Du désir d’horizons et Kawral, deux chorégraphies de Salia Sanou
Deux chorégraphies de Salia Sanou :
Du désir d’horizons
Depuis 2014, Salia Sanou et ses danseurs de la Termitière, centre chorégraphique qu’il a fondé avec Seydou Boro, à Ouagadougou (Burkina Faso) en 1995, ont créé des ateliers dans les camps de réfugiés maliens au nord du pays. «Pour eux habitant dans ces endroits d’enfermement, il faut faire quelque chose, dit-il. La danse peut réparer les corps et, grâce à elle, on peut se reconstruire, penser et rêver l’avenir. »
Le chorégraphe s’inspire de ces rencontres avec des hommes, femmes et enfants en transit, pour nous offrir un voyage poétique dont les cinq tableaux retracent les étapes. Pas facile de quitter son pays! Les danseurs, bras lourds et jambes hésitantes, entament une longue marche avant de gagner le camp, d’y trouver leur place dans un quotidien étouffant et, avec l’énergie de la danse, de repartir.
Nourri des «états de corps» observés auprès de ces naufragés de l’espoir : attente, lenteur, mais aussi vitalité, le chorégraphe réunit, autour de sa compagnie, implantée à Montpellier, huit danseurs professionnels venus de tous horizons. Parfois en petits groupes, en file ou en ronde, les interprètes retrouvent les gestes simples de la marche, de la fatigue, de l’inaction, mais aussi de la solidarité.
On trébuche mais on se rattrape : le groupe s’émeut d’un bruit, et tente d’échapper à la promiscuité. La musique, tour à tour harmonieuse ou heurtée, rend compte de ces vies piégées dans le « marécage de l’entre-deux ».
Il y a aussi les mots pour le dire, empruntés à Nancy Huston : « Les gens à peine gens, tous frappés d’immobilité, de stupeur, d’irréalité, plongés dans le noir le silence, incapables de bouger parler voir, de purs esprits s’efforçant de découvrir les premiers mots et surtout un raison de les prononcer. Pas de monde pas d’époque pas de pays (…) » Des phrases ponctuent le spectacle, tirées de Limbes/ Limbo. Un hommage à Samuel Beckett traitant de l’exil linguistique que l’auteur irlandais évoque dans son roman minimaliste, Cap au pire.
Du désir d’horizons n’est pas un documentaire sur la misère des camps, mais, sobre et loin de tout naturalisme, une aventure humaine poignante qui s’ouvre sur l’espoir d’une nouvelle vie. Dans un bel épilogue, chacun s’embarque vers un ailleurs, en mobylette…
Mireille Davidovici
Spectacle vu à Limoges, le 23 septembre aux Francophonies en Limousin (voir Le Théâtre du blog).
Le 13 octobre, à Saint-Brieuc/La Passerelle ; les 18, 19 et 20 novembre au Théâtre Louis Aragon deTremblay-en-France; les 28 novembre à Ouagadougou (Burkina Faso) pour la Triennale l’Afrique Danse.
Et le 17 janvier: Mulhouse /La Filature ; le 24 janvier : Foix, L’Estive; le 9 févrierL’Arc-Scène nationale du Creusot,.
le 5 mai à Annecy/Bonlieu-Scène nationale; et le 13 mai à L’Archipel-Scène nationale de Guadeloupe.
Kawral chorégraphie de Salia Sanou direction musicale de Laurent Blondiau
Entre jazz et danse, entre Belgique et Burkina, cinq danseurs et cinq musiciens se partagent la scène : un échange à jet continu. D’abord, une voix surgit dans la pénombre où l’on devine les instrumentistes disséminés sur le plateau. Les danseurs apparaissent et chacun vient alors, en pleine lumière, défier un musicien comme pour un «battle». Guitare basse (Norberto Lobo), batterie (Joao Lobo), clavier (Giovanni Di Domenico), chant (Lynn Cassiers) et trompette (Laurent Blondiau) répondent à l’invite.
S’ensuit un chassé-croisé: tantôt la musique prend le dessus, tantôt la danse conquiert l’espace. Plus mobiles, les danseurs se regroupent puis se dispersent à l’envie et, pour élargir leur champ d’action, n’hésitent pas à déplacer les musiciens rivés à leurs machines montées sur roulettes… Ceux-ci prennent, dans les rets de leurs sons, les corps, qui sont contraints à suivre la spirale de la musique, et vice-versa. Un danseur saisit le guitariste et, sans qu’il cesse de jouer, le porte à bout de bras dans un insolite pas-de-deux.
Le Fender Rhodes va proposer une tendre mélodie, en accompagnant une scène de groupe. Le souffle de la trompette se mêle à un filet de voix, quand les danseurs s’abandonnent au sol et se relèvent… Issu d’improvisations communes, le spectacle, dit Laurent Blondiau, est «un chaos organique qu’on a peu a peu formalisé ». Avec une liberté de mouvement qui alterne avec des moments plus chorégraphiés. Mais toujours en lien avec la musique : « L’état dans lequel elle nous place, l’atmosphère qu’elle dégage, les regards qu’elle suscite, remarque la danseuse Lucie Ouédraogo, une connexion permanente mais pas forcément mimétique. Comme une énergie qu’on partage sur le même mode, ou dans son contraire : par exemple, un mouvement très lent mais sur des rythmes soutenus. »
Free jazz et free dance réunis pourraient engendrer le désordre, mais non : rythmes et sons, gestes et mouvements se rapprochent ou s’éloignent les uns des autres, selon une dramaturgie précise et une constante maîtrise de l’espace et du temps Mais le spectacle, habité d’une grande énergie, reste fragile, car les artistes ont eu, à Ouagadougou et à Bruxelles, un temps très court de répétitions.
Cette pièce en devenir, avec des moments forts et des passages plus flous, est en tout cas une belle rencontre.
M. D.
Spectacle vu au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, le 5 octobre, dans le cadre du festival Francophonie métissée jusqu’au 17 octobre.
Biennale de la danse du Val-de-Marne : le 17 mars au Théâtre de Saint-Maur et le 19 mars au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
Et le 24 mars au De Kriekelaar, Schaerbeek (Bruxelles). T : 32 2 245 75 22