Eschyle pièces de guerre
Festival d’Avignon (suite et fin) :
Eschyle, pièces de guerre, mise en scène d’Olivier Py
L’époque d’Eschyle, le plus ancien des trois grands poètes tragiques connus de la Grèce antique (525/457 avant J.C.) vit la naissance de la démocratie à Athènes, et celle de la tragédie reposant sur un mythe, qui assumait alors un rôle de prolongation du sacrifice religieux. Cela perdure encore chez Sophocle; mais chez Euripide, adviendra de façon marquante, la décroissance de l’élément sacré dans la tragédie, notamment dans sa dernière pièce Les Bacchantes.
A la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, dans l’église gothique Sainte-Marie (XIV ème siècle maintenant à ciel ouvert, Olivier Py met en scène Prométhée enchaîné, Les Suppliantes, Les Sept contre Thèbes et Les Perses, seules pièces avec L’Orestie, à nous être parvenues, sur la centaine qu’il aurait écrites : et encore, elles sont souvent la première partie d’une trilogie où elles trouvaient tout leur sens aux concours organisés. Ici, de part et d’autre de la nef, sont alignées trois rangées de chaises. Avec au milieu, une plate forme étroite et surélevée. Cette bi-frontalité permet selon Olivier Py, au public de «se contempler lui-même, contemplant les acteurs.» Les quelque quatre heures trente de spectacle commencent sous le soleil pour finir à la nuit tombée, et s‘ouvre sur Prométhée enchaîné. Prométhée (Frédéric Le Sacripan), a été condamné par les dieux de l’Olympe, pour avoir délivré à l’homme, le feu de la connaissance et de la vie, la science et les arts, la médecine et l’astrologie. Le spectacle s’achèvera avec Les Perses, et ce même comédien, y jouera Xerxès, le roi vaincu…
La mise en scène, sans aucun artifice, avec des costumes sombres et intemporels, est d’une simplicité extrême, loin de tout spectaculaire: un «théâtre pauvre », peu habituel dans l’esthétique et le travail d’Olivier Py. Une belle découverte… Très vite, au cœur de cet édifice religieux, le public se laisse emporter par cette sobriété et part à la rencontre de ces lointains récits merveilleux et tragiques, avec les batailles de Marathon et Salamine auxquelles Eschyle participa. Pour le metteur en scène, «Eschyle parle depuis un monde ancien qui est pourtant déjà le nôtre ».
Philippe Girard, Frédéric Le Sacripan et Mireille Herbstmeyer, se partagent tous les rôles et s’emparent avec force et maîtrise de ces tragédies et de leur chant poétique. Jamais caricaturaux, même s’ils jouent parfois avec emphase «les dieux et les suppliantes, les rois et les vieillards, l’océan et les foules ». Dans cet unique décor que constituent les murs de l’église Sainte-Marie, l’émotion et la parole tragique sont là. Avec cette création, Olivier Py donne véritablement vie à la tragédie antique qui, ici, ne se réduit pas à un objet de mémoire culturel et esthétique. Le temps n’a pas de prise, et dans l’écriture de ces quatre tragédies, la présence du dialogue entre l’homme et le divin interpelle le transcendant. En effet, l’homme ne peut se résoudre à l’injustice de sa destinée malheureuse. Et cet état existentiel s’inscrit dans ces pièces du théâtre antique, traversant les siècles et les civilisations depuis toujours, et qui résonne dans cette mise en scène.
Les Grecs au temps d’Eschyle pouvaient croire aux dieux. Mais nous, spectateurs du XXI ème siècle, sommes surpris par la pérennité des propos spirituels, politiques ou sociaux du grand dramaturge,. Un souffle tragique contemporain traverse cette mise en scène. La situation des migrants, dans Les Suppliantes, est pour nous, saisissante d’actualité : condamnés à fuir leur pays en traversant la Méditerranée dans des conditions effroyables pour trouver refuge, ou encore, l’inutilité des guerres qu’Eschyle dénonce dans Les Perses.
Olivier Py réussit là, avec ce théâtre, le plus ancien de l’humanité et qui possède une superbe langue poétique, à installer le public dans une écoute profonde et sous tension. Et, si ce « théâtre pauvre »et les choix esthétiques de sa mise en scène de ces « pièces de guerre », peuvent paraître insuffisamment novateurs et politiques, pour ne pas dire vieillots à certains spectateurs, c’est peut-être dû à notre société consumériste et matérialiste… qui éprouve un certain malaise face à la transcendance.
Elisabeth Naud
Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Tournée en 2017