Mes prix littéraires
Mes prix littéraires de Thomas Bernhard, adaptation et mise en scène d’Olivier Martinaud
La Scène Thélème, nouveau lieu parisien, a l’originalité d’allier l’art du théâtre à celui de la cuisine. Projet né d’un rêve de Jean-Marie Gurné, passionné depuis toujours par les arts et la gastronomie. Dans l’ancien restaurant de Guy Savoie (XVIIème arrondissement) ce rêve est devenu réalité, à la table de Thomas Bernhard.
Mes prix littéraires, série de nouvelles inédites a été publiée pour la première fois en 2009 en Allemagne, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin.
Dans chacune d’elles, l’auteur, lors de la remise des divers prix qu’il a reçus, en profite pour se livrer à une critique sévère, pleine d’humour, du milieu de la culture et de ses institutions:«ces ignorants de l’art et du beau», mais aussi des sociétés allemande et autrichienne.
Nous sommes devant un objet théâtral singulier. Le public, est installé sur des chaises et des banquettes, très près d’une estrade en guise de scène. Avec, comme unique décor, un verre de vin rouge et un livre posés sur un guéridon, et une chaise.
On pourrait considérer ce projet d’Olivier Martinaud comme une exploration dramaturgique en continu de Mes prix littéraires. Créé en 2012 à La Loge, puis repris pour une nouvelle création, au Lucernaire à Paris deux ans plus tard, le spectacle voyage car, le même soir, il passe en effet d’une interprétation à une autre, avec Laurent Sauvage d’abord, puis avec Olivier Martinaud qui, chacun seul en scène, poursuivent avec jubilation, le fil de ces récits.
La forte musicalité, toujours présente dans l’écriture de Thomas Bernhard, exige des comédiens une écoute du texte et une interprétation très construites: à fleur de peau. Aucun faux pas possible, au risque d’éteindre le feu et l’esprit mordant mais aussi la grande poésie de l’écrivain autrichien. Un travail subtil: l’écriture mise en mouvement grâce à la voix de ces acteurs remarquables qui jouent le personnage de l’écrivain, se déplace comme sur un fil. Tout en équilibre et en rythme, fragiles avec Laurent sauvage, et plus déterminés avec Olivier Martinaud qui, tour à tour, captivent le public.
Grand moment d’émotion, par exemple, avec cette phrase répétée Le froid augmente avec la clarté, prononcée par Thomas Bernhard à la remise du prix de littérature, à Brême (1965), et dite ici par Laurent Sauvage, avec un timbre de voix doux et profond à la fois. Nous sommes emportés par la personnalité de ce grand auteur qui nous livre, non sans humour et désespérance, ses angoisses et ses colères, tiraillé entre la nécessité financière de recevoir ces prix et l’humiliation, à devoir les accepter.
La mise en scène d’Olivier Martinaud, comme son interprétation et celle de Laurent Sauvage, sensibles et très maîtrisées, laissent percevoir un homme en souffrance, habité par le génie de l’écriture mais aussi par un sens du comique, coloré par le tragique et l’absurdité du monde: Thomas Bernhard avait fortement conscience de la médiocrité de son temps…
Elisabeth Naud
La Scène Thélème,18 rue Troyon, 75017 Paris. T : 01 77 37 60 99, jusqu’au 14 octobre
Le texte est publié aux éditions Gallimard.