Avidya-L’Auberge de l’obscurité
Avidya-L’Auberge de l’obscurité, texte et mise en scène de Kurô Tanino, spectacle en japonais surtitré en français
«Mumyô»-Avidya est le nom de l’établissement traditionnel japonais de bains est aussi celui du premier des douze maillons du bouddhisme, à savoir l’idée d’ignorance, d’illusion ou d’aveuglement. Dans un paysage grandiose aux montagnes aux sommet enneigé, et près de sources thermales chaudes, il y a une auberge, établissement thermal historique et familier à la région, et transmis de génération en génération.
Une voix féminine, amusée, apprend au spectateur que ce lieu populaire mythique est menacé de perdre sa tranquillité actuelle que ses clients apprécient pour avoir un repos réparateur : le Shinkansen, un TGV, doit absolument passer par ce territoire qui serait dévasté et soumis à une grave pollution sonore ! On reconnaît ici le thème de La Cerisaie de Tchekhov dont les personnages doivent faire le deuil de leur passé. Mais l’auteur et metteur en scène Kurô Tanino ne s’en tient pas aux souvenirs d’une enfance à jamais perdue, et met en scène le petit peuple humble des campagnes, si éloigné des villes au temps et à l’espace espace modernes et aux plaisirs désordonnés…
Les âmes errantes trouvent refuge où elles le peuvent, dans les chambres vides ; telles des personnes fragilisées par l’existence, aveugles, ou malades, âgées et isolées, ou des geishas en liberté qui trouvent un répit bienfaisant dans l’auberge pour répéter et jouer leur partition musicale avec leur violon traditionnel chinois-erhu-nécessaire aux banquets dans les campagnes.
Le théâtre dans le théâtre impose son mystère avec tact et minutie : deux marionnettistes, un fils adulte et un père âgé et lilliputien, artistes aguerris, surviennent dans la maison de thermes endormie et comme déjà disparue. Ils montrent une lettre où le propriétaire leur demande de donner une représentation dans l’auberge, mais il est absent. Alors, tels deux génies, merveilleux ou infernaux, comme dans Théorème de Pier Paolo Pasolini, ils imposent alors simplement leur présence, sans rien demander, mais bousculent la paix installée ici avec ses règles, principes et habitudes. Ils sont, pour les premiers spectateurs, les locataires de l’auberge, une occasion de découvrir leurs rêves intimes et leurs désirs cachés.
A Paris, le public qui découvre le spectacle, admire ce manège sensuel qui s’établit instinctivement et malgré eux, entre les êtres étonnés. Le dispositif scénique fait tourner quatre plateaux représentant les pièces de l’auberge : entrée, chambre, thermes, et l’étage dévolu aux femmes, mais traite avec précaution de la dimension érotique des bains publics.
Le sansuke, figure virile japonaise de l’époque Edo (1603 à 1868), dont le métier est d’assurer le bon fonctionnement de ces thermes, lave le corps des clients et les coiffe à l’occasion. Personnage muet mais gestuellement explicite. Dans cette salle pleine de vapeur, signe brumeux de la présence de sources chaudes, les locataires de l’auberge, entièrement nus, prennent leur bain avec pudeur, sous les yeux du public, entre ombres et lumières jetées sur les parois.Ces hommes nus, silencieux, résistent encore à révéler leur intériorité. Mais une marionnette farcesque, à l’effigie du manipulateur, père sarcastique, caustique et plein d’humour, vole à leur secours.
Une aventure théâtrale savoureuse, proche du sentiment existentiel et de la tension d’une réalité quotidienne brute : chacun se résigne (la servitude de l’Avidya) à affronter une vie à la fois fruste et enjouée.
Véronique Hotte
Maison de la Culture du Japon, Paris /Festival d’Automne, du 14 au 17 septembre. T: 01 44 37 95 01/ 01 53 45 17 17.