Don Juan du Pays de Montbéliard
Don Juan du Pays de Montbéliard, mise en scène de Marta Pazos
La compagnie Voadora de Saint-Jacques de Compostelle qui était venue en France il y a quelques années, a été créée par Marta Pazos, Hugo Torres, compositeur et musicien, et Josino Diaz également musicien.
Comme le dit Marta Pazos, cette compagnie cherche à mettre en place un processus de création avec des artistes confirmés mais dont les acteurs ne sont en rien des comédiens professionnels. A Montbéliard, Yannick Marzin, le directeur de la Scène nationale de Montbéliard, a ainsi recruté vingt-deux participants (quinze hommes et sept femmes, un seul couple), tous âgés de plus de 62 ans, et tous bénévoles pour jouer une seule représentation.
Ils ont les prénoms de leur génération: André, Danièle, François, Jean-Michel, Monique Yolande, Marie-Claude, etc. et étaient ingénieurs, cadres administratifs, etc. ou enseignants comme cette prof de lettres de Montbéliard qui, au début du spectacle, dit magnifiquement la tirade de Don Juan: « Pour moi la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ».
A partir de la pièce de Molière plus connue en Espagne que celle de Tirso de Molina qui l’a inspiré il s’agit ici pour Marta Pazos de concevoir un nouveau processus de création qui flirte avec la performance: une seule représentation, à partir du mythe, plutôt que du texte intégral de Molière, avec un accent mis sur une gestuelle proche de la chorégraphie, sur les lumières, et avec une musique jouée en direct derrière la scène.
Le tout influencé par une intelligence scénique et une sensibilité très fines des valeurs picturales… Comme en témoigne dès le début, un remarquable rencontre entre un homme et une femme, très sculpturale avec juste quelques vêtements contemporains. Aucun doute, il y a de la peinture classique dans l’air, et des plus sensibles qui soient: Marta Pazos a d’abord en effet été étudiante au département peinture de l’université de Madrid et cela se voit: le spectacle est magnifiquement influencé par les grands artistes du Siècle d’or espagnol: Velasquez, bien sûr, dans la prise en compte de l’espace, les poses et la scène dans la scène, Murillo avec son amour des gens et de la vie quotidienne, son sens aigu du naturalisme, mais aussi Zurbaran pour la mise en scène de ses personnages.
Le spectacle a selon les mêmes principes été créé au Portugal puis à Saint-Jacques de Compostelle. Ces gens de bonne compagnie aux corps marqués par la vie montrent une joie d’accomplir sur le plateau un travail à la fois d’une belle précision et et émouvant. Ils se racontent, soucieux de bien vivre les deux dizaines d’années qui leur restent à vivre: projets de voyages en Amérique du Sud,achat de bonnes crèmes hydratantes pour l’une, de trois chemises pour un autre dans les friperies pour un autre, coupe de cheveux correcte, bref, tout ce qui fait les petites joies comme les petites misères d’intellectuels et cadres retraités…
Lle tout entrelardé de chansons populaires, de réflexions métaphysiques, comme celles de certains extraits du fameux monologue de Sganarelle: « L’âme est ce qui nous donne la vie, la vie finit par la mort, la mort nous fait penser au ciel… Et une autre cite Hannah Arendt et son idée de la liberté: « L’être humain est libre parce que c’est un commencement. « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte, disait déjà Eschyle dans Les Perses, remarquable pièce où les dix personnages et la reine sont aussi très âgés, car la richesse est vaine chez les morts. »
Νous avions été conviés à voir vingt minutes d’une avant-dernière répétition de cet étonnant patchwork en même temps qu’une trentaine de lycéens qui pourraient être leurs petits-enfants. Questions tout à fait pertinentes chez ces jeunes gens étonnés de voir une telle énergie et une telle envie d’en découdre chez ces acteurs-plus âgés qu’eux d’un demi-siècle! et capables de se mobiliser pendant quinze jours autour d’une aventure collective comme celle-ci.
Tout est dit ou presque au cours de ces vingt minutes: la réalité du quotidien, les amours, le sexe, mais aussi la cohorte de médicaments personnels que que chacun énumère sans état d’âme: aérius, almax, atarax,primperan, movalis, novotil, sans oublier dit un des hommes, le désormais célèbre Viagra. Dans une sorte d’impeccable farandole très rythmée; merci une fois de plus, madame Pina Bausch…
Mais très frustrant!!!! ces vingt minutes de répétition donnaient vraiment très envie de goûter un louche de plus de cet étonnant spectacle dont nous n’avons pu voir l’unique représentation du surlendemain. Notre amie Edith Rappoport a eu ce privilège et vous en dira davantage…
Philippe du Vignal
Scène nationale de Montbéliard le 29 septembre.