Les Bienveillantes de Jonathan Littell

 

Les Bienveillantes de Jonathan Littell, adaptation de Guy Cassiers et Erwin Jans, mise en scène de Guy Cassiers, en néerlandais, surtitré en français

 04_guy_cassiers_les_bienveillantes_c_kurt_van_der_elstDans La Promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide 1939-1943  (Editions du Seuil),  Christian Ingrao s’intéresse à ce qu’il nomme l’Utopie du IIIème Reich, une idéologie dont l’application revient à coloniser et à germaniser les territoires de l’Est conquis lors de la seconde guerre mondiale : «Pour les dirigeants SS et leurs cohortes d’experts dévoyés,  dit André Loez dans Le Monde, les vastes territoires pris à la Pologne, puis à l’URSS, devaient voir renaître et se déployer une germanité purifiée, au prix d’un tri brutal et d’une élimination méthodique de leurs habitants, et tout d’abord des juifs. 

Guy Cassiers a porté à la scène Les Bienveillantes, ce terrible roman(prix Goncourt 2006) de Jonathan Littell, franco-américain d’origine juive russe, qui tente d’expliquer cet événement terrifiant d’un passé récent, entre fiction et émotion empathique d’un côté, et connaissance factuelle et rigoureuse, de l’autre.
Le spectacle pourrait être un voyage dans la chambre mentale du narrateur, personnage fictif qui a participé aux massacres nazis comme officier SS. Hans Kesting, sobre et convaincant dans ce rôle équivoque, raisonne d’abord méthodiquement, puis s’abandonne de plus en plus souvent à la conscience et au malaise d’une perte flagrante d’humanité personnelle. Entre cauchemars et fantasmes d’effroi. Max Aue qu’il interprète, se présente comme un homme banal auquel on peut s’identifier : «Tout ce que j’ai fait de mal, vous spectateurs, dans ma situation, vous l’auriez aussi fait. »

 Jonathan Littell, met en lumière les discussions techniques et idéologiques des génocidaires : Max Aue voit les juifs comme une main d’œuvre indispensable à l’Allemagne pour gagner la guerre  et considère qu’on ne peut les tuer, sans d’abord les faire travailler. Mais le mathématicien Adolf Eichmann ne supporte pas que l’Allemagne puisse un jour gagner la guerre grâce à ces sous-hommes dont il faut, selon lui, se débarrasser au plus vite.

La résonance avec le temps présent  est manifeste. Comment prétendre qu’on ne peut avoir de responsabilité individuelle, sous prétexte qu’on se trouve engagé dans un régime totalitaire? Question que l’on se posait hier à propos des  nazis, comme aujourd’hui, à propos de nos devoirs envers les migrants. «Comment les femmes et hommes politiques, s’interroge Guy Cassiers, semblent-ils nous convaincre qu’il y a un danger venu de l’extérieur,  celui de cultures extérieures ? Il y a aussi le rôle des médias qui transmettent, sans le contredire, le rôle de la crise économique qui renforce ces sentiments de peur. »

 Le spectacle réussit à faire passer l’indicible des comportements : quelques hommes affirment d’emblée haut et fort qu’ils ne supporteront pas cela, et qu’ils s’opposeront donc à l’inadmissible, alors que d’autres approuvent sans broncher, les actions des autorités en place, par lâcheté et paresse, par manque de volonté ou de pensée correctement articulée et armée.
Costumes et décors de Tim Van Steenbergen installent d’emblée l’atmosphère délétère du microcosme-couleurs brunes et lumières tamisées-des officiers S.S. et le scénographe a imaginé un théâtre d’objets qui donne à voir le destin tragique des juifs condamnés à mort. Comme cet envol soudain, dans les hauteurs, de paires de chaussures usagées, rassemblées sur le plateau…

Une voie de chemin de fer va de cour à jardin, et suggère un espace de triste mémoire que le narrateur traverse pour s’adresser directement au public, et en fond de scène, un mur métallique impressionnant de boîtes d’archives, recelant des dossiers indignes, possède des alvéoles carrées, petites loges symboliques pour urnes funéraires, métaphore des exterminations.
La vidéo de Frederik Jassogne fait surgir l’officier dans son mal-être, visage et corps et les comédiens sont tous investis par la gravité et l’autorité de leur personnage… Comme ce chœur de gradés en tenue kaki débraillée, serviteurs du Mal, usés par les horreurs qu’ils ont accomplies, du massacre de Babi Yar, en passant par l’horrible bataille de Stalingrad, jusqu’au  la destruction par bombardements de Berlin en 1945.

 Un spectacle fort pour les jeunes générations qui n’en finissent pas de ne pas comprendre l’abjection d’hommes faillibles et indignes de leur condition d’être.

 Véronique Hotte

 Nouveau Théâtre de Montreuil /Maison de la Culture de Bobigny, jusqu’au 16 octobre.

 

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