Dom Juan de Molière mise en scène de Jean-François Sivadier
Dom Juan de Molière mise en scène de Jean-François Sivadier
La pièce créée en 1665, fut seulement jouée quinze fois puis la veuve de Molière douze ans plus tard en fit faire par Thomas Corneille, une version expurgée intitulée Le Festin de pierre douze ans plus tard.
Mais Don Juan ne fit pas jamais un tabac, même si le thème intéressa plus d’un dramaturge comme, entre autres, Carlo Goldoni, George Bernard Shaw, Edmond Rostand, Odön von Hörvath, Max Frisch… La pièce de Molière commença surtout à intéresser vraiment les metteurs en scène, après que Louis Jouvet l’eut recréé il y a soixante dix ans, en en faisant une sorte de drame métaphysique, et en en jouant le personnage principal.
Elle a, même si elle est difficile à monter depuis été toujours à l’affiche, surtout après la mise en scène de Jean Vilar au T.N.P. en 1953 avec lui-même en Don Juan, » mousquetaire cartésien et athée » pour reprendre les mots de Gilles Sandier, Daniel Sorano (Sganarelle), et Monique Chaumette (Elvire).
Avec la garantie à chaque reprise, d’un formidable succès public et de la joie de des comédiens, sauf un : Philippe Noiret, qui, nous avait-il raconté, avait le tout petit rôle de la statue du Commandeur ! Jean Vilar jouera ainsi la pièce pendant cinq ans, dans vingt-trois pays pour quelque 370.000 spectateurs !
Après bien des metteurs en scène, dont Antoine Vitez, Beno Besson, Patrice Chéreau, Roger Planchon, Jacques Lassalle avec le grand Andrzej Seweryn, Jacques Livchine, et enfin Marcel Bluwal avec sa remarquable adaptation pour la télévision, avec Michel Piccoli et Claude Brasseur, Jean-François Sivadier se lance dans l’aventure.
Il insiste sur le fait que « Don Juan est un véritable athée (…)qui va, pendant deux heures, aller de blasphèmes en blasphèmes, cracher sur la croix et piétiner toutes les formes du sacré, à commencer par le mariage (…) Sganarelle fait rire le public en ridiculisant le point de vue de l’Eglise, la morale chrétienne, dans le même temps où il prétend les défendre. »
Et le metteur en scène a raison de préciser « qu’avant d’être un personnage, Dom Juan, tout comme le texte de la pièce, est un espace de projection ouvert à toutes les interprétations possibles ».
Effectivement, il y a eu, ainsi au milieu du XVIIème siècle, une sacrée provocation dans l’air, comme peu d’auteurs français se le sont permis sur une scène de théâtre! Reste trois siècles après, à donner des couleurs à cette histoire de ce jeune homme cynique à la complète amoralité qui pense d’abord surtout sexe et le claironne, qui ne fait qu’une bouchée des belles jeunes femmes, et s’amuse à jouer avec la mort.
Les méthodes de séduction, Don Juan les connaît parfaitement, en grand professionnel qu’il est, et dans une course vertigineuse contre son destin, rien ne doit lui résister : il maîtrise parfaitement les situations les plus scabreuses, et méprise «le faux honneur d’être fidèle ». Comme le disait Jean Vilar, ce héros hors-normes, «se promène à la recherche de Dieu, se présente seul devant «Lui», nie «Ses» pouvoirs jusqu’au moment où une vengeance extraordinaire le foudroie. »
Et sur le plateau, cela donne quoi ? A la fois, le meilleur, surtout au début, avec le couple Sganarelle/Don Juan que Jean-François Sivadier rend tout à fait crédible, avec une direction d’acteurs exemplaire. Nicolas Bouchaud, impose tout de suite ce séducteur hors pair, à la fois élégant, persuasif, irrésistible, insolent mais aussi odieux et cynique. Du grand art.
Vincent Guédon, au début, semble avoir quelque mal avec son Sganarelle, et tape sur la fin des mots quand il fait l’éloge du tabac, mais ensuite, tout proche de son maître, il impose aussi le personnage de ce curieux valet qui, remarque justement Jean-François Sivadier, ne se lance pas dans des intrigues, mais reste l’indispensable témoin dont a besoin Don Juan-approuvant-sincèrement ou pas, on ne le saura jamais et qu’importe, quand son maître hors-normes se lance dans ce pari existentiel qu’il sait sans doute perdu d’avance.
Mais on comprend moins que Jean-François Sivadier fasse autant crier Marie Vialle (qui joue aussi Mathurine, la jeune paysannne) ; du coup, son Elvire est peu convaincante ! Ni pourquoi il impose à Stéphen Butel (Pierrot) une diction telle qu’on comprend mal son texte…
En fait, plus ennuyeux : on saisit mal où Jean-François Sivadier veut nous emmener, malgré les nombreux arguments de sa note d’intention. Bien peu convaincante, cette scénographie signée Christian Tirole, et Daniel Jeanneteau qu’on a connu mieux inspiré. Sur le beau plateau nu de l’Odéon, il y a tout un arsenal: tabourets blancs et noirs, grosses boules de fer et de verre, ampoules à filaments suspendues, échafaudage métallique, toiles en plastique, fausse neige, praticable en planches de bois qui, à la fin, se déconstruit,c statues de type romain, et compteur indiquant le nombre de fois où est mentionné le mot « ciel » dans le texte… Ce gadget, on en conviendra, est d’un extrême intérêt pour la compréhension de la pièce!
Le metteur en scène justifie tous ces accessoires par le fait que « le public de Molière veut voir des machines, des effets spéciaux, ce qui ne l’empêchera pas de s’étonner devant des choses magiques, de l’inexplicable, une statue qui marche et le sol qui s’ouvre. »
On veut bien mais que peut bien signifier« matérialiser le ciel» « ou le ciel devait était regardé comme habité par Sganarelle» ? Cela ralentit le rythme de cette pièce déjà longue, et, plus ennuyeux, ne met pas du tout en valeur les comédiens, comme un peu égarés dans cet ensemble disparate d’accessoires. Désolé, mais les dispositifs scéniques très épurés comme celui de Camille Demangeat pour la mise en scène de Jean Vilar, ou celui de Claude Lemaire pour celle d’Antoine Vitez, étaient d’une autre efficacité…
Le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces petits ajouts au texte du genre: «couilles et sexe» dans des répliques de Sganarelle, et cette inattendue et longue citation d’un extrait de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade commençant par le célèbre : «Français, encore un effort », ou encore ces effets bien faciles, usés depuis longtemps, comme ces arrivées de comédiens par la salle, où Nicolas Bouchaud offre des fleurs à une spectatrice puis les lui reprenant pour les offrir à une autre… Sganarelle chante Les Passantes de Georges Brassens, et Don Juan Sexual Healing de Marvin Gaye, et à la fin, disparait dans une débauche de fumigènes! Tous aux abris!
La jeune lycéenne à côté de nous, s’ennuyait, regardait le ciel de la salle mais fort peu la scène, et les applaudissements, on le comprend, furent juste polis. A force de jouer sur le système : plateau nu, et théâtre dans le théâtre, malgré la précision de sa mise en scène et quelques belles images, Jean-François Sivadier, a sans doute atteint ici les limites du genre, et la ainsi pièce malmenée n’apporte pas grand chose. Quelle tristesse!
Reste le plaisir d’écouter encore et encore, ce texte surprenant, multiforme, qui mélange les genres, où Molière règle visiblement ses comptes un an après créé Tartuffe en écrivant nombre de scènes d’une rare violence, et devenues célèbres…Comme celle où Don Juan veut offrir à un mendiant un louis d’or contre un blasphème et qui sera retirée à la deuxième représentation, ou celle où Don Juan dit que les médecins ne font que «bénéficier des faveurs du hasard et des forces de la nature ».
Voilà. Les 2h 30 sans entracte de ce Don Juan sont bien longues et décevantes… Evitez donc à tout prix d’y emmener des lycéens ou étudiants: ils ne vous le pardonneraient pas!
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, Paris jusqu’au 4 novembre. Théâtre de Vidy-Lausanne du 23 novembre au 2 décembre. Le Grand T du 7 au 17 décembre.
Théâtre National de Strasbourg du 3 au 14 janvier. MC 2 de Grenoble du 19 au 29 janvier.
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