L’Opoponax

L’Opoponax de Monique Wittig, mise en scène de Isabelle Lafon

 

1opoponaxcpascal_victorVoici déclamées les premières lignes du livre par Isabelle Lafon debout près de son micro sur pied, comédienne et conceptrice scénique d’une écriture féminine au plateau : « Le petit garçon qui s’appelle Robert Payen entre dans la classe le dernier, en criant qui c’est qui veut voir ma quéquette, qui c’est qui veut voir ma quéquette. Il est en train de reboutonner sa culotte. Il a des chaussettes en laine belge. Ma sœur lui dit de se taire, et pourquoi tu arrives toujours le dernier. »

 

Le ton d’un discours indirect libre malicieux, sans le savoir, est donné: humour, distance, décalage entre le regard de l’enfant et le point de vue amusé de l’adulte, expérience initiatrice universelle de la petite école, paroles instinctives d’une conscience enfantine qui s’éveille. Comique, tirant sur son pull, comme une petite fille mal à l’aise, Isabelle Lafon diffère du personnage de ses deux précédents spectacles, figure digne et grave, aux côtés de Johanna Korthals Altes dans Deux ampoules sur cinq d’après les Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa, et dans Let me try,d’après le Journal 1915-1941 de Virginia Woolf.

 La fréquentation de ces œuvres féminines est délicate : les comédiennes « jouent » leur partition scénique-verbe et posture-dans une belle écoute d’âmes troublées. En phase avec une écriture expressive, tendue par la lutte d’une liberté de femme à conquérir, les comédiennes attentives témoignent d’une grande intériorité. « La première fois que Catherine Legrand est venue à l’école, elle a vu de la route la cour de récréation l’herbe et les lilas au bord du grillage, c’est du fil de fer lisse qui dessine des losanges, quand il pleut les gouttes d’eau glissent et s’accrochent dans les coins, c’est plus haut qu’elle. »

 L’école, qui ressemble à la maison mais, en plus grand, est étonnante pour celle qui parle : « Quelquefois, on fait dormir les enfants l’après-midi mais c’est pour rire. On met, tous, les bras croisés sur la table et la tête dans les bras. On ferme les yeux. C’est défendu de parler. Catherine Legrand ouvre de temps en temps un œil mais c’est défendu aussi. » Attendrissement de l’aventure existentielle des débuts, entre permission et interdit. Il s’agit, dit Marguerite Duras dans sa postface de L’Opoponax , «d’une marée de petites filles qui vous arrive dessus et qui vous submerge… Une seule d’entre nous a découvert cet Opoponax que nous avons tous écrit, que nous le voulions ou non. C’est une fois le livre fermé que s’opère la séparation

 En attendant, et avant de retrouver notre condition d’adulte, il nous faut frayer, nous spectateurs, avec la présence vraie ou fausse des fantômes dans les cimetières ou les bois attenant l’école, dont les silhouettes courent entre les ombres des branches des arbres sous l’intensité de la lune blanche. Dans la journée, on oublie les morts, qu’ils revivent ou pas, car le bleu du ciel s’impose, intense, un bleu absolu à côté des nuages en forme de moutons blancs. Avec, à la batterie, Vassili Schémann, Isabelle Lafon redevient une petite fille étonnée, surprise et attentive aux bruits du monde incontrôlables et étranges.

Véronique Hotte


Théâtre National de la Colline  jusqu’au 20 octobre. Intégrale les samedi  à 19h et les dimanche à 15h: Les Insoumises.
Deux ampoules sur cinq, le mardi à 20h, Let me try le mercredi à 20h et L’Opoponax le jeudi, à 20h.

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Archive pour 27 septembre, 2016

Esther Louise Dorhout Mees

 

Esther Louise Dorhout Mees, un défilé de couture entre mode et opéra.

IMG_9121En mars dernier, pour sa première venue à la semaine de la mode parisienne, la jeune créatrice néerlandaise avait marqué la mémoire de son public.
Avec un travail qui se situe à la lisière du théâtre et de la mode, elle a créé un univers onirique singulier. La scénographie de ses présentations utilise tous les codes d’une salle de spectacle, et un de ses défilés s’est déroulé dans un théâtre à l’italienne accompagné d’un orchestre classique associé à de nombreux effets lumineux.
Le défilé de mars dans le couvent des Récollets, nous avait  transporté dans le monde d’Ophélie et de ses amies de William Shakespeare. En ouverture, une vidéo qui a reçu de nombreux prix, présentait des jeunes femmes perdues dans une nature envahissante portant les créations de la couturière.
Le défilé se terminait par l’apparition d’Ophélie dans la pénombre, vêtue d’une longue robe de plumes. Ce jour-là, les mannequins rehaussés de cothurnes stylisés, portaient des lentilles noires accentuant leur coté animal, qui allait de pair avec les vêtements dont les motifs rappelaient des peaux de bêtes.

Le lien entre féminité et animalité a souvent été souligné, on pense au film La Féline de Jacques Tourneur (1946), et souvent décliné sur scène par Alfredo Arias dans Peines de cœur d’une chatte anglaise ou dans des comédies musicales comme Cats. Toutes ces robes lourdes et difficiles à porter dans la vie courante, contribuent à créer des personnages oniriques inaccessibles propices à l’évasion.E le défilé de cette créatrice sera très attendu. Elle peut emboiter le pas de ses illustres prédécesseurs, comme Yves Saint-Laurent avec Roland Petit, Issey Miyake avec William Forsythe ou Christian Lacroix qui maintenant s’oriente définitivement vers la création de costumes de scène.

Jean Couturier

Défilé le 2 octobre. Modeaparis.com www.dorhout-mess.com

Les Francophonies en Limousin 2016

Les Francophonies en Limousin 2016

 

Cap sur Port-au-Prince

Trente-troisième édition de ce rendez-vous automnal ouvert sur le monde francophone.

Il est vaste et, cette année, Haïti se trouve à l’honneur, avec une fenêtre sur le Festival des Quatre Chemins, fondé en 2003 et dirigé depuis 2013 par Guy Régis Junior, auteur et metteur en scène, surnommé là-bas « Petit Diable ».  Cette durée dans le temps, dit-il, ce n’est pas rien. Surtout dans un pays comme Haïti, soumis aux soubresauts politiques et à l’incertitude comme garantie. »

Limoges s’est fait, le temps d’un week-end, l’écho de la création du pays, avec des expositions, des projections d’œuvres vidéo sur ses murs, et a fait résonner la langue heurtée mais chantante de ses poètes dont celle de Willems Edouard, sauvagement assassiné le 9 juillet 2016. On pourra entendre son écriture dense, syncopée, hachée. Dans Plaies Intérimaires  il décrivait sa ville, son pays au visage triste :

« (…)/ Il est une terre aux beautés éteintes / Là/ Une éternelle homélie de pluie pour l’anuitement des astres/
Là/ Tous les soleils pendus aux lampadaires (… ) / Dans ce pays proféré/ Un décembre quotidien commémore le carnage d’un cœur conteur (…) »

Voir Haïti renaissant de ses cendres, tel est l’objectif, comme l’exprime l’écrivain Lyonel Trouillot : « Où est la ville que j’aimais ? / Je ne veux pas être enterré dans le grand cimetière./ Je veux les lumières mortes de la cité de l’exposition./ Je veux les papillons de la Saint-Jean (…)/ Où es la ville que j’aimais ?/ Viens, mon enfant, ma mère,/ Et ressuscite moi que je te ressuscite : / Tes rues s’ouvrant à moi comme des lignes de chances. »

 

Chérir Port-au-Prince 

chérir Port au PrinceSous forme d’un cabaret, Valérie Marin La Meslée, auteure d’une chronique sensible dont elle nous lit des bribes, nous invite par ce biais au voyage dans les bars de la ville, où fermente la vie littéraire et artistique haïtienne : «  J’ai connu les bars où l’on discute des expressions du cru, les havres où l’on chante, les scènes où l’on déclame, j’ai lu des inconnus magnifiques, vécu des heures où le temps s’arrête sur celui des mots », écrit-elle. Elle donne la paroles à quelques-uns, rencontrés là-bas : Guy Régis Junior, Marc Vallès, James Noël tentent de nous faire revivre l’ambiance de ces cafés : «  Tous ne sont pas des bordels, on les appelle plutôt bars (…) » 

On a pu ainsi apprécier les vidéos du plasticien Makseans Denis, que l’on retrouvera le soir projetées sur l’Église Saint-Pierre. Wooly, à la guitare, nous chante son pays d’une voix chaude… On le retrouvera tout au long de la manifestation.

Cette présentation très impressionniste ne fut qu’une entrée en matière approximative. Les différentes rencontres programmées iront plus loin.

 

Poésie Pays

Poesie-PaysAutour de James Noël, musiciens et chanteurs( Wooly Saint Louis à la guitare et Claude

Saturne aux percussions) ont reconstitués avec bonheur l’ambiance généreuse des soirées “branchées“ haïtiennes : « (…) / j’invite les poètes de demain/ à faire du porte à porte /aller sceller des baisers sur des poitrines/ pour déverrouiller les cœurs /et marteler des kilos de chaises /sur la tête des assis/ (…) » chante le poète dans Le sang du vitrier.

James Noël caractérise son écriture comme « la métaphore assassine », entre hymne à l’amour et colère orageuse.
En 2010, suite au tremblement de terre il publie La Fleur de Guernica : « Devant ce malheur de grande magnitude, le poète en moi est tombé en enfance, alors j’ai écrit un album jeunesse ». En 2011, il surprend avec la parution de Kana sutra, à l’occasion du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo, publication qu’il définit comme un petit recueil de sagesses champêtres pour fixer ses virages et intranqu’îlités.
Il est le fondateur de Passagers Des Vents, première structure de résidence artistique et littéraire en Haïti et cofondateur, avec la plasticienne Pascale Monnin, et de la revue  Intranqu’îllités, l’une des plus belles revues de littérature contemporaine de langue française, dont la version en ligne est hébergée par Médiapart.

 

C’est tout un continent de la littérature à découvrir.

 

(À suivre…)

 

Mireille Davidovici

 

Prochaines rencontres : Poésie Pays autour de Lyonel Trouillot 29 septembre; rencontre avec Lyonel Trouillot, 30 septembre

 

Les Francophonies en Limousin jusqu’au 1er octobre

 

Plaies intérimaires, Willems Edouard. Éditions Mémoires d’encrier

Nous sommes des villes disparues, Lyonel Trouillot in Anthologie de la poésie haïtienne, Point Poésie

Chérir Port-au-Prince, Valérie Marin La Meslée. Éditions Philippe Rey

Le pyromane adolescent suivi de Le sang du vitrier. Seuil (Points), 2015.

Kana Sutra, éditions Vents d’Ailleurs, 2011

La fleur de Guernica (première fiction sur le séisme du 12 janvier en Haïti), illustré par Pascale Monninéditions Vents d’Ailleurs.

 

 

 

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