Faust I et II, de Goethe, conception Robert Wilson

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Faust I & II, de Goethe, conception Robert Wilson, adaptation de Jutta Ferbers, musique de Herbert Grönemeyer, avec le Berliner ensemble.

 

Les temps modernes (ceux qui succèdent juste au Moyen-Âge) ont leurs mythes : Faust incarne un désir humain de toute puissance, d’abord par la connaissance, jusqu’à défier Dieu en créant l’Homunculus (petit homme), cousin de la créature de Frankenstein.
Le vieux Faust, donc, a tout étudié, les sciences, la philosophie « et même la théologie », et il n’y a trouvé que l’amer savoir et la chair triste de qui aurait lu tous les livres. Et si la chair n’était pas triste ? Voilà une nouvelle découverte, une nouvelle étude à conduire. Méphistophélès, le fils maudit du ciel, se charge d’organiser le voyage, en échange de l’âme du savant, son esclave dans l’autre monde.
Mais pour qui ne croit pas à cet autre monde, c’est tentant. Voilà donc notre vieux savant devenu un homme ordinaire, jeune, beau, riche de tous les trésors de la terre, croyant être amoureux et ne désirant qu’un joli corps innocent « aux nattes repliées », qu’il oublie assez vite. On connaît le triste refrain de Marguerite, sorte d’Ophélie germanique : « Ma mère, je l’ai tuée, mon enfant, je l’ai noyé… » (Ce sera aussi celui de la Marie de Woyzeck). Pourtant c’est elle, en allégorie de l’«éternel féminin » qui va le repêcher, à la fin, des flammes de l’enfer. En attendant, la deuxième partie du poème aura emmené Faust aux confins du savoir, de la beauté –il rencontre Hélène en personne-, au-delà du temps, qui ne cesse pas pour si peu de vampiriser la vie humaine.

Du poème dramatique monstre, Robert Wilson et ses coéquipiers ont fait un fantastique opéra-comique. Cela commence, à titre d’échauffement pour les acteurs, par un prologue “d’enfer“ qui nous installe dans une gigantesque et luxueuse baraque de foire. Elle doit s’ouvrir « du Ciel au Monde et du Monde à l’Enfer ». Nous voilà prévenus : nous assisterons à un festival de prodiges, sous la baguette magique –faustienne- de Robert Wilson, qui pourrait bien être à lui-même son propre Méphisto. Chaque image, chaque effet est une perfection. Et travaillé avec une précision “infernale“ : les gestes arrêtés de ses poupées-acteurs, la température d’une lumière, les coïncidences rythmiques…

Si l’on cherche le spectacle total, il est là. La musique, souvent en référence au divertissement Second Empire ou aux années folles, donne le ton de la légèreté. Et on rit souvent. De quoi ? C’est toujours une question intéressante : on rit des facéties, de la séduction du Diable (Christopher Nell). On rit comme des enfants de sa virtuosité totale, au chant, aux claquettes : la baraque de foire tient ses promesses. On rit des marionnettes du pouvoir, empereur, évêque, militaire aux allures du gendarme de Guignol ; on rit aux parodies musicales obligatoires (et virtuoses) : le flamenco de la passion, la musique orientale de l’Égypte ancienne (!)… On ne rit pas toujours : Robert Wilson déconcerte en faisant passer sur l’écran la puissance silencieuse d’un guépard, la beauté du mouvement à peine ralenti (la panthère de Rilke ?).

Le magicien, le grand Robert Wilson, nous a offert les plus beaux « tours » de son répertoire, et nous a littéralement enchantés. Quoiqu’on puisse dire de la perfection de ce spectacle, on reste  en dessous.  Et les changements de scènes, les « knee-plays », sont à eux seuls un prodigieux spectacle d’ombres. Même si la seconde partie du spectacle est une succession, qui lasse un peu, de moments en eux-mêmes enthousiasmants, qui sont nés de la rencontre, du bon mariage entre Robert Wilson et le Berliner Ensemble. La troupe a en quelque sorte rajeuni le metteur en scene. Ces acteurs prodiges savent tout faire : chanteurs, danseurs, d’une incroyable virtuosité, née elle-même du feu, du plaisir de jouer. Pour leur humour, leur liberté dans la rigueur, on a envie de les embrasser tous.

Christine Friedel

Consolation pour ceux qui n’ont pas pu assister à ce Faust : le couple Wilson/Berliner revient, toujours invité par le Théâtre de la Ville, au Théâtre des Champs Elysées avec  L’Opéra de quat’ sous (15 au 31 octobre), et avec Letter to a man, avec Mikhael Baryshnikov, à l’Espace Cardin du 15 décembre au 21 janvier.

 

 

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