Vania, mise en scène de Julie Deliquet
Vania d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène et scénographie de Julie Deliquet
« Scènes de la vie de campagne en quatre actes »-connotation à la Tourgueniev; cela se passe dans la propriété que gèrent Sonia et son oncle Vania qui vivent avec Maria, la mère de Vania (Dominique Blanc) , et Tiéliéguine qui y travaille.
La mère de Sonia n’est plus, et son père, Sérébriakov, médiocre professeur à la retraite, s’est remarié avec Elena, jeune épouse nonchalante.
Pour des raisons économiques, le couple, venu de la ville, séjourne dans la demeure familiale, ce qui en a vite déréglé la vie. Le médecin de campagne Astrov, belle figure d’engagement écologique, séduit la belle-fille timide et sa belle-mère joueuse.
Dans un éloge (1898), Maxime Gorki voyait en Anton Tchekhov, le créateur d’une nouvelle forme d’art dramatique où le réalisme s’élève au symbole dans l’émotion du sentiment existentiel. Les êtres y révèlent malgré eux, une profonde solitude-une meurtrissure-à travers l’oisiveté et l’ennui de la vie campagnarde, l’aspiration à un idéal et la réalité de l’échec.
Le réalisme et l’intériorité servent une peinture impressionniste de la grisaille du quotidien, des rêves de chacun, et de la nostalgie d’une enfance précieuse à jamais passée. La fresque dégage une tendresse infinie, une pudeur élémentaire dénuée de sentimentalité et complaisance, une attention compassionnelle pour le dénuement de l’être, hors de toute vulgarité.
Julie Deliquet fait vivre à merveille les mouvements inter-relationnels et une respiration chorale, avec Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka et Dominique Blanc.
Dans l’espace bi-frontal de la salle créée par Julie Deliquet, avec du coup, un élargissement des perspectives spatiales, le public est comme un invité qu’on attendrait dans cette demeure rustique. Et en train de partager les états d’âme-désenchantements, peurs sourdes et espérances inavouées-d’une cellule familiale sur le point d’éclater, à cause de la venue du professeur et de sa jeune épouse qui fait tourner les cœurs.
Cette situation conflictuelle est atemporelle, qu’on soit à la fin du XIXème ou du XXIème siècle, et en Orient comme en Occident: les hommes et les femmes se murent intérieurement, au bord du gouffre des jours partis, laissant libre cours à une déception intime qu’ils n’ont plus la force de cacher. À moins que les hasards de l’existence comme ici, ne donnent à une Sonia l’occasion de tomber amoureuse d’Astrov, qui, lui, est attiré par la belle Elena (Florence Viala), inclination partagée par Vania, anti-héros aux promesses déçues.
Laurent Stocker, en figure déconcertée et ombrageuse est très attachant, comme Stéphane Varupenne aux élans fougueux, Anna Cervinka, à la sensibilité souriante et touchante, et Hervé Pierre, qui incarne ce professeur odieux,suffisant et prétentieux, ravi de montrer aux siens, le film Vampyr (1932) de Carl Dreyer…
Damnation ou salut de l’âme, l’immatérialité de l’existence s’inscrit dans la trivialité: surexpositions paradoxalement cachées, ombres mouvantes insaisissables. Angoisse et impression d’une vie ludique qui fraie avec la mort. Le public tout proche du plateau ressent encore plus le vide existentiel, comme une vague d’émotion.
Véronique Hotte
Théâtre du Vieux-Colombier/Comédie-Française, rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris, jusqu’au au 6 novembre. T: 01 44 58 15 15
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