Violence(s)

 

Violence(s) de Jalila Baccar, mise en scène de Fadhel Jaïbi (en arabe, surtitré en français)

 

violence« Un terrible constat : la révolution tunisienne, par beaucoup d’aspects, au lieu de porter l’espoir, a engendré peurs inédites, angoisses, dépressions, gestes désespérés, violences multiples au quotidien, voire crimes atroces. Pourquoi, par milliers, des jeunes gens se sont-ils jetés dans la mer pour gagner «le monde libre» ? Pourquoi tant de suicidés ( … ) Pourquoi tant de vols,  braquages,  saccages, viols, meurtres, homicides, et en progression exponentielle? » Violences s’annonce sous ces sombres auspices.
En prise directe sur la société tunisienne, la compagnie Familia Prod s’est faite le sismographe, spectacle après spectacle, des soubresauts qui agitent son pays. Amnesia (2011) anticipait la chute d’un dictateur. Et dans Tsunami, en 2013 (voir Le Théâtre du blog ), Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi craignaient la montée en puissance  d’une «théocratie fascisante» ; il n’en fut rien mais, pour eux, l’après « printemps tunisien » n’annonce pas forcément  des lendemains qui chantent. Plutôt un monde chaotique traversé par une violence sous-jacente qui explose dans une série d’actes, passés au crible de la plume habile et labile de l’auteure.

Nous voici plongés dans un monde en noir et gris: le décor dépouillé de Fadhel Jaïbi. En ouverture, une jeune femme se glisse, hésitante sur le plateau nu. Seule. Un silence interminable s’installe quand elle avance prudemment, recule, puis sort et revient. Un mouchoir sur le nez, Lobna Mlika qui joue son propre personnage, suffoque : elle vient de pénétrer -on le comprend bientôt- dans les geôles de la République tunisienne, pour rendre visite à Fatma, détenue pour le meurtre de son mari.

Sous le regard muet de Jalila Baccar  (ou plutôt de son double cauchemardé, ébouriffé et livide), Fatma Ben Saidane  (c’est aussi le nom de l’actrice), hagarde et en haillons, dialogue avec sa visiteuse: elle ne se souvient plus de rien.
Séquence après séquence, les détenus, hommes et femmes, errent comme des ombres devant le haut mur gris en fond de scène où, au milieu, un couloir s’enfonce au cœur des ténèbres. Quelques bancs, une table meublent ce lieu tour à tour parloir, cave de torture ou salle d’audience. S’y  énoncent des crimes plus atroces les uns que les autres. L’un a tué son amant, l’autre, sa mère, un autre encore a violé une voisine…

La structure fragmentée de la pièce où les drames s’accumulent et se mêlent, reflète la confusion d’êtres déboussolés qui avouent leur crime, sans en élucider le pourquoi et, souvent, sans avoir les mots pour le dire. Où est leur humanité dans cette avalanche de faits divers ?
Ces lycéens, qui ont défenestré leur enseignante puis se sont acharnés sauvagement sur elle, ont oublié les mots d’Albert Camus : «Un homme, ça s’empêche ».  La violence qui s’exerce dans la sphère privée et familiale trouve son apogée dans les attentats terroristes. « Un homme, ça s’empêche de laisser surgir la bêtes immonde en lui » : la phrase revient comme un leitmotiv en contrepoint de ces horreurs.

Créé au Piccolo Teatro de Milan, en septembre 2015, Violence(s) est un spectacle courageux qui va à l’encontre de la bonne parole et explore une société en pleine dépression, à l’instar de la nôtre. « Mais, au-delà de l’explication culturelle, sociale, économique, politique, psychiatrique…, n’y a-t-il pas un grand mystère, un trou noir insondable lié au « passage à l’acte » ? », s’interrogent Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi lequel dirige, depuis 2014, le Théâtre National Tunisien et son école. Une question brûlante qu’ils portent à la scène de façon magistrale, servis par la troupe du Jeune Théâtre national tunisien. Les comédiens, très expressifs, engagent leur corps entier. D’autant qu’ils ont donné leur nom aux personnages qu’ils incarnent et se projettent en quelque sorte en leur double criminel. L’auteure elle-même, jongle avec cette double identité, et compose sur scène une figure étrange et singulière.

La pièce s’est élaborée à partir d’improvisations mais, une fois de plus, l’écriture de Jalila Baccar, tantôt puissante et incantatoire, tantôt laconique, nous emporte, relayée par la mise en scène, au-delà du réalisme, dans un théâtre de la cruauté. Un spectacle étouffant mais où des pointes d’humour (noir) apportent quelques respirations salutaires. Les quelques rires s’étouffent. Mais  on n’en sort pas indemne… car, ne nous voilons pas la face, réfléchir à la violence est devenu, partout, une nécessité.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu à Bonlieu/Scène nationale d’Annecy le 19 octobre.

Journées Théâtrales de Carthage du 18 au 26 novembre) ; la compagnie Familia Prod y créera aussi un nouveau spectacle.


Archive pour 23 octobre, 2016

Cartographies

 Cartographies: L’Atlas de l’Anthropocène, conception et interprétation de Frédéric Ferrer

-Franck-Alix_2-2000x2645Premier épisode d’une série de cinq conférences sur le climat, qu’ on a vu pour beaucoup d’entre nous mais sont toujours aussi réjouissantes. Frédéric Ferrer autrefois géographe mais devenu auteur, acteur, metteur en scène, avait  d’abord monté Liberté à Brême de Fassbinder il y a vingt ans avant d’interroger les figures de la folie (Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade et Pour Wagner).
Il a consacré  au dérèglement climatique deux  cycles de conférences : d’abord Les chroniques du réchauffement avec Mauvais temps (2005), Kyoto for ever (2008), Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer le réchauffement climatique (20011) et plus récemment Sunamik Pigialik aux Métallos.
  Sur le plateau, juste une petite table avec de petits canards en plastique jaune, comme ceux qu’on met dans le bain des enfants, un écran  pour quelques  projections. Frédéric Ferrer nous parle de ces 90 canards lancés par la NASA américaine pour une expérience  sous les glaces  de l’Arctique, pour évaluer le changement climatique et les conséquences sur la formation des icebergs et la vitesse de leur fonte. Ces vilains petits canards auraient dû à un moment ou un autre réapparaître dans la mer mais que nenni depuis 2008, pas la moindre  trace du moindre canard… Donc échec total. Même si le réchauffement climatique est bien là. Les canards ont tout de même légitimé la présence des Américains au Groënland !  Belle opération de communication…
Frédéric Ferrer  va de sa table de conférencier à l’écran où sont projetées d’impressionnantes images de la fonte de la banquise.
Son dynamisme  et son humour emportent l’adhésion du public, même si on reste sceptique sur la réalité de l’entreprise….

Edith Rappoport

Les déterritorialisations du vecteur

Sur le plateau, une petite table de conférencier avec un ordinateur, et un palmier en pot. Au mur un écran. cela suffit pour que Frédéric Ferrer mène jusqu’au bout une brillante démonstration, à la fois solide sur le plan scientifique et absolument loufoque dès qu’il se met à parler. Avec une diction et une gestuelle excellentes.
Mais cela commence  sur le mode foutraque: « Soit je peux dire tout ce que je veux dire en trois heures, soit, seconde option, je vais essayer de dire ce que je disais en trois heures… en une heure ».

Frédéric Ferrer va nous démontrer, avec un calme déconcertant et de façon tout à fait scientifique  qu’Aedes albopictus, un moustique venu des forêts tropicales via les avions et les bateaux, et cela malgré toutes les mesures de protection sanitaire, est arrivé jusqu’au Sud de la France et en particulier dans la région de Montpellier. Et on a toutes les raisons de s’inquiéter.
Cet ennemi de l’homme, porteur  de ces graves maladies que sont la dengue et le chikungunya se reproduit à grande vitesse et se fait le plaisir de voyager aussi sur les autoroutes françaises en pratiquant le covoiturage sans aucun scrupule.Il semblerait qu’il soit aussi arrivé des Etats-Unis en logeant dans le creux des pneus exportés en Europe.

Frédéric Ferrer maîtrise remarquablement son sujet, et on rit souvent de bon cœur devant tant de malheurs. Mais il aurait vraiment pu oublier de nous présenter des vidéos à la fois vulgaires et faciles, où on le voit faire le clown sur des aires d’autoroute, ce qui lui aurait aussi permis d’économiser aussi de l’énergie électrique (un grand écran, cela consomme!). Au même chapitre on se demande bien aussi pourquoi il y a autant de projecteurs allumés- tout à fait inutiles, pour éclairer, avant le spectacle, la scène et la salle. Quand on prêche, et avec raison, les économies d’énergie, autant commencer par faire ce que l’on dit de faire!

A ces réserves près, c’est un  solo à la fois intelligent et hilarant. Pas si fréquent dans le théâtre contemporain…

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point, Paris jusqu’au 23 octobre à 20 h 30; Les Vikings et les satellites les 15 et 21 octobre, Les déterritorialisations du vecteur les 16 et 18 octobre, Pôle Nord les 7, 12 et 20 octobre et Vow les 8, 11 et 23 octobre.

 

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