ESPAECE
Festival d’Avignon :
ESPAECE conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory.
Dans le film Brooklyn Boogie, Paul Auster montrait un défilé de personnages dans un lieu unique, un débit de tabac. Tout comme Georges Perec dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien décrivait par le menu ce qu’il avait observé, pendant trois jours, à la terrasse du café de la Mairie, place Saint-Sulpice à Paris. Dans Espèces d’Espaces, l’écrivain examine l’espace dans toutes ses dimensions, de la page blanche au vide sidéral. Aurélien Bory, lui passe de la page blanche au plateau nu, en habitué des formes frontières du spectacle. Il a déjà travaillé dans ce sens avec Pierre Rigal, Kaori Ito ou Vincent Delerm, (voir Le Théâtre du Blog).
«Continuer jusqu’à ce que le lieu devienne improbable, jusqu’à ressentir, pendant un très bref instant, l’impression d’être dans une ville étrangère, ou, mieux encore, jusqu’à ne plus comprendre ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas, que le lieu tout entier devienne étranger, que l’on ne sache même plus que ça s’appelle une ville, une rue, des immeubles, des trottoirs…» A partir du texte de Georges Perec,«L’objet de ce livre, dit-il, n’est pas exactement le vide, mais plutôt ce qu’il y autour ou dedans. » Le metteur en scène a laissé libre cours à son imagination pour donner à voir cette œuvre littéraire complexe: un véritable défi..
Aurélien Bory qui doit «habiter le lieu pour l’inventer», va donc jouer avec les codes et les structures du théâtre, avec cinq artistes venus du cirque, de la danse, du chant lyrique, du théâtre et de l’acrobatie. Ces personnages en quête d’auteur apparaissent devant un haut mur où des mots sont projetés dont certains d’Espace ou de Lire. Mots que nous retrouverons après une heure quinze, dans l’image finale.
Rarement, scénographie n’aura été aussi visible et les interprètes font partie de ce décor en mouvement permanent, et en sont des éléments qui s’expriment par le geste ou la voix selon chacun. Un haut mur, identique au mur de fond de l’Opéra Grand Avignon défie les artistes, et va s’avancer dans un grand fracas sonore jusqu’au cadre de scène, en tentant de les faire disparaître. Ce mur mobile se plie dans le sens de la hauteur, s’enroule lentement autour des artistes, qui s’échappent en le chevauchant ou en s’y collant. Les repères habituels des acteurs en sont bouleversés. La descente d’une perche en avant-scène les met en danger, et le mur devient alors agresseur ou protecteur.Comme si chaque élément et chaque matériau avaient ici leurs propres vies, indépendamment de toute manipulation humaine.
La composition musicale de Joan Cambon, impressionnante de réalisme, renforce la fascination mêlée de crainte où, sur scène, le metteur en scène transcrit, par l’imaginaire et la poésie, l’étrangeté du livre de Georges Perec, poursuivant ainsi sa recherche dans l’univers des formes frontières. Une quête à découvrir et à ressentir selon sa propre sensibilité.
Jean Couturier
Opéra Grand Avignon à 18 h jusqu’au 23 juillet.
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