Viktor une pièce de Pina Bausch

 

Viktor une pièce de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal.

IMG_2552Raimund Hoghe, dramaturge de Viktor, écrit dans son Histoires de théâtre dansé à propos des répétitions à Rome : «Dans une indication de mise en scène pour son film Mama Roma, Pier Paolo Pasolini note : “Elle regarde dans le lointain pleine de nostalgique attente“. » Attente que connaît aussi le public du Tanztheater Wuppertal. Malgré les longueurs de certaines pièces de Pina Bausch —et celle-ci en contient beaucoup—, il reste fidèle car ses danseurs et ses images lui sont familières et nécessaires. De nombreux spectateurs ont vécu leurs premières émotions de théâtre avec ces artistes, et ils reviennent les voir inlassablement, tandis que les plus jeunes, curieux, découvrent la chorégraphe. Lors de la première, deux garçons d’une dizaine d’années, au premier rang, semblaient passionnés par les différents tableaux beaux et tristes, compréhensibles ou obscures qui se déroulaient devant eux.

La scénographie de Peter Pabst nous plonge dans ce qui pourrait être une carrière, une mine, ou des catacombes. Durant les trois heures quinze du spectacle, un homme, Andrey Berezin, lance des pelletés de terre sur le plateau tandis que les danseurs, en solo en duo ou en groupe, viennent nous prendre à témoin de leurs fêlures ou de leur instinct de survie. «Insatiable, je m’accroche à notre vie, car il n’y a qu’une seule chose au monde qui ne s’épuise jamais», écrit Pier Paolo Pasolini.

Des moments fulgurants du spectacle, nous retiendrons la lente procession des danseurs qui, en couples, traversent le parterre au milieu des spectateurs ; les trois avancées successives vers le public de la danseuse Breanna O’Mara, rythmées par l’ondulation de sa chevelure rousse ; la présence énigmatique de Dominique Mercy, sorte de démiurge accompagnant sur scène les actions de ses amis, ou encore les deux séquences de vente aux enchères publiques qui permettent toutes les excentricités. De belles parties dansées des femmes en robe longues et talons hauts se répètent pendant la pièce, elles témoignent du style de Pina Bausch que l’on retrouvera dans d’autres chorégraphies par la suite.

Certains solos sont trop longs comme la séquence du danseur, au souffle amplifié au micro; à ce propos, selon Raimund Hoghe, Pina Bausch disait en souriant : «Une chose avec votre souffle, c’est beau quand on voit vivre quelqu’un.» Trois allusions à la danse classique sont déclinées ici : l’avancée vers le public du corps sans bras de Julie Shanadan sur la musique de la Belle au bois dormant de Tchaïkovski, le solo d’une danseuse sur pointe qui applique avec précaution une escalope dans ses chaussons, et la leçon de danse décalée et drôle donnée par Cristiana Morganti. Deux séquences révèlent les multiples talents de ces artistes, impressionnants d’énergie : pour les hommes, leurs mouvements de bascule du torse et les arrondies des bras lorsqu’ils progressent vers l’avant-scène, ou leur maîtrise de l’espace dans la scène collective débridée où ils manipulent des planches de bois leur servant de guides ou de passerelles. Au début du spectacle une voix off fait dire à une danseuse, «Je m’appelle Viktor, je suis de nouveau là, et ce que je peux rester ici». De lui nous ne saurons rien de plus.

Les musiques de Lombardie, de Toscane, de Sardaigne ou d’Italie du Sud nous rappellent que cette pièce a été créée en mai 1986, après une résidence d’un mois au Teatro di Roma. Trois danseurs, présents à l’époque sont toujours là : Julie-Anne Stanzak, Dominique Mercy et Jean-Laurent Sasportes. Selon ce dernier, son personnage de vieille femme qui cherche à se débarrasser des morceaux de cœur transformés en pierre par les choses de la vie, est identique à celui de la création. Pour lui, les thèmes abordés dans la pièce, dont ceux de l’être humain en proie à ses désirs et à ses peurs, restent brûlants d’actualité. Il a aimé le travail de transmission de cette chorégraphie à de jeunes danseurs et s’apprête d’ailleurs à transmettre son propre rôle.
En cela, le Tanztheater Wuppertal a réussi son pari audacieux de passation artistique qui permet à un nouveau public de découvrir cette pièce telle qu’à son origine, avec ses défauts et ses qualités.

Jean Couturier

Au Théâtre du Châtelet avec le Théâtre de la Ville du 3 au 12 septembre.  

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Archive pour 4 septembre, 2016

Viktor une pièce de Pina Bausch

 

Viktor une pièce de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal.

IMG_2552Raimund Hoghe, dramaturge de Viktor, écrit dans son Histoires de théâtre dansé à propos des répétitions à Rome : «Dans une indication de mise en scène pour son film Mama Roma, Pier Paolo Pasolini note : “Elle regarde dans le lointain pleine de nostalgique attente“. » Attente que connaît aussi le public du Tanztheater Wuppertal. Malgré les longueurs de certaines pièces de Pina Bausch —et celle-ci en contient beaucoup—, il reste fidèle car ses danseurs et ses images lui sont familières et nécessaires. De nombreux spectateurs ont vécu leurs premières émotions de théâtre avec ces artistes, et ils reviennent les voir inlassablement, tandis que les plus jeunes, curieux, découvrent la chorégraphe. Lors de la première, deux garçons d’une dizaine d’années, au premier rang, semblaient passionnés par les différents tableaux beaux et tristes, compréhensibles ou obscures qui se déroulaient devant eux.

La scénographie de Peter Pabst nous plonge dans ce qui pourrait être une carrière, une mine, ou des catacombes. Durant les trois heures quinze du spectacle, un homme, Andrey Berezin, lance des pelletés de terre sur le plateau tandis que les danseurs, en solo en duo ou en groupe, viennent nous prendre à témoin de leurs fêlures ou de leur instinct de survie. «Insatiable, je m’accroche à notre vie, car il n’y a qu’une seule chose au monde qui ne s’épuise jamais», écrit Pier Paolo Pasolini.

Des moments fulgurants du spectacle, nous retiendrons la lente procession des danseurs qui, en couples, traversent le parterre au milieu des spectateurs ; les trois avancées successives vers le public de la danseuse Breanna O’Mara, rythmées par l’ondulation de sa chevelure rousse ; la présence énigmatique de Dominique Mercy, sorte de démiurge accompagnant sur scène les actions de ses amis, ou encore les deux séquences de vente aux enchères publiques qui permettent toutes les excentricités. De belles parties dansées des femmes en robe longues et talons hauts se répètent pendant la pièce, elles témoignent du style de Pina Bausch que l’on retrouvera dans d’autres chorégraphies par la suite.

Certains solos sont trop longs comme la séquence du danseur, au souffle amplifié au micro; à ce propos, selon Raimund Hoghe, Pina Bausch disait en souriant : «Une chose avec votre souffle, c’est beau quand on voit vivre quelqu’un.» Trois allusions à la danse classique sont déclinées ici : l’avancée vers le public du corps sans bras de Julie Shanadan sur la musique de la Belle au bois dormant de Tchaïkovski, le solo d’une danseuse sur pointe qui applique avec précaution une escalope dans ses chaussons, et la leçon de danse décalée et drôle donnée par Cristiana Morganti. Deux séquences révèlent les multiples talents de ces artistes, impressionnants d’énergie : pour les hommes, leurs mouvements de bascule du torse et les arrondies des bras lorsqu’ils progressent vers l’avant-scène, ou leur maîtrise de l’espace dans la scène collective débridée où ils manipulent des planches de bois leur servant de guides ou de passerelles. Au début du spectacle une voix off fait dire à une danseuse, «Je m’appelle Viktor, je suis de nouveau là, et ce que je peux rester ici». De lui nous ne saurons rien de plus.

Les musiques de Lombardie, de Toscane, de Sardaigne ou d’Italie du Sud nous rappellent que cette pièce a été créée en mai 1986, après une résidence d’un mois au Teatro di Roma. Trois danseurs, présents à l’époque sont toujours là : Julie-Anne Stanzak, Dominique Mercy et Jean-Laurent Sasportes. Selon ce dernier, son personnage de vieille femme qui cherche à se débarrasser des morceaux de cœur transformés en pierre par les choses de la vie, est identique à celui de la création. Pour lui, les thèmes abordés dans la pièce, dont ceux de l’être humain en proie à ses désirs et à ses peurs, restent brûlants d’actualité. Il a aimé le travail de transmission de cette chorégraphie à de jeunes danseurs et s’apprête d’ailleurs à transmettre son propre rôle.
En cela, le Tanztheater Wuppertal a réussi son pari audacieux de passation artistique qui permet à un nouveau public de découvrir cette pièce telle qu’à son origine, avec ses défauts et ses qualités.

Jean Couturier

Au Théâtre du Châtelet avec le Théâtre de la Ville du 3 au 12 septembre.  

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