Io sono Rocco

Festival Actoral (Temps fort, la scène belge) :  

 

Io sono Rocco, mise en scène et scénographie de Salvatore Calcagno

Comment dire la mort d’un proche ? Le sublime et le grotesque de ces moments à la fois intenses et triviaux ? Cela commence comme du théâtre-narration : on se souvient de Finir en beauté de Mohammed El Khatib qui s’est joué au festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog) qui, puisant à la source du réel et de l’intime, nous racontait l’agonie de sa mère, avec des mots simples, des documents, des faits, et des paroles brutes.

 Ici aussi, un plateau à nu et vide. Mais les mots ne sont pas incarnés et s’impriment sur le beau mur de pierre, encadré de colonnes, du Théâtre des Bernardines. Ils évoquent la mort du père avec un peu de détachement. Comme dans l’incipit de L’Etranger d’Albert Camus, on ne souvient plus très bien de la date. Et puis, il ne faudrait pas que ce décès dérange trop le quotidien des vivants.

soeur noire Ensuite, sus aux mots : place au corps ! Entre en scène une soprane à la belle présence qui chante, puis s’éclipse pour laisser place à la déambulation solennelle d’une longiligne religieuse  aux vêtements blancs qui contrastent avec sa peau noire. Affublée de bottes de cuir à vertigineux talons-aiguille. Ce pourrait fort bien être une infirmière de film d’horreur, un personnage trouble dont on devine la duplicité.
Elle pousse un chariot, déploie une panoplie d’instruments inquiétants, se maquille outrageusement avec un rouge à lèvres sanguin, et dévoile un ensemble de lingerie vulgaire. Son manège devient de plus en plus inquiétant quand elle enlève sa coiffe, puis tranche ses longs cheveux avec un couteau. Et soudain, elle provoque un spectateur en duel.

 Au premier rang du public, se lève alors le danseur Salvatore Calcagno. qui est à l’origine de ce projet inspiré par le décès de son père et la découverte de ses vieux disques d’Ennio Morricone. Il imagine «un chapitre chorégraphié et fantasmé de son journal intime», dont le cœur dramaturgique serait la question du deuil.
Deux techniciens viennent installer une  grande table en inox avec, à chaque extrémité, couteaux et tomates, fenouil, artichaut, basilic…). Et nous voilà subitement projetés dans l’univers d’un western spaghetti : Rocco face à la Mort.  Un duel des chefs commence alors : « La garce avait les traits de la mort… je l’aime ».

Nous basculons dans l’allégorie. Le face à face est un deal, comme chez Bernard-Marie Koltès. Mais tacite. Avec une esthétique qui lorgne du côté de Kill Bill de Quentin Tarantino. La Mort est une putain superbe, un serpent venimeux, une Black Mamba, aussi sensuelle que vengeresse. Sur son visage de statue, apparaît fugacement une face grimaçante de gargouille où passent  très vite la Beauté et la Faucheuse. Et bien sûr, elle fume des clopes, comme toute cow-girl qui se respecte.

La table ne cesse de tourner sur son moyeu central, telle une roue de la fortune. S’y succèdent jeux dangereux de couteaux, interversion des rôles, découpage sauvage de légumes. Toute l’immanence de la chair. Nous retenons notre souffle, cela semble dangereux (le bandage du danseur au genou trahit-il une blessure lors des répétitions, ou le talon d’Achille de ce corps bien charpenté ?) Un combat  long, hypnotique. Un peu lassant à la longue. Puis la table devient autonome : temps et espace sont détraqués (out of joint),  comme dit Hamlet, après avoir parlé avec le fantôme de son père, et découvert qu’il a été assassiné par son oncle.

 Ce «mimodrame», à  la belle chorégraphie, offre un moment singulier, bien loin du réalisme des chambres d’hôpital, où se vivent prosaïquement les agonies. Y soufflent les troubles délices de fantasmes sadomasochistes. Malgré les longueurs qui concourent à la sensation de persévérance, on apprécie l’idée de mettre les adversaires à table, debout, et de suggérer le vertige  par un  incessant mouvement circulaire! L’imagerie italienne de mafiosi attablés pour négocier, n’est jamais loin.
 Intéressant personnage de théâtre que cette femme fatale qui nous cuisine! Elle semble échappée d’une bande-dessinée ou du Grand Guignol sanglant. Dans l’arène, le jeune garçon athlétique, au corps d’éphèbe, est moins puissant. Bang, bang! Nous garderons  de ce spectacle quelques images fulgurantes.

 Stéphanie Ruffier

Le Festival Actoral, a eu lieu à Marseille du 27 septembre au 15 octobre et se poursuivra à Montréal du 25 octobre au 5 novembre.

 

 

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Archive pour 20 octobre, 2016

L’Héritier de village de Marivaux

L’Héritier de village de Marivaux, mise en scène de Sandrine Anglade

 

7Un paysan Blaise, (Vincent Debost) qui sait ce qu’il veut, est un rustre, récemment enrichi par un héritage que sa bêtise expose à toutes les duperies. Vaniteux, il prodigue son argent, enseigne les mondanités à sa femme Claudine (malicieuse Julie Teuf), et exige que ses enfants reçoivent la meilleure des éducations et veut pour eux de futurs époux nobles : soit un miracle de promotion sociale.
Pour leur fille Colette (la même Julie Teuf, tout aussi sucrée), se présente un chevalier sans scrupule (Tonin Palazzotto), aristocrate déchu qu’intéresserait bien un mariage fortuné.
Et pour leur fils Colin (Yacine Sif El Islam), Madame Damis (Julie Bertin), veuve attirée par une alliance de sauvegarde, ferait, pour Blaise et Claudine, plutôt bien l’affaire. Et quoiqu’il arrive malgré tout, Arlequin (Johann Cuny) affiche l’optimisme du profiteur installé.

Marivaux écrit L’Héritier de village en 1725, sur un thème d’actualité : la banqueroute de Law a eu lieu quelques années plus tôt ! Pour Sandrine Anglade, la pièce, entre ironie et sarcasmes, humour et moquerie douce-amère, révèle la dimension d’une fable/farce. En effet, ce couple de pauvres bougres se croit riche, et on les croit riches, le temps d’une parenthèse drôle et cynique.
Des gens que tout oppose socialement à eux,  jouent les séducteurs, inventant une communauté improbable qui se dilue dans la seule valeur de l’argent, où tous les hommes  sont crédules, naïfs, et menteurs. La pièce provoqua un certaine scandale, quand en 1965, au festival du Théâtre universitaire de Nancy,  le jeune Patrice Chéreau la mit en scène.
Bernard Dort écrivait alors : « La comédie de ces paysans qui singent le beau monde, prenait soudain une réelle violence… » L’Héritier de village s’annonce en effet comme une comédie de l’éducation, non du cœur et de la raison, mais de la déraison et de l’incohérence d’une société hypocrite fondée sur l’argent.
Le pittoresque du langage provoque des effets burlesques : ces paysans parlent le dialecte d’Ile-de-France, mais stéréotypé pour le théâtre, avec une  prononciation conventionnelle et nombre de formes verbales au pluriel au lieu du singulier. Ainsi dit Blaise à sa Claudine : «Eh morgué, souvians-toi de la nichée des cent mille francs, n’avons-je pas des écus qui nous font des petits ? » ou encore : «Le brocard, les parles et les jouyaux ne font rian à mon dire, t’en auras bauge, j’aurons itou du d’or sur mon habit. » Vocabulaire et images respirent la saveur authentique du terroir, avec un mouvement des phrases expressif et énergique.

 Frédéric Casanova  a créé une scénographie facétieuse, avec un sol  nu, séparé à cour par deux grands châssis de tissu dessinant une alcôve, et à jardin, une véritable montagne de chemises sur laquelle règne lave-linge, coffre-fort ouvert ou fermé, sombre ou lumineux, selon les rentrées ou sorties financières du trésorier, titre que Blaise s’est arrogé à l’improviste.

 Il y a aussi un beau théâtre d’ombres-agrandies et projetées sur la toile de fond-, un jeu vivant et enfantin de théâtre dans le théâtre  où  tous, paysans et nobles déchus, s’amusent à se jouer la comédie jusqu’à la magie de pièces d’or qui tombent en poussière dorée sur un Blaise rêveur. Le spectacle irradie une bonne humeur, et un souffle de moquerie : les acteurs qu’accompagnent les musiciens Romain Guerret et Arnaud Pilard, jouent à plaisir cette farce loufoque  qui est aussi une comédie grave, dansent allégrement et chantent Aux Marches du palais avec une belle sérénité. Ils sautillent avec grâce avant la débâcle,  avec un rire mi-figue mi-raisin, parfois teinté d’amertume, entre poésie et politique…

Véronique Hotte

Spectacle vu au Théâtre Firmin Gémier-La Piscine à Châtenay-Malabry, le 18 octobre. En tournée en France.

Edgar, le cœur dans les talons

Edgar, le cœur dans les talons, mise en scène de Yoann Chabaud

 

« Mon fils en tutu ? Jamais ! » assure Francis. L’homme ne semble pourtant pas un mauvais bougre. Mais la pression sociale est forte : que diraient ses collègues de chantier, s’ils apprenaient que sa progéniture se passionne pour la danse classique ? Seul en scène, les yeux dans les yeux, Edgar nous raconte sa vocation d’artiste : une lutte qui tient de la grâce. Avec une détermination sans faille, tel un boxeur, il esquive à merveille les petites phrases assassines de sa famille, de ses camarades de classe, mais aussi et surtout les préjugés sur la virilité.
Car, inutile de faire des entrechats, plane ici le spectre de l’homophobie et de la misogynie : un garçon délicat qui chausse des ballerines ne serait-il pas un peu une fille ? Dans la cour de récré, tout le monde n’est pas tendre, et quand il entend « pd », Edgar préfère penser qu’on le compare à Patrick Dupont. Et puis, il a quelques alliés…

Dans des saynètes tour à tour tendres ou  haletantes, il se glisse à merveille dans la peau et la parlure de ses interlocuteurs, façon solo et théâtre d’objets. Première bagarre, premier amour fou pour une jeune beauté (oui, Edgar aime les filles !), première audition… Toutes les étapes de sa vie jusqu’à la consécration sont retracées.
Le milieu ouvrier fait, bien sûr, songer au film Billy Elliot et certaines scènes de confrontation (dont un onirique combat au poing et un repas chez le patron) rappellent les cruautés décrites dans le roman Pour en finir avec Eddy Bellegueule. Pour autant, l’ensemble reste plutôt léger, un peu naïf parfois.

Quand il danse, le cabotin Edgar se met à nu, nous emporte et terrasse ce que d’aucuns voudraient réduire à une bête et fallacieuse théorie des genres, alors qu’il s’agit de se mouvoir, au nom de la liberté d’être soi. Les changements facétieux de costumes (ah ! le fameux collant pour homme et le clin d’œil à Dirty Dancing), tout comme les très belles irruptions de chorégraphies donnent envie de se lever, pour se jouer, comme Edgar, du féminin et du masculin.

Un magnifique spectacle positif, qui nous touche en utilisant les armes de l’humour et dont la sincérité ne fait aucun doute. N’hésitez pas à le partager avec des enfants qui, dès huit ans, seront sensibles au message : « Deviens qui tu es ».

 Stéphanie Ruffier

 Théâtre de Ménilmontant. T : 01 46 36 98 60, jusqu’au 21  décembre.

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