Espia a una mujer que se mata

 

Espia a una mujer que se mata  (Il espionne une femme qui se tue), de Daniel Veronese, d’après Oncle Vania de Tchekhov, traduction de Françoise Thanas, mise en scène de Guy Delamotte

 IMG_0466Sous ce titre énigmatique, se cache une curieuse version de la pièce dont Daniel Veronese nous donne la clef : «Il  y  a  une  phrase qui  m’accompagne  depuis  quelque  temps  et que je   trouve   très   tchekovienne:  “L’homme  qui   se   noie,  espionne   une   femme   qui   se   tue ».
 L’adaptation qu’il a faite des Trois  Soeurs s’intitule El hombre que se ahoga. Il considère ces deux pièces comme un diptyque, et veut marquer un décalage  par rapport au texte de son modèle russe. «Il est vrai que j’aime conserver le nerf de la pièce, écrit l’auteur et metteur en scène argentin. (…) J’essaye de retirer tout ce qui est du domaine du paysage, de l’ornement, des feuilles mortes pour laisser la chair à vif. J’ai besoin de dépouiller Tchekhov (…) »
Mais, avant que le drame ne se noue dans un huis-clos étouffant, les situations peinent à s’installer : Daniel Veronese tient à nous rappeler, en préambule, qu’il s’agit ici de théâtre… Et la scénographie de Jean Haas le signifie habilement, en jouant sur le champ/hors champ : autour de l’aire de jeu proprement dite, une simple estrade qui rassemble un modeste mobilier de cuisine en formica, et trois fauteuils années soixante.
Les comédiens s’agitent, entrent les uns après les autres sur le petit plateau pour y poser leurs accessoires ou pour, simplement, prendre possession de l’espace très réduit  de la représentation.

Pendant ces préliminaires, un père et sa fille s’affrontent sur la question du théâtre: lui dénonce les formes nouvelles comme déjà vieilles et le narcissisme des acteurs ; elle, défend la cause de cet art qui constitue son idéal. On aura  vite reconnu le professeur à la retraite Alexandre Serebriakov  et  sa fille d’un premier lit, Sonia. «J’aime parler  théâtre  dans  mes  pièces, se justifie l’auteur.  C’est pourquoi,  j’ai   pensé  que  le  personnage  de  Serebriakov  pouvait  être  un   théoricien   du théâtre. »

Comme s’ils étaient en répétition, les comédiens se lancent alors, sans rupture et sans changer de costumes, dans les scènes d’Oncle Vania, raccourcies de moitié, dégraissées, aux dialogues concis et rajeunis, et qui se succèdent en cascade sans laisser aux personnages le loisir de s’épancher sur leurs frustrations latentes.
Daniel Veronese aime peu les soliloques ! Ici, Vania, beau-frère d’Alexandre et oncle de Sonia, ne ressasse pas à longueur de temps, l’impression d’avoir gâché sa vie à cause de ce vieillard hypocondriaque qu’est devenu le brillant professeur de jadis. Et il est secrètement amoureux d’Elena, seconde épouse d’Alexandre. Pas plus qu’Elena ne traîne inlassablement son mal-être. Seul, Astrov, le médecin de campagne se lance toujours dans de longues considérations alcoolisées sur la disparition des forêts. Ici, la vodka coule à flots…

 La tension montera après l’entrevue de Sonia (Marion Lubat) avec Astrov qu’elle aime en secret, mais lui n’a d’yeux que pour la jeune et belle Elena. L’action atteint son point culminant dans la dispute entre Serebriakov, qui veut vendre le domaine de sa fille, et Ivan Voïnitski, qui fait mine de tuer son beau-frère. Ce qui précipite le dénouement : Serebriakov et Elena quitteront les lieux pour toujours. On mesure l’efficacité de l’adaptation, dans cette dernière moitié du spectacle, et surtout dans les scènes finales.

 Malgré une distribution inégale et un démarrage un peu laborieux, le spectacle trouve son allure de croisière et nous entraîne vers un Tchekhov revu et corrigé dont on apprécie cependant la complexité. Les curieux inserts des Bonnes de Jean Genet sont des clins d’œil de plus au théâtre, auquel  l’auteur fait de nombreuses allusions, notamment avec des citations d’Ostrovski, et des références à Stanislavski. Les courtes scènes entre Claire et Solange, les deux bonnes, quoique destinées aux initiés, font leur petit effet comique d’anachronisme.
Joliment interprétées par Alain d’Haeyer (Astrov) et François Frapier, elles scellent la complicité entre ces deux cœurs brisés. Ce dernier incarne un Vania inattendu, tout en tension mais non sans nuances.

Le duo final avec  Sonia donne une belle envergure à sa fameuse et dernière réplique « Tu n’as pas eu de joie dans la vie… Mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons… ». 

 Après Tristesse animal noir d’Anja Hilling (voir Le Théâtre du Blog), le Panta Théâtre poursuit, à Caen, le défrichage des écritures contemporaines. Il faut saluer la traduction de Françoise Thanas qui, depuis vingt ans, nous fait découvrir nombre de dramaturges sud-américains.

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 23 novembre. T. 01 48 08 39 74.


Archive pour 29 octobre, 2016

Espia a una mujer que se mata

 

Espia a una mujer que se mata  (Il espionne une femme qui se tue), de Daniel Veronese, d’après Oncle Vania de Tchekhov, traduction de Françoise Thanas, mise en scène de Guy Delamotte

 IMG_0466Sous ce titre énigmatique, se cache une curieuse version de la pièce dont Daniel Veronese nous donne la clef : «Il  y  a  une  phrase qui  m’accompagne  depuis  quelque  temps  et que je   trouve   très   tchekovienne:  “L’homme  qui   se   noie,  espionne   une   femme   qui   se   tue ».
 L’adaptation qu’il a faite des Trois  Soeurs s’intitule El hombre que se ahoga. Il considère ces deux pièces comme un diptyque, et veut marquer un décalage  par rapport au texte de son modèle russe. «Il est vrai que j’aime conserver le nerf de la pièce, écrit l’auteur et metteur en scène argentin. (…) J’essaye de retirer tout ce qui est du domaine du paysage, de l’ornement, des feuilles mortes pour laisser la chair à vif. J’ai besoin de dépouiller Tchekhov (…) »
Mais, avant que le drame ne se noue dans un huis-clos étouffant, les situations peinent à s’installer : Daniel Veronese tient à nous rappeler, en préambule, qu’il s’agit ici de théâtre… Et la scénographie de Jean Haas le signifie habilement, en jouant sur le champ/hors champ : autour de l’aire de jeu proprement dite, une simple estrade qui rassemble un modeste mobilier de cuisine en formica, et trois fauteuils années soixante.
Les comédiens s’agitent, entrent les uns après les autres sur le petit plateau pour y poser leurs accessoires ou pour, simplement, prendre possession de l’espace très réduit  de la représentation.

Pendant ces préliminaires, un père et sa fille s’affrontent sur la question du théâtre: lui dénonce les formes nouvelles comme déjà vieilles et le narcissisme des acteurs ; elle, défend la cause de cet art qui constitue son idéal. On aura  vite reconnu le professeur à la retraite Alexandre Serebriakov  et  sa fille d’un premier lit, Sonia. «J’aime parler  théâtre  dans  mes  pièces, se justifie l’auteur.  C’est pourquoi,  j’ai   pensé  que  le  personnage  de  Serebriakov  pouvait  être  un   théoricien   du théâtre. »

Comme s’ils étaient en répétition, les comédiens se lancent alors, sans rupture et sans changer de costumes, dans les scènes d’Oncle Vania, raccourcies de moitié, dégraissées, aux dialogues concis et rajeunis, et qui se succèdent en cascade sans laisser aux personnages le loisir de s’épancher sur leurs frustrations latentes.
Daniel Veronese aime peu les soliloques ! Ici, Vania, beau-frère d’Alexandre et oncle de Sonia, ne ressasse pas à longueur de temps, l’impression d’avoir gâché sa vie à cause de ce vieillard hypocondriaque qu’est devenu le brillant professeur de jadis. Et il est secrètement amoureux d’Elena, seconde épouse d’Alexandre. Pas plus qu’Elena ne traîne inlassablement son mal-être. Seul, Astrov, le médecin de campagne se lance toujours dans de longues considérations alcoolisées sur la disparition des forêts. Ici, la vodka coule à flots…

 La tension montera après l’entrevue de Sonia (Marion Lubat) avec Astrov qu’elle aime en secret, mais lui n’a d’yeux que pour la jeune et belle Elena. L’action atteint son point culminant dans la dispute entre Serebriakov, qui veut vendre le domaine de sa fille, et Ivan Voïnitski, qui fait mine de tuer son beau-frère. Ce qui précipite le dénouement : Serebriakov et Elena quitteront les lieux pour toujours. On mesure l’efficacité de l’adaptation, dans cette dernière moitié du spectacle, et surtout dans les scènes finales.

 Malgré une distribution inégale et un démarrage un peu laborieux, le spectacle trouve son allure de croisière et nous entraîne vers un Tchekhov revu et corrigé dont on apprécie cependant la complexité. Les curieux inserts des Bonnes de Jean Genet sont des clins d’œil de plus au théâtre, auquel  l’auteur fait de nombreuses allusions, notamment avec des citations d’Ostrovski, et des références à Stanislavski. Les courtes scènes entre Claire et Solange, les deux bonnes, quoique destinées aux initiés, font leur petit effet comique d’anachronisme.
Joliment interprétées par Alain d’Haeyer (Astrov) et François Frapier, elles scellent la complicité entre ces deux cœurs brisés. Ce dernier incarne un Vania inattendu, tout en tension mais non sans nuances.

Le duo final avec  Sonia donne une belle envergure à sa fameuse et dernière réplique « Tu n’as pas eu de joie dans la vie… Mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons… ». 

 Après Tristesse animal noir d’Anja Hilling (voir Le Théâtre du Blog), le Panta Théâtre poursuit, à Caen, le défrichage des écritures contemporaines. Il faut saluer la traduction de Françoise Thanas qui, depuis vingt ans, nous fait découvrir nombre de dramaturges sud-américains.

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 23 novembre. T. 01 48 08 39 74.

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