de là, mais a toujours su rester aussi exigeante avec elle-même, jusque dans ses ultimes provocations tournant autour de l’érotisme, du sang, et de la mort sur fond de confession parfois très intime. Ce courage exemplaire est au moins une chose qu’on ne lui reprochera pas.
Ici, son dernier spectacle créé à Genève en septembre 2015, tient d’une sorte de voyage entre Paris et Tokyo, avec un référence à L’Enéide à travers des airs de Didon et Enée de Purcell. Sont aussi évoqués deux crimes: d’abord celui du jeune japonais Issei Sagawa qui semble la fasciner. En 81 à Paris, atteint enfant d’une encéphalite, il avait tué sa petite amie néerlandaise à Paris, avant de la couper en morceaux soigneusement gardés au frigo (que nous avions vu par la fenêtre de sa cuisine) et d’en manger une partie. Depuis remis en liberté dans son pays, à 69 ans, il est quand même surveillé par la police. L’autre acte criminel étant le trop célèbre acte de terrorisme du Bataclan à Paris le 13 novembre 2015 avec ses dizaines de morts et ses centaines de blessés.
C’est aussi l’histoire d’une jeune femme qui a une obsession : se tuer et tuer, toujours convaincue que la relation qu’elle a avec le domaine de l’horrible comme avec les cannibales, peut l’amener à provoquer des exécutions en série par sa seule force mentale.
Cela la commence par l’arrivée d’un homme nu (un de plus, un de moins ! c’est une véritable scie du théâtre actuel, voir Ivo van Hove, etc.). Puis, elle entre, magistrale apparition, en robe lamée or, fendue, et s’adresse très longuement au public: elle espère trouver un homme qui enfin la prendra par tous ses orifices, quand sa mère et son père seront morts…
Puis, allongée sur une longue table de dissection en inox, elle nous présente son sexe ouvert. Merci à Gustave Courbet et son Origine du monde, ensuite trois acteurs japonais jettent pendant de (trop) longues minutes, des poulpes sur le visage et le sexe des jeunes actrices, ce qui fait sortir quelques spectateurs dégoûtés! En tout cas, pour montrer la décomposition finale du corps animal donc humain, impossible de faire plus juste.
Pourquoi pas, après tout, on en a vu d’autres sur les scènes. Mais l’odeur dans les premiers rangs est assez insupportable et restera imprégnée sur le sol de la scène, jusqu’à la fin du spectacle… C’est pour elle, si on a bien compris, en regardant ces grande jeunes filles nues, aux longs cheveux blonds mais au sexe sexe rasé ( cela fait une moyenne), se saisir de ces poulpes et s’en fouetter violemment, une possibilité enfin de d’arriver à une certaine connaissance de l’être humain. C’est aussi pour elle à travers l’idée de désobéissance et de transgression capitale chez elle, de réfléchir sur le désir profondément enfoui en nous de la disparition d’une être humain, sur le Bien et le Mal et sur la notion de poésie.
Oui, mais, dès le début, même si les images sont souvent d’une grande beauté, on a la nette impression qu’Angélica Liddell commence à épuiser les stocks de son magasin personnel, sur fond de féminisme et de règlement de comptes avec ses parents, en particulier avec sa mère. Bref, on a déjà donné surtout quand on a déjà vu à peu près tous ses spectacles.
Elle a choisi de dire ou d’affficher des textes d’écrivains, comme entre autres, des poètes comme Ovide ou Hölderlin, mais aussi de philosophes : Cioran, Nietzsche, ou encore Saint Paul, mais on n’en voit pas bien la cohérence avec les images.
D’autant que la dramaturgie du spectacle s’avère un peu simpliste et que les images et la chorégraphie semblent surtout être là, pour faire écho au grand discours sur la guerre, le sexe, la mort et la transcendance, contre le rationalisme et pour la Beauté et la vraie vie dont elle nous accuse bille en tête de ne pas la mériter.
Entracte destiné on l’aura vite compris à ce que les jeunes comédiennes puissent aller se doucher. (Elles l’ont bien mérité!). Puis Angélica Liddell évoque dans la deuxième partie, les scènes d’horreur des attentats de l’an passé à Paris. Bref, le sexe, le sang, la violence et la mort, réunis dans un seul et même paquet-cadeau. Que demande le peuple ? Oui, mais… cela n’en finit pas de finir, et désolé, on a déjà donné.
Et, même si le temps d’un spectacle, on le sait bien, est élastique, et quatre heures peuvent passer vite mais pas ici, où l’ennui s’installe sans scrupule. Cet exorcisme de ses parents et à travers eux, de la société espagnole très catholique, rigide, bigote et «bien» pensante, héritée du franquisme, et pas si lointaine que cela, celle de ses parents et grands-parents, fait long feu et peine à être convaincant… Après tout, l’Espagne n’est plus du tout la même.
Angélica Liddell nous fait part une fois de plus, et avec une indéniable sincérité (là n’est pas la question) de sa grande souffrance obsessionnelle d’être au monde, de sa difficulté à concilier la puissance de Dieu et l’abjection du monde. Mais elle arrive rarement dans ce spectacle, à les traduire en termes artistiques.
Réduire l’écart entre une vie intime et l’art, relève en effet le plus souvent de la haute voltige, et on ne gagne pas à tous les coups, loin de là ! Alors dans ce cas, la provoc pour la provoc, la haine pour la haine ? Cela impressionne peut-être encore un court moment quelques bourgeois qui …pas dupes, s’empressent de quitter la partie. Les autres spectateurs dont très peu de jeunes gens, commence à trouver le temps long.
De nouveau, est annoncé un entracte de trente minutes destiné (sic) à changer les décors, alors que les régisseurs vont juste régler le dispositif d’allumage d’un feu autour d’un cercle: cela commence à devenir vraiment longuet. Dans la dernière partie, on retrouve encore Angélica Liddell, vitupérant sur la société contemporaine.Magnifique mais il est presque trois heures. Le spectacle traîne et se répète et malgré à nouveau, la belle présence des jeunes femmes après s’être habillées de tulle blanc puis encore nues. Les acteurs japonais mordent à pleines dents des poissons crus, face public et un chœur de cinq chanteurs entonne une chanson de la Renaissance. Et un gros homme pisse sur le corps nu d’Angélica Liddel. Comme si la metteuse en scène avait du mal à finir ce spectacle, qui, vraiment beaucoup trop long, n’échappe pas à une sorte d’académisme personnel de la transgression. Jusque dans une mise en scène, dont elle ne semble plus maîtriser aussi bien qu’avant, l’espace-temps, et même si elle sait toujours créer des images de toute beauté mais moins forets sans doute qu’il y a quelques années.
Constat clair et triste : Angélica Liddell semble avoir tout dit, et donc semble être condamnée à parler en boucle. En fait, on touche sans doute ici aux limites de l’intrusion des arts plastiques, et en particulier de la performance, dans le théâtre contemporain ! Le corps et le sexe, sous forme d’exploitation sado-maso tous azimuts, avec référence à Georges Bataille, sont devenus chez elle, comme un sorte de produit culturel.
Mais le cocktail : texte, performance, représentation obscène au sens étymologique mais aussi réel du terme, avec effet immédiat que procure une ou des situations sur un plateau, ne fonctionne plus. Jusqu’à, sans doute, paraître même daté pour de jeunes artistes.
Pourtant, on a besoin de créatrices comme Angélica Liddell qui avait réussi à conjuguer au féminin toute la violence, que, ses «parents» dans les années soixante: les actionnistes viennois comme Otto Muehl, Hermann Nitsch, Günter Brus, Rudolf Schwarzkogler… avaient mis en œuvre pour manifester avec intransigeance leur rejet sans concession du conservatisme autrichien.
Avec, comme mot d’ordre, l’utilisation de leur corps ou de celui danimaux comme objet d’action, à des fins évidentes de catharsis, ce qui les rendait proches d’une sorte de théâtre à la première personne, comme celui qu’Angélica Liddell créera quarante ans plus tard.
Avec un souffle, une énergie mentale et physique indéniables dans une guerre sans merci contre le même conservatisme moral et politique, mais cette fois espagnol, elle avait fait, et avec quelle rigueur ! bouger les lignes de la scène théâtrale.
Mais ici, tout se passe comme si elle avait atteint les limites du genre… Elle dit doucement mais très vite qu’elle a atteint cinquante ans : confession émouvante. Mais ce spectacle, mal construit et finalement peu clair dans ses intentions, se révèle décevant. Dommage ! Avec sa grande sensibilité, elle doit en être lucide. Si vous êtes un inconditionnel d’Angélica Liddell, vous y trouverez peut-être votre compte mais sinon… Et on voit vite qu’il est temps pour cette grande créatrice de passer à autre chose mais quoi?
Cloître des Carmes, jusqu’au 13 juillet.
Le texte, traduit par Christilla Vasserot, est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.
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