L’Enfant caché dans l’encrier de Joël Jouanneau
L’Enfant caché dans l’encrier de Joël Jouanneau
On connaît l’auteur et metteur en scène de pièces destinées au jeune public, et celui des textes de Samuel Beckett, Thomas Bernhard, Elfriede Jelinek… Dans Le Marin d’eau douce (2007), il racontait déjà l’histoire d’un enfant, appelé juste Enfant, qui s’ennuyait dans son grand château.
Pour rompre cet ennui, il décidait de prendre la mer, et à l’issue de ce périple, rencontrait Minnie, sa presque sœur qui le baptisait Ellj. C’est ce même personnage qu’on rencontre dans cette nouvelle pièce. L’enfant s’ennuie toujours, livré à lui-même, et passe ses grandes vacances dans le château de son père, un grand amiral toujours absent.
Un jour, il entend une voix sortir de l’encrier, celle d’une petite sœur inconnue qui l’appelle au secours et le voilà donc parti sur les routes pour la délivrer. Pendant son voyage sur terre et sur mer, Ellj retranscrit sur un cahier d’écolier ses aventures qui vont prendre vie sur le plateau, par la magie de la lumière, du son, et de quelques accessoires.
Sur le plateau, quelques meubles tirés d’un grenier : un lit en fer, un coffre, un vieux matelas,un escabeau de bois, quelques objets et peluches…
Un seul acteur, Dominique Richard, conteur et acteur de sa propre histoire, s’adresse directement aux enfants dans une langue étrange où tous les verbes sont à l’infinitif, un procédé d’écriture qui plonge le spectateur dans une immédiate étrangeté.
Dans un hors-temps où règnent aventure et magie. Il n’y a plus ni présent, ni passé, ni futur mais une mystérieuse simultanéité. Tout devient possible : coups du sort, et rencontres fortuites : Basile, l’Ardoizoo, un infortuné compagnon de voyage et enfin Annj, la petite fille inuïte, en qui se réincarne la presque-sœur tant recherchée.
Grâce à la scénographie de Vincent Desbats, l’espace confiné du plateau s’ouvre sur tous les horizons, les objets s’animent et les meubles se transforment. Le jeu des lumières: petite bougie allumée, cercle de sable coloré, brouillard nocturne, contribue avec la musique à recréer cet univers merveilleux de l’imaginaire enfantin mais où toute mièvrerie est absente ; l’errance de cet orphelin le fait se heurter aux blessures, aux obstacles et murailles des cités.
Joël Jouanneau offre ici une vision ambigüe de l’enfance, miracle de rêverie mais aussi douleur de l’errance : « Les Orphelins ! dit-il, ce pourrait être le titre générique de mes pièces pour enfants. […] Or, si les enfants qui habitent mes textes sont placés, adoptés ou trouvés, ils ne portent pas plainte pour autant. […] Ils ont été mis au monde, comme on dit, et c’est précisément de ce monde qu’ils se sentent orphelins. […] Ils le cherchent, ce monde promis, mais ne le trouvent pas, ou se heurtent à ses murs, clôtures, frontières et autres barbelés. Interdit d’entrer. Papiers ou circulez : il n’y a rien à voir. D’où leur errance et cet esprit nomade qui les habite. »
Le spectateur adulte d’aujourd’hui, quand il entend: « naufrages, murs, clôtures, papiers ou sinon circulez ! se met à trembler et à penser que le monde interdit aux enfants l’est aussi leurs parents !
Michèle Bigot
Spectacle vu le 26 octobre au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence.