One more thing, performance de Benjamin Verdonck
Festival Actoral, Marseille:
One more thing, performance de Benjamin Verdonck
Quand il tire des ficelles, il tire des ficelles. Ainsi pourrions-nous dire cela de Benjamin Verdonck, paraphrasant le fameux: « Quand je danse, je danse » de Montaigne, tant il semble entièrement absorbé dans son travail, parfaite illustration de la sentence de l’essayiste bordelais qui figure au chapitre De l’expérience : «Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est vivre à propos.»
A Marseille, le performeur belge nous offre un véritable bijou avec cette petite forme : un présent aux deux acceptions du terme. Un moment, un cadeau. Et ce présent concentré est, comme le désigne l’humble titre du spectacle, juste une petite chose à ajouter, telle la dernière question, essentielle ! de Columbo.
Ce spectacle pourrait être un magistral post-scriptum du précédent : Notallwhowanderarelost. En effet, Benjamin Verdonck nous avait déjà présenté une boîte à images dans un coffre en bois, au festival d’Avignon 2015 (voir Le Théâtre du Blog). Nous avions aperçu cette exhibition de ficelles et d’élastiques dans une sorte de castelet/boîte noire, mais dans un dispositif surdimensionné :le plateau de la Chapelle des Pénitents blancs… Ici, ce théâtre d’objets qui occupe moins d’un m3 dans un couloir est conçu pour une vingtaine de spectateurs et dure moins d’un quart d’heure…
Nous avions trouvé Notallwhowanderarelost lent, abstrait, trop exigeant et, somme toute, assez prétentieux. Ici, tant le format, la durée et la proximité du manipulateur créent une intimité idéale, avec le public suspendu à ses regards, et à l’extrême minutie de ses gestes ; caresses d’artiste sur l’objet de son affection. On diagnostique souvent une crise de l’attention dans notre société «multitâches»: nous serions de plus en plus incapables d’accorder un temps long de concentration à un sujet. Enfants qui peinent à rester investis durant un cours d’à peine une heure, employés stressés par l’encouragement à la navigation sur diverses interfaces… Nous ne cessons de jongler avec une profusion de messageries, d’applications, d’écrans.
Ici, Benjamin Verdonck suspend le temps, et il nous propose de partager un rite, de célébrer la vie, avec une grande humilité. Arrêts sur image et lentes métamorphoses se succèdent : des cartons s’ouvrent doucement comme un rideau de théâtre sur le O oculaire de YOU, puis un triangle coulisse, ou un losange apparait. Des ficelles font descendre des cintres un mot bleu mal crayonné et de guingois. Une phrase défilera, une seule : sans cesse suspendue. Délicieuse aposiopèse. Respiration inespérée. Tirée du Diable sur les collines de Cesare Pavese qui nous parle de la place de l’homme dans la nature, et de l’indifférence de la nature à l’homme.
En direct, Mathieu Poulain accompagne le ballet des panneaux d’un chant délicieux, un brin mystique, avec une pédale qui permet des boucles sonores. Performance vocale improvisée qui découvre les micro-événements de la boîte à images, en même temps que nous. Elle aussi respire la phrase à chaque instant. De nouveaux partenaires et instruments escortent chaque représentation, soulignant ainsi davantage l’unicité de l’instant.
Le message écologique, cher à Benjamin Verdonck, n’en est que plus puissant. Quand le vide apparaît au fond de la boîte, béance du sens de notre existence, on en pleurerait. Quand une forme géométrique abstraite lave notre esprit avant l’apparition d’un mot, on éprouve la sensation de la lamelle de gingembre qui efface le goût précédent, et permet de savourer, à neuf, la saveur qui suit.
Le langage semble épais et puissant. Quelle sidération de voir combien le changement d’échelle et de temporalité permet de tout saisir autrement, de partager la préciosité et la fragilité d’une proposition artistique. Aucune parole n’est proférée, mais la poésie infuse : un répit…
Stéphanie Ruffier
Spectacle vu au Théâtre du Gymnase, Marseille, le 7 octobre.
Kaaltheater à Bruxelles, les 3 et 4 décembre.
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