Teatro a Corte 2016 à Turin:
Pour sa dixième édition, ce festival ne déroge pas à sa vocation : présenter le spectacle européen dans les demeures royales du Piémont. Pour mettre en valeur son prestigieux patrimoine de parcs et châteaux, Beppe Navello et son équipe programment d’année en année, des spectacles où prédomine le visuel : danse, nouveau cirque, théâtre de rue et installations…
Picasso Parade, texte et mise en scène de Nicola Fano, chorégraphie de Paolo Mohovich
Au palais Madame, situé au Sud-Est de la Piazza Reale à Turin, on traverse des salles richement ornées de peintures baroques où sont exposés mobiliers, objets prestigieux et statues de toutes les époques, dont un Jugement de Salomon et un Sacrifice d’Abraham imposants, sculptés dans l’ivoire dans le plus pur style XVIIIème.
Puis on pénètre dans la salle des fêtes, pour une création dédiée à L’Arlequin de Pablo Picasso. Selon l’historien du théâtre Nicola Fano, auteur de La Tragedia di Arlecchino, les nombreux Arlequins du peintre, de folâtres, sont devenus tristes au fil des toiles, puis le peintre l’a représenté mort, en 1936, sur un rideau de scène destiné au Théâtre de Bussang (Vosges): La Dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin, aujourd’hui visible au musée des Abattoirs de Toulouse).
Fidèle à cette vision historique, la pièce commence par un tableau vivant, représentant Les Saltimbanques (1906), avec quatre interprètes. Petit à petit, La Ballerine et Arlequin se déploient dans l’espace pour un gracieux pas-de-deux jonglé. Une narratrice commente (trop) longuement : il est question d’œuf, forme trop parfaite, anti-cubiste pour Picasso, qu’il préférait en omelette… Des allusions à la vie de Montmartre, au cirque, au cubisme accompagnent les évolutions du couple de jongleurs. À leurs habiles échanges de balles blanches et à leurs ébats dansés, se mêle le gros homme en rouge qu’on voit sur le tableau, pataud et maladroit. A la fin, Arlequin, mort, sera emporté par le Minotaure avant que se reforme le tableau des Saltimbanques, pour les saluts.
Malgré un cadre qui se prête à la confrontation entre modernité et baroque, malgré aussi l’agilité des circassiens allemands Stefen Sing et Crisina Casiado, et la balourdise feinte de Tiziano Pilloni, la pièce reste au stade d’une idée de dramaturge. Parasité par un texte trop abondant, Picasso Parade n’arrive pas à nous émouvoir en mariant harmonieusement récit, musique, danse et jonglage.
Vu au Palais Madame le 7 juillet.
Arc et Every Action par la compagnie Ockham’s Razor
Dans Arc, tels les passagers de la Méduse, un homme et deux femmes se trouvent échoués sur un radeau en aluminium, suspendu par quatre câbles, à 3,5 mètres du sol. Le trio passera par tous les états du triangle amoureux : rencontre, amour, haine, jalousie, solitude, exclusion prennent, à cette hauteur, une tournure dramatique.
Le dangereux radeau, ici dispositif ludique, se fait balançoire, ou berceau, mais il peut aussi, ne tenant plus qu’à deux filins, prendre une trajectoire verticale, et devenir un perchoir où les acrobates ne devront leur salut qu’à leur grande maîtrise des agrès.
Every Action confirme la stupéfiante virtuosité de la compagnie anglaise, dont les trois directeurs associés revendiquent le terme de « rasoir » pour caractériser leur travail dépouillé : « Rasoir renvoie au fait que nous supprimons tout élément superflu. » Une corde unique, passant dans des poulies, retombe en deux pans d’une dizaine de mètres, et va servir de terrain de rencontre et d’exploration aux acrobates. Ce dispositif, reposant sur l’interaction des mouvements, de part et d’autre des poulies, les contraint à l’écoute des autres. Une belle célébration de l’équilibre et de la solidarité.
Arc et Every Action: des pièces courtes, conçues et réalisées à la perfection. Mais simplicité ne signifie pas facilité : ici, les combinaisons les plus complexes se décomposent et se recomposent pour des créations exemplaires.
Spectacle vu au théâtre Astra le 7 juillet.
Delle Fiabbe e delle sedie (Des contes et des chaises) de Marco Muzzolon
Qu’imaginer de mieux, pour découvrir les jardins du palais Stupinigi, de nouveau ouverts au public, qu’un parcours ludique dans leurs vastes allées, à la recherche de chaises censées nous renvoyer aux contes de notre enfance ? Munis d’écouteurs qui nous en livrent des bribes, nous allons de Pinocchio (une chaise avec un pied de pantin) à La Princesse au petit pois (un petit pois vert repose sur un gros tas de coussins), en passant par Le Joueur de flûte de Hamelin (un siège en forme de souris bleue), etc.
Ni le texte ni cette chasse aux chaises-fables ne nous ont convaincus dans cette rencontre imaginaire promise entre contes et chaises.
Vu au palais Stupigini le 8 juillet
Mais ce grand palais de chasse, dont la coupole centrale est surmontée d’un cerf, offre d’autres surprises: ses peintures, récemment restaurées, scènes de chasses grandiloquentes à la mesure des riches rois de Savoie. Et, à l’extérieur, de beaux spectacles nous attendaient :
Évohé et Le Chas du Violon
Les Colporteurs nous avaient séduit l’an dernier au festival d’Aurillac avec leur Chas du violon (voir Le Théâtre du Blog) qu’ils présentent ici, avec une autre petite forme adaptée à l’étonnante structure en étoile, réalisée en câbles et tubes, qu’Antoine Rigot a conçue avec un architecte, afin de pouvoir l’installer en tous lieux et d’y inviter des duos d’autres artistes.
Six formes brèves circulent ainsi car la structure a été dupliquée. Il aura fallu trois prototypes, explique Antoine Rigot, avant d’arriver à cette étrange construction géométrique qui s’avère très fonctionnelle et ressemble, en plus grand, à un agrès de square pour enfants. Les deux tonnes de tension des fils semblent communiquer leur puissance aux artistes…
Évohé, mise en scène d’Antoine Rigot
Dans Les Métamorphoses d’Ovide, les Bacchantes s’écrient » Évohé, évohé ! » pour saluer le dieu du vin, Bacchus, qu’Ariane abandonnée par Thésée, rencontre sur l’île de Naxos. Munie de son célèbre fil, Julia Figuière s’aventure d’abord prudemment sur l’Étoile ; Bacchus (Julien Posada) lui, l’observe avant de l’entreprendre et l’entraîner dans l’ivresse.
La dramaturgie, induite à la fois par la fable et la structure étoilée, engendre une forme dépouillée d’une pure géométrie : l’action se développe, le rythme s’accélère, et les figures des funambules se diversifient, de plus en plus complexes. Ils bondissent sur les fils, et dansent de hardis pas-de-deux.
Julia Figuière défie la pesanteur avec une bouteille de champagne sur la tête avant d’en verser le contenu dans des flûtes et de trinquer avec son partenaire. La grâce était au rendez-vous dans ces jardins, au coucher du soleil. Et la drôlerie en plus, avec Le Chas du violon, interprétée par Agathe Olivier et Coline Rigot, un jeu de rivalités et d’amour entre une mère sur des talons-aiguille, et sa fille en bottes de cuir : « Le fil, dit Antoine Rigot, est un passeur de la fragilité des relations humaines. »
A ne pas manquer : la tournée d’été des petites formes de l’Étoile en France et en Europe. Pour les vingt ans de leur compagnie, installée en Ardèche, Agathe Olivier et Antoine Rigot préparent chez eux, Sous la toile de Jheronimus, à partir du triptyque de Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, qui se créera du 18 au 25 janvier prochain, à la Biennale internationale des arts du cirque à Marseille (www.lescolporteurs.com)
Vu au palais Stupigini le 8 juillet
Instants de suspension, de et par Pauline Barboux et Jeanne Ragu
«Un corps-à-corps aérien où l’un ne tiendrait pas sans l’autre», disent les acrobates. À l’issue de leur formation, se sont associées pour inventer la Quadrisse: quatre drisses noires réunies, « fines de dix millimètres, pour qu’elles disparaissent et dessinent l’espace. » Cet agrès, né de leur pratique de la danse aérienne, acquise notamment aux côtés de Kitsou Dubois, permet, selon la combinaison des brins, d’ouvrir et de transformer l’espace.
Devant le Palais de chasse, ficelées l’une à l’autre, dos à dos ou en cuillère, elles vont petit à petit, se défaire de leur étreinte, pour s’envoler ensemble le long des quatre filins suspendus à un haut mât. Elles défient avec talent les lois de la pesanteur sur la musique de Carmino d’Angelo interprétée par lui, Pierre Ragu et Etienne Barboux.
Elégantes, et souriantes malgré les efforts fournis, elles nous enchantent. On les retrouvera avec plaisir dans le nouveau spectacle de l’Envolée Cirque, avec Traits d’Union en septembre, et dans la nouvelle pièce de Kitsou Dubois, R+O , les 26 et 27 janvier, au Théâtre d’Arles.
Vu au palais Stupigini le 8 juillet
Mireille Davidovici
(A suivre)
Le festival Turin Teatro a Corte se poursuit jusqu’au 17 juillet. T. +39 0105634352 www.teatroacorte.itv
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