La Peur de Stefan Zweig
La Peur de Stefan Zweig, mise en scène d’Elodie Menant
La Peur, une nouvelle du célèbre écrivain autrichien, publiée en 1920 à Berlin, a fait l’objet d’une édition en deux versions : l’une longue et l’autre plus courte publiée pour la première fois en France en 1935. Cela se passe au début du XXème siècle dans le milieu grand bourgeois de Vienne. Irène, la trentaine mariée à Fritz, un jeune et brillant avocat pénaliste couvert de travail, s’est offert un amant, un jeune musicien, par jeu et par envie d’un autre corps sans doute, qu’elle voit souvent.
Mais un jour, la compagne de cet amant, furieuse, la coince dans l’immeuble, alors qu’elle vient de faire l’amour avec lui. Et Irène va vite être obligée de céder aux menaces de cette femme qui la traque sans cesse, et qui menace de la dénoncer à son mari, si elle ne lui verse pas des sommes importantes : elle arrivera même à lui soutirer sa bague de fiançailles pour le prix de son silence.
Irène, comme le fait bien sentir Hélène Degy, vit désormais dans le mensonge quotidien, soutire de l’argent à son mari, ce qui l’use et lui procure une angoisse insupportable : «Quand tu commences à mentir, dit-elle, il est impossible de revenir en arrière ; chaque mensonge est une nouvelle faute à avouer. »
Et quand Irène finira par avouer du bout des lèvres à Fritz, qu’elle a un amant: coup de théâtre, il avouera, lui, à son épouse …mais on ne vous dira pas quoi. Et, même si le spectateur peut se douter de quelque chose, Stefan Zweig, dans le genre problème résolu de polar, a fait très fort. Des deux côtés, les choses sont allées trop loin, ce dont le jeune avocat a conscience, et il pardonnera à Irène cette sortie de route qui aura fait vaciller leur couple.
Comme on peut s’en douter, cet excellent scénario à la limite de celui d’un polar, a fait l’objet de plusieurs adaptations au cinéma, dont dès 1928, Angst d’Hans Steinhoff et, en 1936, Vertige d’un soir de Victor Tourhanski avec Charles Vanel et Gaby Morlay, et aussi et surtout le film (1954 de Robert Rossellini avec Ingrid Bergman et Klaus Kinski. Mais il ne nous souvient pas d’en avoir vu une adaptation au théâtre.
Elodie Menant avait déjà joué dans La Pitié dangereuse, d’après le roman de Stefan Zweig, et elle connaît visiblement bien l’univers de ses quelque quarante trois nouvelles et deux romans, écrits il y a presque un siècle mais d’une rare modernité, et célèbres maintenant en France, comme, entre autres, Amok, La Confusion des sentiments, Vingt Quatre heures de la vie d’une femme, ou Le Joueur d’échecs (voir Le Théâtre du Blog), des histoires de passion intense à la limite de la folie.
Sur le plateau, une scénographie un peu compliquée, à base de châssis mobiles pas très faciles à gérer que les acteurs aménagent souvent, et suggérant une cuisine, un salon ou un bureau. Elodie Menant a choisi de situer les choses dans les années cinquante et avec des références évidentes aux films d’Alfred Hitchcock, comme Fenêtre sur cour parfois un peu insistantes mais bon…
Le transistor diffuse de la musique et une publicité d’époque pour les gaines Scandale, ce qui énerve Fritz penché sur un dossier compliqué de prédateur sexuel sur lequel Irène prétend avoir son mot à dire, ce qu’il n’apprécie pas du tout.
Bref, les époux ont du mal à gérer leur territoire respectif, entre vie de famille pour elle, et travail pour lui, à la maison. Le début de cette mise en scène a un peu de mal à fonctionner sans doute à cause, vieux problème, de la difficulté à recréer un univers romanesque sur un plateau de théâtre où il faut bien ne retenir que l’essentiel.
Elodie Menant, malgré ces changements de décor trop fréquents, a su donner le rythme nécessaire à cette descente aux enfers et a réussi à rendre crédibles ces trois personnages : Irène et Fritz qui s’en vont à la dérive, incapables de se parler et encore moins d’agir, englués dans le mensonge surtout elle, mais sinon… il n’y aurait pas d’intrigue, et cette jeune femme inquiétante, toujours là quand on ne l’attend pas. Et elle a aussi réussi à créer une belle unité de jeu entre Hélène Degy (Irène) très impliquée dans son personnage, Aliocha Itovich (Fritz) et Ophélie Marsaud ( la fausse épouse).
Le spectacle est bien rodé et il n’y a aucun temps mort sur scène, dans cette saga sentimentale où les protagonistes diront à la fin qu’ils partagent enfin le même dossier… Après avoir vécu un peu chacun de leur côté. Il y aura sans doute un avant et un après dans leur couple, un peu cabossé par toute cette histoire, mais ils continueront à vivre ensemble avec leurs deux enfants…
A voir ? Oui, c’est un très bon travail de mise en scène, et fondé sur une adaptation intelligente de Stefan Sweig qui se laisse déguster, même si c’est à 19h, et à un prix de places de théâtre privé: donc pas donné, de 18 à 29€ quand même. Mais bon, si vous avez le bonheur d’avoir moins de 26 ans, c’est 10 €…
Philippe du Vignal
Théâtre Michel, rue des Mathurins, 75008 Paris jusqu’au au 31 décembre, du jeudi au dimanche à 19h. T: 01 42 65 35 02
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