Edgar, le cœur dans les talons
Edgar, le cœur dans les talons, mise en scène de Yoann Chabaud
« Mon fils en tutu ? Jamais ! » assure Francis. L’homme ne semble pourtant pas un mauvais bougre. Mais la pression sociale est forte : que diraient ses collègues de chantier, s’ils apprenaient que sa progéniture se passionne pour la danse classique ? Seul en scène, les yeux dans les yeux, Edgar nous raconte sa vocation d’artiste : une lutte qui tient de la grâce. Avec une détermination sans faille, tel un boxeur, il esquive à merveille les petites phrases assassines de sa famille, de ses camarades de classe, mais aussi et surtout les préjugés sur la virilité.
Car, inutile de faire des entrechats, plane ici le spectre de l’homophobie et de la misogynie : un garçon délicat qui chausse des ballerines ne serait-il pas un peu une fille ? Dans la cour de récré, tout le monde n’est pas tendre, et quand il entend « pd », Edgar préfère penser qu’on le compare à Patrick Dupont. Et puis, il a quelques alliés…
Dans des saynètes tour à tour tendres ou haletantes, il se glisse à merveille dans la peau et la parlure de ses interlocuteurs, façon solo et théâtre d’objets. Première bagarre, premier amour fou pour une jeune beauté (oui, Edgar aime les filles !), première audition… Toutes les étapes de sa vie jusqu’à la consécration sont retracées.
Le milieu ouvrier fait, bien sûr, songer au film Billy Elliot et certaines scènes de confrontation (dont un onirique combat au poing et un repas chez le patron) rappellent les cruautés décrites dans le roman Pour en finir avec Eddy Bellegueule. Pour autant, l’ensemble reste plutôt léger, un peu naïf parfois.
Quand il danse, le cabotin Edgar se met à nu, nous emporte et terrasse ce que d’aucuns voudraient réduire à une bête et fallacieuse théorie des genres, alors qu’il s’agit de se mouvoir, au nom de la liberté d’être soi. Les changements facétieux de costumes (ah ! le fameux collant pour homme et le clin d’œil à Dirty Dancing), tout comme les très belles irruptions de chorégraphies donnent envie de se lever, pour se jouer, comme Edgar, du féminin et du masculin.
Un magnifique spectacle positif, qui nous touche en utilisant les armes de l’humour et dont la sincérité ne fait aucun doute. N’hésitez pas à le partager avec des enfants qui, dès huit ans, seront sensibles au message : « Deviens qui tu es ».
Stéphanie Ruffier
Théâtre de Ménilmontant. T : 01 46 36 98 60, jusqu’au 21 décembre.