Hearing
Hearing, texte et mise en scène d’Amir Reza Koohestani, en parsi, (surtitré en français)
Une voix, venue de la salle, questionne deux étudiantes en hijab: ensemble ou séparément: Samaneh prétend avoir entendu un homme dans la chambre de son amie Neda. Elle dit n’avoir rien vu. Pourtant, un rapport signé de son nom, a été déposé dans la boîte du pensionnat. Mais elle nie l’avoir écrit.
L’inquisitrice, qu’on découvre assise au premier rang, également voilée, insiste sur les moindres détails. On comprend, au fil de l’interrogatoire, qu’il s’agit d’une étudiante qui a pris la responsabilité du dortoir pendant les vacances. Elle ne cuisine pas ses camarades en raison de convictions politiques ou religieuses, mais parce qu’elle risque elle-même une sanction. Qui a écrit le rapport ? Comment un homme serait-il entré dans un lieu si bien gardé ? Où était la responsable ? Que s’est-il passé vraiment ? Rien n’est élucidé malgré la réitération des questions et réponses.
Hearing, emprunté au langage judiciaire, signifie audience devant un tribunal mais renvoie aussi à ce qu’on entend mais qu’on ne voit pas. A l’incertitude des faits et à leur écho, qui lui serait réel.
Nous sommes dans un clair-obscur où se mêlent passé et présent. Quand Samaneh, dans la deuxième partie, réapparait sous les traits d’une autre actrice, on comprend que dix ans se sont écoulés et qu’elle se rejoue la même scène, indéfiniment, puis sur un mode plus onirique, en duo avec le fantôme de Neda qui la filme.
Un interrogatoire serré que le temps a déformé et de légères variations que la mémoire coupable de Samaneh ressasse, entraînent le spectateur dans un labyrinthe où, déboussolé, il n’aura jamais le fin mot de l’histoire. D’autant qu’une caméra frontale, portée par les deux «accusées», relaie leurs faits et gestes, jusque dans les dédales du théâtre… Hors champ spatio-temporel où leurs traces se perdent…
Cet épisode de la vie d’un internat en Iran fourmille d’allusions et de sous-entendus : « Il est clair que le sujet dépasse la société iranienne, dit Amir Reza Koohestani qui évoque la pression du Conseil de surveillance et d’évaluation mais aussi les stratégies mises en place pour échapper à son couperet, «tout en ouvrant le débat sur la société contemporaine iranienne ».
Le défi peut paraître insurmontable à un Occidental mais pas à lui : « Le théâtre iranien, ou toute autre forme d’art soumise à la censure, ne peut pas prétendre informer au même titre que les médias. Le théâtre est donc libéré de cette fonction-là. Le spectateur, nourri par un flux d’informations qui lui proviennent du monde qui l’entoure, dispose amplement du bagage nécessaire pour lire entre les lignes (…) . Les images sont celles qui se forment dans l’esprit du public, hors d’atteinte de quelque comité de censure que ce soit. »
Mise en scène d’une grande sobriété : sur le plateau nu, les jeunes femmes apparaissent et se figent devant un vaste écran où s‘inscriront les sur-titres lapidaires puis les images filmées. L’écriture comme la direction d’actrices, dépouillées et d’une grande efficacité, touchent droit au but. Pas un mot ni un geste de trop. Les entrées et sorties sur scène rythment ce procès absurde qui n’en finit pas de chercher ses coupables. Souvent, le rire n’est pas loin, surtout parmi les nombreux spectateurs iraniens.
Mais l’utilisation compliquée de la vidéo a quelque chose de désarçonnant qui jette une sorte d’opacité sur la fin du spectacle, d’autant que, techniquement, l’espace du théâtre ne s’y prête pas. Nous avions pourtant apprécié Timeloss, joué en 2014 dans cette même salle, dont le dispositif sophistiqué, était lui, très maîtrisé (voir Le Théâtre du Blog).
Moins évidente, cette pièce qui reste d’une grande subtilité, n’est jamais démonstrative, moraliste ou vindicative. Libre à chacun de se faire un jugement sur la société dont elle est le miroir…
Mireille Davidovici
Théâtre de la Bastille rue de la Roquette 75011 Paris/Festival d’Automne jusqu’au 10 octobre.
Les 22 et 23 octobre, Théâtre populaire romand, à La Chaux-de-Fonds, Suisse ; les 15 et 16 novembre, au Théâtre de la Vignette, Montpellier ; les 18 et 19 novembre, aux Espaces Pluriels à Pau ; les 25 et 26 novembre à Bonlieu scène nationale, Annecy ; les 1 et 2 décembre, au Trident, scène national de Cherbourg ; du 6 au 10 décembre, Centre dramatique de Haute-Normandie, Rouen ; les 13 et 14 décembre, à la Comédie de Caen ; les 9 et 10 mars, TANDEM, scène nationale d’Arras ; les 16 et 17 mars, au Théâtre d’Arles ; du 21 au 24 mars, au Centre dramatique/Scène nationale de Besançon ; les 28 et 29 mars, au TAP, Poitiers ; le 1er avril, CSS Udine, Italie ; du 4 au 7 avril, Lieu Unique Grand T, Nantes.
Et du 27 au 29 avril, au Centre Onassis, Athènes.
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