Le Maniement des larmes

Le Maniement des larmes, troisième volet de la trilogie Bleu-Blanc-Rouge: l’A-Démocratie, de, et par Nicolas Lambert

le-maniement2Ce documentaire théâtral, maintenant bien connu d’un large public (voir Le Théâtre du Blog) se propose « d’observer, dit Nicolas Lambert, trois domaines régaliens du régime français. Régaliens, qui ont toujours été à la discrétion du seul Roi (ou Empereur, ou Président de la République suivant le contexte) et que la démocratie en est toujours absente aujourd’hui.”
Thème de ce dernier volet: ce qui tourne autour du quatrième exportateur mondial d’armement qu’est depuis longtemps, et que reste encore la douce France. Dans une opacité totale ou presque- le Parlement étant depuis un décret-loi de 1929, tenu à l’écart de toute information réelle!

Mais parfois cette machine bien huilée connaît heureusement quelques ratés, quand certains journalistes et juges d’instruction avertis et à la ténacité exemplaire, s’emparent d’un de ces épisodes qui ne font ni la gloire de la République française et ni celle des hommes et femmes politiques- tout bords confondus-censés nous gouverner. Aidés par quelques énarques de cabinets ministériels aux dents longues, et par des trafiquants sans aucun scrupule.
Tout cela ne va pas bien entendu  sans des mensonges évidents (plus c’est gros, plus cela passe) et  ceux  de ministres en exercice et de leurs conseillers, voire de Présidents de la République, écoutes téléphoniques et valises bien remplies livrées à domicile ou dans la rue. Et tout ce beau monde nie en chœur qu’il puisse y avoir parfois des  dommages collatéraux avec des morts à la clé, comme dans l’attentat de Karachi qui est à la base du scénario de ce Maniement des Larmes.

Comme l’ont révélé des journalistes de Médiapart, « Le parquet de Paris a refusé d’ouvrir une enquête sur les mensonges de plusieurs hauts responsables des services de renseignement français concernant l’un des personnages-clés de l’affaire, le Saoudien Ali Ben Moussalem. Mêlé à la corruption sur les marchés militaires français, il est aussi étroitement lié au financement du terrorisme. » De quoi mettre mal à l’aise plus d’un Ministre de la Justice…
Résumé des faits : un attentat-suicide avait eu lieu en 2002, à Karachi, capitale du Pakistan, et avait provoqué la mort de quatorze personnes, dont onze employés français de la Direction des constructions navales. Leur bus militaire avait été pulvérisé par un kamikaze au volant d’un faux taxi. Attentat encore officiellement attribué à Al-Quaïda, il y a cinq ans. Mais depuis l’enquête  a montré que l’attentat avait été réalisé avec  des explosifs provenant d’arsenaux pakistanais ! Sans doute par représailles contre la France, et organisées par des services secrets du pays.
Mais les choses s’étaient vite compliqué : pour favoriser la signature d’un contrat de vente de sous-marins, des commissions avaient été versées par la France à certains intermédiaires qui les transféraient ensuite sur les comptes de Pakistanais haut placés. Méthodes admises dans l’industrie de l’armement et autorisées jusqu’en 2000. En 1995, Jacques Chirac, élu président de la République, en ordonnait l’arrêt dans ce contrat, comme dans celui de frégates vendues à l’Arabie saoudite. Il y aurait eu sans doute des rétro-commissions, pour financer la campagne présidentielle du Premier ministre Edouard Balladur !
  C’est tout cela que décortique avec intelligence, Nicolas Lambert après un remarquable travail sur des pièces authentiques, et absolument incontestables, comme des interviews à la radio  d’une famille comme celle de Thierry Gaubert, et des enregistrements d’écoutes téléphoniques, entre autres ceux d’intermédiaires comme Ziad Takieddine, de procès-verbaux d’auditions.  
Nicolas Lambert imite avec férocité Edouard Balladur, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert, Anne Lauvergeon, François Léotard qui considérait en 2002 qu’il y avait eu «une vengeance de personnes n’ayant pas touché leur part de commissions », ou Michelle Alliot-Marie  et Bernard Cazeneuve, actuel ministre de l’Intérieur et à lépqoue maire de Cherbourg ‘où venient les malheureuses victimes ! On entend aussi la voix de Mohamed Khadafi et de son fils. Le comédien a un don exceptionnel pour mettre en évidence les mensonges par omission ou par pirouettes, de gens très (trop ?) sûrs d’eux.
Il suffit de remarquer les hésitations, demi-aveux ou affirmations éhontées des uns et des autres, pour voir très vite les aspects fort peu reluisants de cette affaire. Et Nicolas Lambert, très habilement n’en rajoute pas,  et appuie juste là où cela fait mal.  Ce tricotage, mené de main de maître, se suit comme un feuilleton souvent passionnant.   Et on finit par comprendre que tous  ces gens, souvent très liés entre eux, connaissent bien au moins une partie de la vérité mais qu’ils ne diront jamais rien.
  Ce Maniement des larmes est un spectacle drôle, incisif qui se termine par un brillant discours de Michel Roccard (trop long), comme les deux premières parties de ce spectacle qui souffre d’une dramaturgie maladroite, mais aussi d’un manque de rythme, passée la première heure. Malgré Erwan Temple qui assure la régie sur scène et Jean-Yves Lacombe au violoncelle, qui apporte lui un peu de fraîcheur dans cet étalement de pourriture.
 Nicolas Lambert pourrait resserrer les choses et se limiter à 90 minutes sans que cela nuise aucunement au spectacle, et nous épargner, entre autres, ces répétitions lassantes d’appels téléphoniques de Ziad Takieddine. Il y a bien un fil rouge mais on a souvent l’impression que cet ensemble de petites séquences a parfois tendance à faire du sur-place et hésite un peu entre théâtre et sketches.
Malgré encore une fois, les indéniables qualités-concentration, diction et gestuelle impeccables-de Nicolas Lambert…

Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville 94 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris T: 01 48 06 34, jusqu’au 4 décembre. Les deux autres parties de cette trilogie: Elf, la pompe Afrique se joue du 7 au 11et du 19 au 23 décembre. Et Avenir radieux, une fission française  du 14 au 18 et du 26 au 30 décembre.

Le texte est  publié aux Editions de l’Echappée.

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Archive pour 18 septembre, 2016

Rêve et Folie de Georg Trakl

Rêve et Folie de Georg Trakl, d’après Crépuscule et déclin et Sébastien en rêve, traduction de Marc Petit et Jean-Claude Schneider,  mise en scène de Claude Régy

 

03-reveetfolieGeorg Trakl (1887-1914), poète autrichien, étoile fulgurante et sombre au souffle rimbaldien, et admirateur de Fiedor Dostoïevski, eut une vie brève et intense mais  douloureuse, marquée par les excès de drogue et d’alcool, et par un inceste avec sa sœur Margarete.
Le jeune homme, qui se sent coupable et qui craint de tomber dans la folie et la culpabilité, s’insère avec difficulté dans la société. Les horreurs de la grande guerre poursuivent de son aile néfaste, le jeune poète. Soldat-pharmacien sur le front macabre de Grodek, il mourra à l’hôpital, en novembre 1914, d’une surdose de cocaïne. Accident ou suicide, cette triste fin restera énigmatique…

La poésie de Georg Trakl, d’inspiration expressionniste signe la modernité d’avant 1914. Sébastien en rêve s’apparente à une «douce folie», solennité religieuse et figure mythique de Saint-Sébastien supplicié. L’existence entière se révèle ainsi être celle d’un martyr : souffrance et douleur, angoisse et mort.
Un paysage de nuit et brouillard annonce un mouvement de déclin et de folie, entre putréfaction et mélancolie, puisque le paradis enfantin est perdu à jamais. L’inceste  avec sa sœur restera une de ses images de rejet : «Ma vie s’est brisée. [...] Dites-moi que je ne suis pas fou. Je suis plongé dans une obscurité de pierre. Ô mon ami, comme je suis devenu petit et malheureux. »

Rêve et Folie, poème autobiographique, résonne d’une musique apocalyptique, et prophétise le cataclysme occidental du début du XXème siècle : «Toutes les routes mènent à la putréfaction noire. »

Claude Régy, fasciné par le sentiment de solitude existentielle entre souffle et disparition, interstice entre vie et mort, a mis en scène ce spectacle-performance lumineux, vrai soleil noir, avec l’un de ses comédiens attitrés,Yann Boudaud.

Sallahdyn Khatir a imaginé un dessous d’arche de pont, où l’ombre domine la lumière-matérialisation subtile des arcanes de la création moderne. Cette forme scénographique ovale englobe en son centre le comédien, comme un œil immense.
Yann Boudaud se déplace avec lenteur et précaution, étirant les bras en croix et levant doucement la jambe, avant de la reposer sur le sol, tout aussi doucement. Du fond de la scène,  il s’approche,  pas à pas, des spectateurs attentifs, à l‘écoute furtive de l’inouï.

Le verbe poétique de Georg Trakl,  qui participe d’une sorte de caverne platonicienne d’images colorées et sensorielles, frappe les esprits. Avec des scènes fortes : mort du père, mère au visage blafard, enfance perdue, et la mort s’avançant à pas lents : un cauchemar expressionniste… Le poète pourtant  avance sans relâche mais erre dans le froid et le givre où il se sent très seul.

Reviennent en mémoire les pierres glacées d’un monastère avec son caveau, sa chambre des morts dont les mains déjà tâchées de vert, pourrissent. L’envers du jour devient un thème obsessionnel, quand le promeneur erre dans une «nuit étoilée», un «jardin étoilé», «sous la lune blanche » ou «la nuit argentée de la lune». L’aube rougeoyante accorde ses reflets lumineux à la montagne hivernale, et les rencontres sont souvent annonciatrices de la mort.

Le marcheur viole un enfant, figure détournée de sa sœur, dont le visage ressemble  étrangement au sien. Il étrangle un chat, puis coupe le cou d’une colombe, et dénombre toutes les traces de putréfaction qui blessent le regard du vivant. Dans l’embrasure d’une porte, à travers une prose poétique suffocante, et hérissée de heurts et d’arrêts, apparaît l’ombre maternelle, souvent celle de la sœur, et parfois celle d’un ange.
 Remords et culpabilité rongent sourdement le poète à l’éloquence tendue, figure onirique enserrée dans le silence, accompagnée par l’univers sonore de Philippe Cacchia qui a imaginé un bruit sourd, à la fois lancinant et oppressant de moteur de lourde machine, aux confins du mystère moderne… Comment mieux dire l’absence de Dieu et la solitude absolue de l’homme ? Le poète évoque le poids sur ses épaules, d’une race maudite: celle de la faute et du péché.

Après une si belle expérience, le spectateur pourra relire les Écrits (1991-2011) de Claude Régy où il avoue qu’ «il y a un courage dans la vitalité, incompréhensible, fabuleux, de vivre jour après jour (…) Il y a probablement une force de vie qui est en nous, qui est déposée, qui fait qu’on encaisse tout, parce qu’on a besoin de continuer. Ce besoin que la vie continue à être vivante. »
Rêve et Folie témoigne de cette persévérance à être, et à exister, en dépit de tout, grâce à Georg Trakl, Claude Régy et Yann Boudaud.

Véronique Hotte

Théâtre Nanterre-Amandiers/Festival d’Automne, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre (92),  jusqu’au 21 octobre. T: 01 46 14 70 00/ 01 53 45 17 17.

Écrits 1991-2011 de Claude Régy  sont publiés aux éditions Les Solitaires intempestifs.

 

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Poil de carotte, librement inspiré du roman de Jules Renard

Poil de carotte, librement inspiré du roman de Jules Renard, conception et mise en scène de Silvia Costa

 

silvia_boschieroBottes de foin sur scène, paille dans la salle, cage à lapins, seau en fer pour l’eau et un autre pour les grains des poules : le public sent l’odeur chaude de l’étable et chemine dans l’air campagnard avant de s’asseoir. Agathe Molière incarne Poil de carotte, ce polisson- tête rousse et silhouette de gringalet. Bavard, il précise aux spectateurs l’orientation géographique de la grange, en face de la maison des Lepic, un intérieur qu’il craint, et qu’il nous fera explorer un peu plus tard.

 La nouvelle bonne à tout faire des Lepic survient, prétexte pour lui, à énumérer les habitudes de la famille: le matin, Madame Lepic boit un café au lait, comme Monsieur Lepic, et Félix, leur autre fils, un chocolat ; quant au narrateur aux cheveux roux, il se sert tout seul, prend un verre d’eau et des restes… La domestique est humaine, mais Poil de carotte lui demande de le maltraiter, si sa mère est là; ces deux  personnages dépréciés et proches s’accorderont ainsi…

Nulle plainte ou reproche ne s’échappent de sa bouche enfantine : la jeune femme ne peut recueillir du beau parleur, les mauvais traitements qu’il subit. Alors que la violence s’installe, dès que se rassemblent les parents, Félix et Poil de Carotte qui, lui, semble ne pas faire partie de la tribu… Sa mère se montre en effet menaçante et cruelle, uniquement occupée de Félix, son fils chéri, et amenant Monsieur Lepic, plus bonhomme, à ses vues.
Poil de Carotte subit ainsi l’éviction systématique du groupe familial. Il a son caractère, et aime réfléchir ; vivant au plus près de la terre et de ses  envies, il refuse d’adhérer à la convention, résiste au harcèlement, et écrit des lettres à son père qu’il aime : il  rêve d’aller dans la grande ville… à Paris.

L’énergie à vivre et à découvrir le monde emporte ses petites amertumes quotidiennes qui ne sauraient entamer son désir profond. Portés sur la scène par les comédiens, des panneaux  exposent les mésaventures de Poil de Carotte, comme la chasse, les poux, la taupe, la révolte : tout le petit monde de l’enfant se tient là. Et la dimension initiatrice de l’œuvre passe par une scénographie à la fois simple et ouvragée. Des tableaux peints glissent sur le plateau : salle à manger, chambres du fils et du père, avec une  bureau éclairé par une bougie, où chacun écrit de son côté.
Le sol à carreaux noirs et blancs et les meubles sont joliment dessinés ; les costumes, eux, évoquent la naïveté des premières années : un père plutôt enrobé dans son csotume, une mère avec une  robe-amphore et le fils, en pantalon similaire.
Delphine Chuillot, Élise Marie, Marine Prunier et Alexandre Soulié créent des figures caricaturales savoureuses. Modernisés, les traits de cette fresque reprennent les illustrations de Félix Valloton. Un spectacle classique soigné, que l’on peut comparer à un album ancien de photos de famille. Avec jeux d’ombre et lumière sur des parois translucides.
L’existence se montre et injuste, mais l’enfant, décidé, avance encore….

Véronique Hotte

Théâtre Nanterre-Amandiers/Festival d’Automne, 7 avenue Pablo Picasso Nanterre (92), tout public à partir de  six ans, du 17 septembre au 2 octobre. T: 01 46 14 70 00/ 01 53 45 17 17.

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