Les Francophonies en Limousin 2016 (suite) Five Kings / l’histoire de notre chute
Les Francophonies en Limousin 2016 (suite)
Five Kings / l’histoire de notre chute texte d’Olivier Kemeid d’après William Shakespeare, mise en scène de Frédéric Dubois
En cinq épisodes datés entre 1960 et 2017, le spectacle nous entraîne dans la saga des Deux-Roses (1450-1485), façon série contemporaine.
Dans la réécriture d’Olivier Kemeid, le pouvoir est resté un thème central autour duquel se déploient les personnages : « Tout mon travail consiste à décrire les mécanismes actuels du pouvoir, avec l’aide de Shakespeare qui en cernait l’essence. Five Kings, cinq formes de pouvoir que nous retrouvons autour de nous. Richard II : la finance ; Henry IV : le politique ; Henry V : le pouvoir militaire ; Henry VI : on est chez les Bush avec le fils trainard et le père président. La présence forte de la religion avec Jeanne d’Arc. Talbot guerrier romantique. (…). Enfin Richard III, le pouvoir médiatique : l’image, le culte de l’iconographie, la puissance de l’individu. La mafia.»
Il a fallu cinq ans à l’auteur québécois pour assimiler, maturer puis transposer le cycle des rois maudits shakespeariens : de Richard ll à Richard lll en passant par les deux Henry IV, Henry V et les trois Henry VI. Sur les traces d’Orson Welles et de son projet pharaonique avorté Five Kings –le réalisateur n’avait pu terminer le montage des huit pièces— , Olivier Kemeid s’attelle à ce travail colossal, après le succès de son Moi, dans les ruines rouges du siècle. Une réécriture, dit-il, contrairement à l’adaptation fidèle de Henry IV de Valère Novarina, Falstafe, commandée par Marcel Maréchal. Celui-ci sans toucher à la langue d’origine se contentait de coupes conséquentes faisant de l’abandon de Falstaff le thème central de sa pièce : l’abandon du jeu, et donc de l’enfance…
Tel n’est pas l’optique de Five Kings. Olivier Kemeid remanie de façon magistrale le verbe shakespearien en une prose contemporaine charnue rythmée, nuancée quand il prête aux personnages populaires l’accent québécois : Henri lV, s’encanaillant avec Falstaff dans les bouges des bas-fonds, adopte le parler joual, à l’instar de son compagnon de débauche, et lui lance des bordées d’injures à la Capitaine Haddock : « Gros moisi, éponge houblonnée, Diogène des handicapés », mais il passe progressivement à un françaiset des propos châtiés quand il accède au trône et tourne le dos à son ami. « En bannissant le gros Falstaff tu bannis le monde entier », lui reproche ce dernier dans son phrasé goûteux.
Fréderic Dubois traduit cet imaginaire en une somptueuse fresque, épousant à la lettre les options de l’auteur. Lui qui enchanta récemment le public avec Le roi se meurt d’Eugène Ionesco, qui s’est déjà brillamment frotté à Anton Tchekhov aussi bien qu’à Michel Tremblay, Michel-Marc Bouchard ou Xavier Durringer signe ici un spectacle aussi rigoureux qu’inventif.
A chaque épisode correspond une esthétique de costumes, une ambiance, impliquant que le temps a passé et le contexte changé. Le temps on le sait, est l’une thématique récurrente du poète élisabéthain et hante cette pièce. Dans Henry lV, le prince Harry arbore une dégaine années soixante dix au côté de Falstaff en hippie vieillissant. Quand apparaît Richard duc d’York ( fascinant Patrice Dubois) dès la fin d’Henry Vl , il agit dans l’ombre à la tête d’un gang de malfrats. Devenu Richard lll, il trône en pleine lumière dans un show télévisé bling bling où il se met en scène lui-même.
Les acteurs endossent plusieurs rôles dont Etienne Pilon touchant en Richard ll et Jean-Marc Dalpé, truculent mais émouvant Falstaff. Moins convaincante, la transposition de la guerre séculaire entre la France et l’Angleterre en un conflit entre l’Occident et le Moyen-Orient.
Jeanne d’Arc devient Jéhad, une paysanne qui, au nom d’Allah, vient à la rescousse de son peuple, les Amasia, tribu du désert. Malgré les alliances avec les reines ennemies, Henri V lance contre eux une invasion préventive, illustrée par des projections d’images de la guerre d’Irak peut-être trop suggestives. On perd ici le surplomb et la distance apportés par l’œuvre originale.
La tirade de Richard Plantagenêt est bien plus parlante et actuelle dans sa généralité : « La paix/ La paix étendue comme un drap blanc sur nos blessures encore vives/ La paix certaine sans failles/ Le repos éternel seul la garantit/ Mais pour avoir ne serait-ce qu’une parcelle de cette paix en ce bas monde / Il nous faut commettre les actions les plus basses / Les sacrifices les trahisons / Élever les cousins contre les cousins/ Les frères contre les frères/ Les fils contre leurs pères. » L’Histoire se répète.
Créé à l’automne 2015 au Québec, joué en avril 2016 à Bruxelles, le spectacle vient pour la première fois en France. Il faut souhaiter plus longue vie à Five Kings, qui en quatre heures trente haletantes nous emporte dans un tourbillon vertigineux. Un vrai coup de cœur.
Mireille Davidovici
Les Francophonies en Limousin, jusqu’au 1er octobre www.lesfrancophonies.fr
Five Kings / histoire de notre chute est publié aux éditions Léméac (Québec/Canada)
Je me demandais, si on joue aussi des auteurs Français dans ce festival ?
Bonne journée
Francophonie ? Les Français ne peuvent pas y participer ?