Moi et François Mitterrand
Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier, mise en scène de Benjamin Guillard
» Je n’en fais pas une affaire d’État et n’en tire aucune gloire personnelle mais, à partir de 1983, François Mitterrand et moi, avons tenu une correspondance assidue. Et, même si nous nous sommes, par la force des choses, quelque peu éloignés l’un de l’autre, le fil n’est pas tout à fait rompu .»
Il se nomme Hervé Laugier, et entre, engoncé dans un costume sombre trop étroit, pour nous délivrer un scoop : vidéo-projecteur, et musique enregistrée à l’appui, le timide conférencier entend rendre publique sa correspondance privée avec François Mitterrand qui commence par une carte postale, envoyée d’Arcachon, le 10 septembre 1983 : « Je voulais vous féliciter de votre élection, fût-ce avec un léger retard. »
A quoi, le Président de la République répond par une lettre-type : « Ne doutez pas que vos remarques recevront toute l’attention qu’elles méritent ». Hervé y croit et n’aura de cesse de se confier à son » ami », dans des missives de plus en plus personnelles, recevant toujours la même lettre de l’Élysée, qu’il analyse chaque fois comme une preuve d’amitié, à la lumière des problèmes de travail qui l’accablent, voir de ses malheurs sentimentaux…
Il poursuivra son activité épistolaire avec les chefs successifs de l’État français et, malgré ses déboires privés en tout genre, s’accrochera, comme à une promesse amicale, au : « Ne doutez pas », figure de style de la prose élyséenne.
L’émouvant petit bonhomme gagne de l’assurance au fil de son récit, allant jusqu’à se prendre pour un précieux conseiller de l’Elysée. Nous traversons ainsi, mine de rien, à la pointe de la plume acérée et cocasse d’Hervé Le Tellier, trois septennats et deux quinquennats riches en événements.
Il y a du chansonnier dans ce spectacle mais pas uniquement. Hervé Le Tellier membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) depuis 1992, et pilier de l’émission de France-Culture Des Papous dans la tête, a su insuffler une grande humanité à son mythomane, relayé en cela par l’interprétation nuancée d’Olivier Broche.
Ce drame de la solitude est traversé par le souffle de l’Histoire, et par l’humour de l’auteur. Les rires fusent aux trouvailles de mise en scène et aux subtilités verbales. L’analyse de la langue de bois élyséenne fait merveille sur le public. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai et a reçu le Grand prix de l’humour noir en 2012 pour ses Contes liquides.
Un spectacle drôle, intelligent, jamais vulgaire, et roboratif en période préélectorale.
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 20 novembre.
Et les 1 et 2 décembre au Tivoli de Montargis (45) ; le 9 décembre, au Nouveau théâtre de Châtellerault (86) ; le 15 décembre, à l’Espace Louis Buisson de Tourlaville (50) ; en janvier, au Théâtre de la Pépinière, Paris pour 60 représentations ; le 7 mars, au Centre culturel Voltaire de Déville-lès-Rouen (76) ; les 28 et 29 mars, à la Comète de Châlons-en-Champagne (51) ; le 10 mai, au Théâtre de Cornouailles à Quimper (29).
Moi et François Mitterrand a été publié aux éditions Jean-Claude Lattès en 2016.