Les Francophonies en Limousin 2016
Les Francophonies en Limousin 2016 (suite)
Cap sur les écritures francophones
Les auteurs en jeu ou l’Imparfait du présent
La maison des auteurs des Francophonies reçoit de nombreux écrivains en résidence à Limoges, ainsi que des pièces de théâtre soumises à son comité de lecture.
Pour rendre compte de ses découvertes, venues de tous les continents, le Festival propose des lectures scéniques, confiée à des élèves comédiens. S’y presse le public, nombreux malgré l’heure matinale et curieux d’entendre la langue française déclinée dans sa diversité. D’autant qu’une rencontre avec l’auteur clôt chaque lecture.
l’École du Nord se prête, cette année, à cet exercice, très formateur, sous la direction de Guy Régis Junior (voir Théâtre du Blog). On a apprécié la précision de la direction d’acteur ainsi que la maîtrise et l’intelligence des textes par les quatorze jeunes gens de deuxième année, souvent tous en scène.
Adossée au Théâtre du Nord, à Lille, cette école professionnelle supérieur d’art dramatique est dirigée par Christophe Rauck. Ce dernier a inauguré un nouveau cursus où deux apprentis auteurs se mêlent à chaque promotion.Fait unique en France, calqué sur l’exemple québécois qui a permis à tant d’excellents dramaturges d’émerger Outre-Atlantique. Pour les 16 élèves l’acte d’écriture se trouve au cœur de leur formation, pendant trois ans, par des allers et retours entre les 14 acteurs et les 2 écrivains. Reçus sur dossier et sur une pièce de commande, ceux-ci sont en contact direct avec le plateau. Ils peuvent ainsi tester formes brèves, pièces jeune public ou grand format, produites sous l’œil vigilant de leur parrain (Christophe Pellet pour ce groupe). À l’issue des trois ans, leur pièce, si tout va bien, constitueront le spectacle de sortie d’école. Lucas Samain, réquisitionné pour les coupes dans les pièces lues à l’Imparfait du présent, apprécie ce dispositif : « Nous avons 14 relecteurs qui rentrent dans notre écriture. Ce retour vaut tous les cours de dramaturgie. » Lucie Pollet, directrice des études, précise que ces jeunes auteurs seront également confrontés à des échanges avec l’étranger, cette année, l’école part en Russie, pour un échange avec le GITIS (Conservatoire de Moscou) et le théâtre Fomenko où Christophe Rauck sera metteur en scène invité. Une belle source d’inspiration pour l’écriture…
La profondeur des forêts de Stanislas Cotton (Belgique)
Sirius Malgrétout, alias Le Chat, est hanté par son double, Tommy Tantpis, alias Le Renard. Tandis qu’au sortir de prison Sirius veut vivre une vie normale, Tommy, qui s’avère être un fantôme, essaye de l’en empêcher en le ramenant sans cesse à leur crime . Stanislas Cotton, qui a des dizaines de pièces à son actif ( voir Théâtre du Blog) , avait pour commande de traiter un fait divers sordide qui eut lieu en 1993 en Angleterre : le meurtre d’un enfant par deux autres. Il en fait un conte poétique cruel. Le détour par les deux figures complices de Pinocchio sort la pièce du réalisme et du moralisme. On entre de manière onirique dans le cauchemar de Sirius, ce qui n’empêche pas de poser indirectement la question de la justice et de la résilience : chacun a droit de recommencer une fois qu’il a payé en purgeant sa peine.
L’Aveu de Wael Kaddour ( Syrie) traduit de l’arabe par Wissam Arbache et Hala Omran
Dans sa maison, Omar, jeune metteur en scène, accueille son oncle, colonel de l’armée régulière et son aide de camps, ainsi que deux comédiens, venus répéter La jeune fille et la mort, d’Ariel Dorfman : Haya dont le frère vient d’être exécuté en prison et Akram. La pièce chilienne traite des tortures endurées par une militante dans les geôles d’une dictature sud- américaine et fait écho à la guerre civile en Syrie. Théâtre dans le théâtre, le texte de Wael Kaddour permet d’entrer dans le vif du conflit syrien car elle met en scène des personnages emblématiques des camps qui s’affrontent dans la guerre civile jusqu’aux sein d’une même famille.
« Je voulais parler de la Révolution et mettre en avant la question de la violence : cette violence d’aujourd’hui trouve ses racines dans celle des années quatre-vingt et quatre-vingt- dix explique, le jeune metteur en scène. La Révolution était d’abord pacifique. En revanche la violence imposée par le régime a fait surgir celle qui était enfouie dans la société depuis des générations. » Avant la guerre, dit-il la vie artistique était dynamique dans son pays, malgré le manque de soutien et la censure de l’État. Mais il a dû s’exiler en Jordanie en 2011 et se réfugier en France en 2015. Sa pièce s’ancre sur une situation réelle mais aborde de biais, les thèmes du pardon, de la vengeance et de le reconstruction.
Entorse à la règle du tout francophone, cette lecture correspond à l’urgence de faire entendre une autre parole que celle des médias et pose aussi la question de comment donner corps à des situations réalistes, sans être dans le documentaire à chaud.
Anges fêlé(e)s d’Éva Doumbia
Ibrahima, jeune homme révolté, sort de prison : « Je suis malade du cœur, malade de chier, tu manges, tu chies (…) » Sofia sa sœur, perd la raison tiraillée entre deux cultures : « Les trop-lecteurs deviennent des gens malheureux (…)S’effacer faire disparaître le corps dessiné. (…) J’ai dit oui à non. » Magali crie au viol et pète les plombs … Les personnages, ou plutôt des voix, émergent, se croisent et hantent une ville hybride et violente, Marseille.
« Les anges sont des voix qui sont exhalées par les corps », explique l’auteure. « Mes textes n’étaient pas fait pour le frontal » : d’abord metteure en scène dans des lieux non théâtraux : elle envisage ses spectacles comme des performances autour de l’identité plurielle des Afreuropéens. « Une culture métissée en train de s’inventer dans une grande violence. »
Rythme et ponctuation syncopés, ce premier texte offre plusieurs pistes de lecture à travers les itinéraires chahutés, les colères et les cris rentrés de figures complexes.
Crème-Glacée de Marie-Hélène Larose-Truchon ( Canada-quabec)
Crème-Glacée est en manque d’histoire. Madame Sa mère est bien trop occupée pour lui en conter. Mais La-Vieille-qui-s’emmerde dans le fond du pot de glace lui ramènera l’attention de sa mère et ses histoires. Dans cette charmante pièce pour enfants se réconcilient trois générations de femmes.
Marie Hélène Larose-Truchon s’attache, dans son écriture, à « représenter la langue québécoise en train de mourir car « la langue est une façon d’habiter les terres, ces terres volées aux premières nations. » Sujet dont traite son premier texte, Un oiseau m’attend.
Distribution des prix
RFI et la SACD font cause commune pour la promotion des auteurs francophones.
Le Prix SACD de la Dramaturgie Francophone a cette année deux lauréats : Céline Delbecq avec L’Enfant sauvage et Edouard Elvis Bvouma avec À la guerre comme à la Gameboy pièce qu’on a pu entendre en Avignon cet été, dans le cadre des lectures de Radio France Internationale (voir théâtre du Blog).
L’auteure belge comme le jeune Camerounais évoquent chacun à sa manière des enfants malmenés par le vie : l’un abandonné dans la jungle des villes, l’autre, soldat malgré lui pris dans les nasses de la guerre civile. Leur langue, d’une grande nervosité, donne à ces deux monologues une belle matière à théâtre.
Quant au Prix RFI théâtre, il revient à Hakim Bah, pour Convulsions.
Le jury, présidé par Laurent Gaudé a apprécié son style flamboyant : oral lancinant, fragmenté.
Ce troisième volet d’une trilogie intitulée Face à la mort, revisite la tragédie des Atrides : torture, fratricide, adultère, infanticide, le crime appelle le crime. L’auteur a trouvé un maître en Sénèque qui par le traitement des mythes en vient à montrer l’animalité de l’humain : « comment on mange la viande de l’autre ». Le jeune Guinéen a déjà reçu plusieurs prix et ses pièces, dont certaines éditées, commencent à être montées*
(À suivre…)
Mireille Davidovici
Présentation du 33ème Festival des Francophonies[/embed]
Prochain cycle de lectures : 1er octobre, Les Caraïbéennes
L’enfant Sauvage à paraître aux éditions Lansman
*du 6 au 9 octobre La nuit porte caleçon d’Hakim Bah, mise en scène par l’auteur Théâtre Studio de Vitry
18 novembre Convulsions mis en chantier par Fréderic Fisbach à Théâtre Ouvert et publié à l’occasion dans la collection Théâtre Ouvert/Tapuscrit
Les Francophonies en Limousin jusqu’au 1er octobre