Juste la fin du Monde, film de Xavier Dolan
Juste la fin du Monde, film de Xavier Dolan, d’après la pièce de Jean-Luc Lagarce
La pièce de l’auteur français bien connu, portée à l’écran par l’enfant terrible du Québec, avec une brochette de stars ? On n’y croyait pas vraiment. Reconnaissons que Xavier Dolan a trouvé dans ce texte quelque chose de lui-même, la griffe d’une souffrance. Jeune, il n’a donc pas connu la grande vague des morts du Sida, mais enfin, l’on en meurt encore, même si la maladie ne fait plus la une des journaux…
Rappelons le fil conducteur : Louis, parti vivre à Paris, n’est pas revenu au pays, voir sa famille depuis douze ans. Ce jour-là, il arrive, un peu à l’improviste, annoncer sa mort prochaine mais il n’y parviendra pas. Ce jour, qu’il pensait être le sien, appartient en fait à tous les autres membres de la famille, aux rancœurs et sentiments que ce retour révèle, comme un bain de tirage de photographie argentique.
Parce que chacun parle, Louis, l’écrivain et le professionnel des mots, ne pourra pas parler. Frustration de la petite sœur qui n’a pas assez connu ce frère, jalousies d’enfance de l’aîné (Xavier Dolan a inversé l’ordre familial) qui ne s’est jamais senti le fils préféré, embarras de la belle-sœur qui découvre ce beau-frère, si lointain et si proche, et gêne due à la trahison de classe : le film suit au plus près la texture de la pièce. Et l’adaptation colle à la langue implacable de Jean-Luc Lagarce.
Chercher ses mots, leur justesse, se corriger, reprendre, c’est fouiller au tréfonds des émotions, remuées par les situations minuscules (accompagner ou non Louis à la gare, prendre le dessert à la fin du repas ou plus tard…). Quoi, ce n’est pas la fin du monde…
Cela donne un film qui parle beaucoup, comme cela arrive à l’occasion de retrouvailles familiales. Une partie de la critique a dénoncé cette abondance en parlant de «théâtre filmé». Pour nous, cela ne peut être un reproche. Après tout, il s’agit de s’expliquer, de communiquer, même si, malgré ses efforts, la famille n’y parvient pas.
Ici, l’écart entre théâtre et cinéma devient plus intéressant dans la mise en scène, et étrangement, on dirait que Xavier Dolan cherche à déplier ce qui est ambigu, ambivalent au théâtre. Dans son film, le non-résolu, l’incertain n’ont leur place que dans la fiction, tandis que sa façon de filmer en très gros plan traque une vérité et une seule, en chaque personnage.
De toute évidence, le cinéma, et ce choix de cadrage, ne peuvent apporter la lecture “plurielle“ qu’offre la scène. Quant à la distribution (pour garder le vocabulaire du théâtre), les stars s’en sortent bien, dans une intéressante unité de jeu : tous, au même degré nécessaire, soulignent le trait. Comme Léa Seydoux (la petite sœur) très juste au début du film mais moins dans la seconde partie, prise au piège d’un jeu plus démonstratif. Vincent Cassel, lui, sature dans l’excès et la violence verbale ! Mais le cinéaste ne lui laisse guère de place pour la nuance.
Marion Cotillard, émouvante dans le rôle de la belle-sœur gaffeuse et hésitante qui découvre cet étrange beau-frère si éloigné et si proche, en fait juste trop pour que ce soit assez… Gaspard Ulliel (Louis) et Nathalie Baye sont très convaincants, pour des raisons opposées : l’un, parce qu’il joue en retrait (logique: il est à la fois l’intrus et le narrateur), l’autre parce qu’elle surjoue-mais avec beaucoup de finesse-une mère qui renifle la vérité (mais peut-elle se dire que son fils va mourir ?) et cache cette inquiétude sous une parade d’histrionne. Cette mère, et non l’actrice, en fait des caisses pour sauvegarder au moins un petit terrain de dialogue.
Le film donne de cette mère une interprétation personnelle, très fouillée. Serait-ce par ce personnage que la pièce de Jean-Luc Lagarce est entrée dans la peau de Xavier Dolan ?
Christine Friedel
Film : actuellement en salles.
Le texte de la pièce est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.
Cassel, dans la peau de Jean-Pierre Bacri! Non?
Pas terrible les dialogues de théâtre au cinéma… En revanche, la dernière scène à l’oiseau, quelle splendeur!