L’improbable est possible… j’en suis la preuve vivante
L’improbable est possible… j’en suis la preuve vivante, texte de Latifa Djerbi et Jacques Livchine, mise en scène et dramaturgie de Jacques Livchine
Opération reconquête de soi et des autres, avec, pour seules armes, le naturel et la candeur. Chemise mal boutonnée et tachée, l’air un peu égaré, Latifa Djerbi dispose de peu de temps et d’espace pour nous convaincre.
Consciente de l’aspect périlleux de l’exercice et de son identité encore en construction, elle n’en est pas moins fermement décidée à trouver sa place. Rien ne semble l’effrayer : ni sa position instable sur l’échelle sociale, ni les clichés sur la femme/fille/ mère/amante, ni même la jungle du Off avignonnais… Et surtout pas Jacques Livchine qui lui a écrit une lettre, hors-d’œuvre d’irrévérence réjouissante, où il la mettait en garde contre les solos féminins : «Les monologues, ce n’est pas du théâtre, c’est une pathologie. (…) Ne fais pas ça ! »
Rien ici d’une adresse percutante avec une ligne rouge bien nette, comme celle de l’auteur autrichien Robert Schneider :« Je suis un Arabe, vous ne m’aimez pas, et je le comprends bien car je suis une saleté. » ! Mais Latifa préfère trouver sa voie(x) en douceur.
La comédienne tunisienne qui a demandé la nationalité suisse (déjà, quel poème !) et ex-prof de maths, a donc choisi d’y voir plus clair, en posant ses problèmes sous forme d’équations. Côté cour, un tableau noir, et côté jardin, un ordinateur portable avec webcam pour prouver à sa mère que, si ! des gens peuvent se déplacer pour la voir.
L’entrée en matière : une touchante captatio benevolentiae, brouillonne à souhait. Elle brave tous les interdits posés par : « Jacques a dit ». Latifa chante et danse (mal), avec une ingénuité désarmante : un faux ratage, pas toujours parfaitement maîtrisé, mais son énergie et sa sincérité fédèrent le public.
Quelle jolie trouvaille, que cette tentative de rationaliser les difficultés en les formulant sous forme d’acronymes ! Le tableau se couvre peu à peu d’un poème surréaliste truculent. Pour la situation professionnelle, c’est SS + PT + KK : soit le nombre de théâtres ajouté à la problématique : « Trouver sa place au travail » (PT), plus le « milieu culturel de la cuvette genevoise » (KK), sans oublier le talent, la copine, le cuissage (pas trop son truc). Elle analyse de même ,son rapport avec son corps, les hommes, les tensions avec ses enfants, les «Franchouillards», les calvinistes, les Arabes…
Certains moments de grâce pourraient gagner en force, si elle laissait, par instants, le silence s’installer. Exploration de l’intimité, le spectacle oscille entre tendresse et autodérision, et qui prend une coloration plus forte, teintée de la fraternité du théâtre de rue, quand la comédienne joue intimement avec le public.
Ce jour-là, un spectateur, Aurélien est invité à partager une cigarette : un très joli moment d’improvisation. Puis le lien se crée plus solidement encore, avec un rouleau de papier au texte pacifiste (à découvrir), et une invitation au public à passer derrière le rideau.
D’ordinaire, le comédien franchit plutôt le quatrième mur. Aussi ce moment est-il intimidant et émouvant. L’air de ne pas y toucher, ce basculement simple crée une relation horizontale avec Latifa, mais aussi entre les spectateurs. Une fraternité humaine bienvenue en ces temps troublés.
Venir au spectacle de cette comédienne qui déborde des cadres, c’est accueillir cette pétillante et généreuse maladresse, faire de la place en soi pour la rencontre. La solution des problèmes ? Accepter concrètement la part de singularité en chacun, pour permettre des associations à priori impossibles, telle la fondue savoyarde et la harissa. Merci énergique Latifa, pour ce moment de réconfortante convivialité !
Stéphanie Ruffier
Espace Martial, du 7 au 30 juillet à 14h40 (relâche le 20). T: 04 86 34 52 24
Merci Jacques, l’accoucheur, pour ces précisions.
Oui, Latifa et son spectacle cherchent de façon particulièrement pertinente un lieu, une place, un positionnement personnel et singulier.
Pénible de devoir sans arrêt se justifier, s’excuser d’être qui on est, quand on ne correspond pas au groupe / à la catégorie dans laquelle les autres aimeraient bien nous faire rentrer.
Cela me fait songer à la nécessaire étape d’individuation évoquée par Cynthia Fleury dans son essai « Les Irremplaçables ».
attention, ce n’est pas ma mise en scène ni ma dramaturgie
j’ai juste aidé Latifa à accoucher
parce qu’il me paraissait important de scanner une de ces enfants de l’immigration
j’essayais de décrypter ce que nous avions en commun , moi l’aschkenase de Russie
elle l’arabe de Tunisie
Elle est aussi irritante que moi, parce qu’elle refuse de se dissoudre dans la masse,
et les juifs c’est pareil, ça ennuie tout le mode
ils veulent toujours se la jouer singulière.
Voilà, alors nous les juifs on doit se détacher sans arrêt d’Israël, dire que ce n’est pas nous , et Latifa elle doit sans arrêt de dire que les attentats ce n’est pas elle,