Festival d’Aurillac: Rivages, réalisation de La Folie Kilomètre
Festival d’Aurillac: (suite et fin)
Rivages, réalisation de La Folie Kilomètre, Collectif la Folie Kilomètre de Marseille.
Surprise totale que ce spectacle indescriptible, « road-movie hallluciné et poétique » concocté par une équipe d’une vingtaine d’artistes issue de la FEAR (Formation avancée des arts de la rue de Marseille) et coproduite par une vingtaine de structures.
On nous donne rendez-vous en voiture sur le parking d’un centre commercial d’Aurillac pour une virée guidée, grâce à une chaîne de radio précieuse, car nous suivons une trentaine de véhicules dans la nuit noire, sur des routes incertaines pendant une heure et demie.
Soit six séquences: du Drive In à La Transition Libre, mais jamais en 45 ans de spectacles un peu partout, de telles surprises ne nous avaient été réservées…De Drive In à Regarder l’horizon, en passant par Prendre le large, Rentrer dans les coulisses, Transition Rodéo, Tourner en rond, Transition libre et Accéder au rêve, on ne sait plus où donner de la tête ! Le récit se déploie dans un paysage se déroule comme une scène de cinéma derrière les vitres de notre voiture… Des images apparaissent puis s’effacent.
Mais il ne faut pas déflorer une telle surprise pour les futurs spectateurs. Cette compagnie remporte haut la main pour moi, le grand prix du Festival d’Aurillac 2016.
Surmâles par la compagnie Gérard Gérard
L’ombre d’Alfred Jarry rôde sur ce spectacle absurde dont on ne parvient pas à saisir le fil rouge dans cette cour d’école où les compagnies mettent leurs recettes en commun. Alexandre Moisescot, Julien Bleitrach et Maxime Donnay entrent en scène coiffés de têtes de canard, de chien et de cochon.
Ils se mettent à table, le chien fume, le cochon ouvre un journal, ils s’esclaffent, boivent un café, rugissent, se tirent dessus, se relèvent.
On annonce un débat, ayant « marre de brailler du théâtre de rue », mais le public est là. « Au début, c’était des performances pour les pizzerias, moi c’est Tadeusz Kantor, l’acteur n’est pas un objet, mais l’objet est un acteur… » affirme Alexandre. Ils se disputent, esquissent un petit ballet avec des ombrelles, Alexandre se coiffe d’une perruque verte, brandit un drapeau tricolore : « De quoi rêvent les Français ? « . On pose des questions ridicules sur les engagements, on annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale, Superman débarque sur un engin à roulettes, on s’étreint dans un caddie, un chat doré surgit de ces amours. Tout dégénère dans une débauche foldingue. « Arrête de douter, ton texte est fin, peu d’acteurs de rue sont de vrais acteurs ! »
On ne sait plus trop où donner de la tête dans cette débauche d’objets tirés d’un magasin de Walt Disney, malgré un humour décapant qui ravit un public nombreux. Il existe une version pour salle de spectacles plus concentrée qu’on aimerait voir.
Le Nid création de Doriane Morietus et Patrick Dordoigne
Patrick Dordoigne qui accompagne depuis des années le remarquable travail du Rire Médecin auprès des enfants malades dans les hôpitaux, avait réalisé L’Envol, sur une bande de retraités s’échappant de l’hôpital pour vivre leurs vies, spectacle solaire et régénérant.
Le Nid traite du début de la vie d’adultes. Après un long dédale autour des centres commerciaux qui cernent la banlieue d’Aurillac, nous arrivons dans une clairière boisée autour d’un grand champignon, et plus de 500 personnes y sont rassemblées. Des mains émergent, des bras, des têtes de couples qui se regardent, on entend des bruits d’oiseaux, des ballons surgissent, des visages masqués, des chapeaux de fête.
Deux garçons montrent leurs torses nus, on voit des vêtements voler.
Les couples s’étreignent dans la fête, on s’arrache les bonnets, une planche-plongeoir surgit du champignon, certains sautent, d’autre s’y suspendent. Tout le monde descend pour en faire le tour, chacun propose son projet au public. On voit un conseil de classe, on entend un discours de François Hollande sur le changement climatique. Le spectacle se termine par un belle course éperdue.
Un spectacle singulier, plein d’une ironie décapante présenté par une dizaine de jeunes acteurs acrobates, co-produit par la majorité des Centres Nationaux des Arts de la Rue en France..
Quatre-vingt treize d’après Victor Hugo par la compagnie de la Grenade .
Marseillaise chantée avec le public. Nous sommes le premier jour de juin 1793 en Vendée, nous assistons à un interrogatoire, les Vendéens chantent… La Vendéenne. « Fusillez les blessés, les prisonniers ! ». Un mois plus tard, c’est la revanche républicaine, tout est consanguin, on chante : « Ah, ça ira, les aristocrates à la lanterne, sache qu’il faut faire la guerre … ».
On recherche les enfants enfermés, on les trouve, on les protège. Au cours d’un procès « Si on guillotine les gens parce qu’ils ont tait de bonnes actions, alors guillotinez-moi (…) craignez que la terreur ne soit la calomnie de la Révolution, il faut que le droit entre dans la loi ! ».
Interprété par une équipe de cinq comédiens qui jouent tous les rôles, nobles comme sans culottes, ce texte de Victor Hugo fait retentir la nécessité d’une solidarité humaine par delà les clivages politiques.
lagrenadegraintheatral.wordpress.com
Entre eux d’Emmeline Guillaud avec douze acteurs musiciens.
Une scénographie bi-frontale, de part et d’autre d’un espace jonché de vêtements, bordé d’un orchestre de percussions. Au dessus de nos têtes, de longs fils à linge sur trois niveaux.
Les six acteurs se précipitent pour balancer les vêtements sur les côtés aux rythmes de la batterie, pour ne laisser subsister que les noirs, avec un discours sur l’Espagne et les Tontons Macoutes dont la liste ne sera jamais close. Ils s’agglutinent en un tas noir, qui remue et roule dans un fracas.
On s’enlace, on tombe, on tire. Une danseuse suspendue sur un fil à grande hauteur, est rejointe par un homme, ils s’étreignent. Du linge sèche sur deux niveaux, un acteur enfile à l’envers une robe de chambre, un autre un pantalon. Au sol, des Barbapapas s’étreignent, pendant qu’un acrobate saute sur un fil. Au sol, des poupées, des monceaux de vêtements dont des acteurs émergent. Cinq d’entre eux se voilent et font une danse aborigène. Le tout sur des rythmes d’enfer …Insolite, vous avez dit insolite ?
Malaxe a été créé à Marseille en 2011.
Trouble de Ben Farey, compagnie Tricyclique Dol, textes de Fabrice Melquiot
Étrange voyage en ville, du jamais vu ni entendu de mémoire de vieille spectatrice ! Cette écriture dans l’espace public prend naissance dans une petite bibliothèque où l’on nous confie un livre qui nous servira de guide à travers le quartier pour écouter d’étranges affiches colorées sur lesquelles il faut poser son oreille, là où on recèle une protubérance. Il faut poser son oreille dessus et se boucher les oreilles pour parvenir à écouter avec son corps et entendre les murs. Le livre qu’on nous a confié sert de guide, mais le repérage au sein d’un quartier bariolé d’affiches du off est difficile. Heureusement, c’est la dernière et un gentil guide m’escorte. Préoccupée par le repérage les souvenirs du texte se sont évanouis.
La Deuche joyeuse, Opéra de parvis de Générik Vapeur, Trafic d’Acteurs et d’Engins, auteur et mise en scène Pierre Berthelot, direction artistique Cathy Avram
Une première représentation avait été annulée la veille à coup de bombes lacrymogènes qui avaient dispersé les manifestants en train d’abattre les « barrières de sécurité » soit disant destinées à protéger le public des attentats. Dans la soirée, les grilles incendiées sont déblayées, et le dispositif de surveillance allégé. La pluie s’est heureusement arrêtée au moment où le spectacle commençait.
Quatorze interprètes entrent en scène et déballent des morceaux de 2 CV de leurs enveloppes de papier. Ils en sortent des instruments de musique dissimulés derrière. Goobie se déchaîne « Mâchez les mots, laissez rentrer les gros billets (…) Travailler plus pour gagner plus, Moi Président de la République …». Un fille avec un gilet de sauvetage est hissée en haut d’une pyramide, « ceci n’est pas un mur, je hais les murs, pas de mur ! ». On fait des pulvérisations bleu, blanc, rouge pour Madame France et la 2 CV Citroën, « objet modeste, fille naturelle de Pégase et d’un moulin à légumes ».
Sur un rythme musical endiablé, la voiture est reconstituée et fait son départ triomphal au sein de plusieurs autres 2 CV conduites par des collectionneurs locaux. « Les 2 CV rasent les murs, les 4/4 font le trottoir ! ».
Spectacle décapant, plein d’une ironie qui en dit long aux propriétaires de ces voitures dont nous avons été, cette Deuche Joyeuse rend tout son sens à un festival qui a su faire tomber les barrières.
Edith Rappoport
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