Les Francophonies en Limousin 2016 (suite) Five Kings / l’histoire de notre chute

Les Francophonies en Limousin 2016 (suite)

 

Five Kings / l’histoire de notre chute texte d’Olivier Kemeid d’après William Shakespeare, mise en scène de Frédéric Dubois

 

FRANCOPHONIES 2016 23 SEPT - FIVE KINGS -C.PEAN-2619

©C.Péan

En cinq épisodes datés entre 1960 et 2017, le spectacle nous entraîne dans la saga des Deux-Roses (1450-1485), façon série contemporaine.

 Dans la réécriture d’Olivier Kemeid, le pouvoir est resté un thème central autour duquel se déploient les personnages : « Tout mon travail consiste à décrire les mécanismes actuels du pouvoir, avec l’aide de Shakespeare qui en cernait l’essence. Five Kings, cinq formes de pouvoir que nous retrouvons autour de nous. Richard II : la finance ; Henry IV : le politique ; Henry V : le pouvoir militaire ; Henry VI : on est chez les Bush avec le fils trainard et le père président. La présence forte de la religion avec Jeanne d’Arc. Talbot guerrier romantique. (…). Enfin Richard III, le pouvoir médiatique : l’image, le culte de l’iconographie, la puissance de l’individu. La mafia.» 

Il a fallu cinq ans à l’auteur québécois pour assimiler, maturer puis transposer le cycle des rois maudits shakespeariens : de Richard ll à Richard lll en passant par les deux Henry IV, Henry V et les trois Henry VI. Sur les traces d’Orson Welles et de son projet pharaonique avorté Five Kings –le réalisateur n’avait pu terminer le montage des huit pièces— , Olivier Kemeid s’attelle à ce travail colossal, après le succès de son Moi, dans les ruines rouges du siècle. Une réécriture, dit-il, contrairement à l’adaptation fidèle de Henry IV de Valère Novarina, Falstafe, commandée par Marcel Maréchal. Celui-ci sans toucher à la langue d’origine se contentait de coupes conséquentes faisant de l’abandon de Falstaff le thème central de sa pièce : l’abandon du jeu, et donc de l’enfance…

 

Tel n’est pas l’optique de Five Kings. Olivier Kemeid remanie de façon magistrale le verbe shakespearien en une prose contemporaine charnue rythmée, nuancée quand il prête aux personnages populaires l’accent québécois : Henri lV, s’encanaillant avec Falstaff dans les bouges des bas-fonds, adopte le parler joual, à l’instar de son compagnon de débauche, et lui lance des bordées d’injures à la Capitaine Haddock : «  Gros moisi, éponge houblonnée, Diogène des handicapés », mais il passe progressivement à un françaiset des propos châtiés quand il accède au trône et tourne le dos à son ami. « En bannissant le gros Falstaff tu bannis le monde entier », lui reproche ce dernier dans son phrasé goûteux.

 

Fréderic Dubois traduit cet imaginaire en une somptueuse fresque, épousant à la lettre les options de l’auteur. Lui qui enchanta récemment le public avec Le roi se meurt d’Eugène Ionesco, qui s’est déjà brillamment frotté à Anton Tchekhov aussi bien qu’à Michel Tremblay, Michel-Marc Bouchard ou Xavier Durringer signe ici un spectacle aussi rigoureux qu’inventif.

FRANCOPHONIES 2016 23 SEPT - FIVE KINGS -C.PEAN-2419

©C.Péan

A chaque épisode correspond une esthétique de costumes, une ambiance, impliquant que le temps a passé et le contexte changé. Le temps on le sait, est l’une thématique récurrente du poète élisabéthain et hante cette pièce. Dans Henry lV, le prince Harry arbore une dégaine années soixante dix au côté de Falstaff en hippie vieillissant. Quand apparaît Richard duc d’York ( fascinant Patrice Dubois) dès la fin d’Henry Vl , il agit dans l’ombre à la tête d’un gang de malfrats. Devenu Richard lll, il trône en pleine lumière dans un show télévisé bling bling où il se met en scène lui-même.

Les acteurs endossent plusieurs rôles dont Etienne Pilon touchant en Richard ll et Jean-Marc Dalpé, truculent mais émouvant Falstaff. Moins convaincante, la transposition de la guerre séculaire entre la France et l’Angleterre en un conflit entre l’Occident et le Moyen-Orient.
Jeanne d’Arc devient Jéhad, une paysanne qui, au nom d’Allah, vient à la rescousse de son peuple, les Amasia, tribu du désert. Malgré les alliances avec les reines ennemies, Henri V lance contre eux une invasion préventive, illustrée par des projections d’images de la guerre d’Irak peut-être trop suggestives. On perd ici le surplomb et la distance apportés par l’œuvre originale.

La tirade de Richard Plantagenêt est bien plus parlante et actuelle dans sa généralité : « La paix/ La paix étendue comme un drap blanc sur nos blessures encore vives/ La paix certaine sans failles/ Le repos éternel seul la garantit/ Mais pour avoir ne serait-ce qu’une parcelle de cette paix en ce bas monde / Il nous faut commettre les actions les plus basses / Les sacrifices les trahisons / Élever les cousins contre les cousins/ Les frères contre les frères/ Les fils contre leurs pères. » L’Histoire se répète.

Créé à l’automne 2015 au Québec, joué en avril 2016 à Bruxelles, le spectacle vient pour la première fois en France. Il faut souhaiter plus longue vie à Five Kings, qui en quatre heures trente haletantes nous emporte dans un tourbillon vertigineux. Un vrai coup de cœur.

 

Mireille Davidovici

 Les Francophonies en Limousin, jusqu’au 1er octobre www.lesfrancophonies.fr

Five Kings / histoire de notre chute est publié aux éditions Léméac (Québec/Canada)

 

 

 

 


Archive pour 30 septembre, 2016

Time’s Journey Through a Room

 

 Festival d’Automne à Paris.

Time’s Journey Through a Room, texte et mise en scène de Toshiki Okada, spectacle en japonais surtitré en français

 

317Le séisme de 2011 au Japon suivi du tsunami et de l’accident nucléaire de Fukushima ont profondément inspiré l’écriture de Toshiki Okada, dramaturge contemporain postmoderne, qui renoue avec la tradition ancestrale japonaise dont il s’écartait jusque là pour confronter, sur le plateau comme en littérature, les vivants et les morts.

 

Après la catastrophe japonaise-césure dans le Temps et l’Histoire-n’est-il pas temps qu’advienne, comme «naturellement», une prise de conscience collective efficiente vers  des changements socio-politiques et économiques.Les vivants et les morts sont là pour témoigner de possibilités encore inaccomplies.

 

 A la manière d’un sismographe, le dramaturge enregistre les répercussions de la catastrophe, à long et moyen terme, sur trois personnages – un couple dont la femme,  meurt une nuit, quatre jours après les événements de 2011, et qui continue d’entretenir une parole solitaire  avec son époux qui l’écoute attentivement mais ne lui répond guère, et une amie de celui-ci qui lui plaît bien-ici et maintenant en 2016 -et qu’il invite chez lui. Les sentiments individuels du trio sont révélés par  la parole: l’une parle à l’un, et l’un parle à l’autre, sans jamais que les femmes ne communiquent ; elles appartiennent à des temporalités autres, dans la vie du mari.

 Mais, toujours à la manière d’un sismographe, Toshiki Okada enregistre aussi les soubresauts intimes des êtres, de l’univers et de leurs sons: gouttes d’eau, raclements d’objets en métal, voilages blancs et silencieux qui volètent au passage des courants d’air, ampoules de servante de théâtre, bouquet design de fleurs et vase posé sur table de bois, avec deux chaises: soit le bruit des accessoires quotidiens qui font la musique des jours.

 Toshiki Okada s’est entouré de Tsuyoshi Hisakado, créateur de sons et sculpteur  qui met en valeur tel bruit du monde extérieur, tel mouvement zoomé, à travers une extension des mouvements corporels par le son seul. Le public admire l’étrangeté de l’épouse défunte qui soulève la jambe en esquissant un pas lent et répété de danse, à la manière d’un frottement, tandis que l’époux assis donne une rotation à son pied. Objets et sons, comédiens-les vivants et la morte-sont ici comme synchronisés, comme les accessoires d’une superbe installation vivante, auditive et visuelle.

Après la catastrophe et avant sa propre mort, la défunte pressent la qualité existentielle de tous les instants de la vie auxquels elle ne s’était guère attachée. Ses petits enfants l’agaçaient, avoue-t-elle, dérangeant son confort immédiat, mais elle se rend compte qu’ils portent en eux et à jamais, l’héritage de l’avenir, héritiers en dernière instance de son propre avenir à elle, et à lui.

 Le mari ne répond pas mais prend acte avec intérêt des dires de la défunte, souriante et rieuse,  et son amie du temps présent, introduite sans le vouloir dans ce Voyage du Temps dans un appartement, délicate et précautionneuse, comprend implicitement les effets de la catastrophe éprouvés par son ami. Ces deux solitudes vont se rejoindre pour affronter ensemble le passage des jours.

Une aventure théâtrale intense, à l’écoute de voix intérieures troublées mais vivantes.

 Véronique Hotte

 T2G Théâtre de Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris, du 23 au 27 septembre.

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Issey Miyake, la Semaine de la Mode.

Issey Miyake, défilé pour la Semaine de la Mode.

IMG_8620Souvent spectaculaire, le défilé de ce créateur de soixante dix-huit ans est toujours très attendu . Né à Hiroshima en 1938, il perd sa mère, irradiée, trois ans après l’explosion de la bombe atomique. Après avoir travaillé chez Givenchy et Guy Laroche, Issey Miyake montre sa première collection à New-York, en 1971. Depuis lors, il n’a cessé de surprendre. Alliant tradition et nouvelles technologies, il recherche constamment de nouvelles textures apportant fluidité et légèreté aux vêtements, sans renoncer aux matières ancestrales comme le raphia ou le papier japonais whasi.

Au printemps dernier, au National Art Center de Tokyo, une grande exposition, que nous espérons voir un jour en France, témoignait de son inventivité. Interactive, elle présentait les étapes de son travail de conception, ses influences, et leurs mises en œuvre pratiques. En mai 1968, il disait «vouloir créer des vêtements du quotidien portés par la plupart des gens». Les coûts de production de ses créations l’ont détourné de cet objectif initial! Cependant, tout le monde connait ces vêtements plissés commercialisés sous le nom de Pleats Please, en 1993, Nous savons moins qu’Issey Miyake a créé toutes les tenues de l’équipe lituanienne pour les Jeux Olympiques d’hiver de 1992. En 1999, le couturier présentait sa dernière propre collection, depuis, ses équipes de créateurs perpétuent son état d’esprit à travers les nouvelles collections qui sont en vente dans cent trente-trois boutiques au Japon et quatre-vingt onze à l’étranger.

Son entrée dans l’univers de la danse remonte à 1980, avec Casta Diva de Maurice Béjart ; il poursuit avec William Forsythe et le ballet de Francfort, en 1991, pour The Loss et The small Details là il se fait remarquer au Théâtre du Châtelet par ses costumes plissés. En 2013, il produit avec son équipe une courte chorégraphie de Daniel Ezralov et des gymnastes. Issey Miyake résume ainsi son itinéraire: «Mon travail est une réflexion au long court sur la manière dont les gens s’habillent, c’est une recherche de techniques et de matières pour concevoir de nouveaux vêtements.» Quelle que soit la période, le mouvement a toujours fait partie intégrante de ses créations. Un mouvement perpétuel qui anime en permanence nos vies : en cela Issey Miyake est d’une grande modernité.

Jean Couturier

Défilé le 30 septembre.

www.isseymiyake.com

 

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