Entretien avec Stanislas Nordey
Entretien avec Stanislas Nordey
Stanislas Nordey, cinquante ans, acteur et metteur en scène, a été, entre autres, artiste associé au Théâtre Nanterre-Amandiers, puis a dirigé avec Valérie Lang, le Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis. Et de 2000 à 2013, directeur pédagogique de l’école du Théâtre National de Bretagne. Il a monté de nombreux textes d’auteurs contemporains: Porcherie et Affabulazione de Pier Paolo Pasolini, Les Paravents de Jean Genet, Les Comédies féroces de Werner Schwab, Atteintes à sa vie de Martin Crimp, Gênes 01 et Peanuts de Fausto Paravidino, Incendies de Wajdi Mouawad mais aussi des classiques dont La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, ou Se trouver de Luigi Pirandello. Stanislas Nordey a aussi réalisé une quinzaine d’opéras et plus récemment, a mis en scène des pièces comme My secret garden et Je suis Fassbinder de Falk Richter qi ont provoqué un gardn intérêt du public(voir Le Théâtre du Blog). En 2014, il a été nommé par le Ministère de la Culture, directeur du Théâtre National de Strasbourg.
- Racontez-nous votre voyage en Chine où vous êtes allé jouer cette année.
- Pascal Rambert, le directeur du T2G de Gennevilliers y a, comme vous savez, présenté sa pièce Clôture de l’amour qu’il avait créé au Festival d’Avignon il y a cinq ans avec Audrey Bonnet moi-même ; cette pièce a connu un succès mondial, et reçu de nombreux prix, dont celui du Syndicat de la Critique et celui du Centre national du théâtre en 2012.
En Chine, nous avons joué dans un petit théâtre d’avant-garde, le Peng Tao à Pékin. Et ensuite, chose plus rare, à Shangaï dans un gigantesque musée d’art contemporain, le Power Station of Art, installé dans une ancienne centrale électrique complètement réaménagée, qui a ouvert ses portes en 2012 avec une exposition venue du Centre Georges Pompidou. Nous y avons eu un public habituel de galerie d’art d’environ 150 personnes. Ensuite, nous sommes allés jouer Clôture de l’amour à Tian Jin, quatrième ville chinoise avec quelque 14 millions d’habitants (où Paul Claudel fut consul vers 1900! ). Il y a un théâtre public mais aussi de nombreuses compagnies privées. Et Krystzoff Warlikoswski y est venu : le public chinois ressemble à celui des grandes capitales européennes…Mais à Shangaï et Tianjin, les spectacles, avec seins nus sont autorisés mais pas à Pékin… Il y a en Chine, une énorme curiosité concernant la culture occidentale et une sorte de fascination pour les grandes marques du genre: Prada, Gucci, Lancôme, etc.
-Vous avez été aux manettes de plusieurs établissements importants mais, la cinquantaine venue, vous vous êtes portée candidat à la direction d’une des plus grandes structures françaises, le Théâtre National de Strasbourg, que vous dirigez maintenant depuis presque deux ans. Quelles étaient vos raisons ?
-Pour être franc avec vous, j’en rêvais depuis longtemps. Mais pas de hasard dans cette attirance: Jean-Pierre Vincent qui était mon professeur au Conservatoire national en fut le directeur, comme Hubert Gignoux ou Michel Saint-Denis, des personnages capitaux de ce que l’on a appelé la « décentralisation », comme l’a été aussi quelqu’un comme Jean Dasté à Saint-Etienne. Ce qui me plaît dans un grand théâtre comme celui-ci qui a aussi son Ecole de comédiens et de techniciens? Des modes d’action toujours à réinventer…
Quant à l’Ecole, elle en constitue, comme vous le savez, un des moteurs essentiels et elle dispose maintenant d’un autre grand lieu, presque en permanence: l’Espace Klaus Michaël Grüber, situé à proximité du T.N.S, avec un studio de 120 places et une halle de 250 places à géométrie variable. Et nous avons dans « la maison-mère », la salle Bernard-Marie Koltès ( 470 à 600 places) et la salle modulable Hubert Gignoux de 200 places… Nous avons aussi un centre de documentation regroupant les archives du théâtre depuis 1947, et un fond sur les Arts du spectacles ouvert au public. Bref, nous disposons d’une excellent outil de travail.
-Comment se passe le travail à l’Ecole?
- Pour faire court, il y a deux promotions d’élèves qui travaillent ensemble, et certains font souvent leurs premiers essais de mise en scène (voir Le Théâtre du Blog), avec leurs camarades apprentis scénographes et régisseurs. J’ai aussi mis en place un système de jeunes artistes associés comme Thomas Jolly, Julien Gosselin, Lazare, Blandine Savetier… qui consacrent une année à une création au Théâtre, et une autre à l’Ecole. Cette interaction entre pratique et enseignement me paraît tout à fait essentielle, comme celle de quelque comédiens : Valérie Dréville, Dominique Reymond, Nicolas Bouchaud, ou ma mère Véronique Nordey… Je ne leur demande pas d’exclusivité mais j’essaye d’établir une véritable circulation d’idées entre eux et ces jeunes gens qui seront les professionnels de demain. Même chose avec les équipes artistique, technique-nous avons la chance d’avoir d’excellents praticiens dans toutes les disciplines-et administrative de notre théâtre. Cela me paraît essentiel: il faut absolument transmettre l’art de l’acteur, cet ADN constitutif du théâtre public.
-Et du côté fréquentation du public, comment cela se passe ?
-La première année de ma direction,j’ai proposé une pièce de Karl Richter et il y a vite eu une réel intérêt. Cette saison, nous aurons dix-sept spectacles avec plusieurs créations comme Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, Le Temps et la chambre de Botho Strauss dans une réalisation d’Alain Françon et Eric von Stroheim, une pièce de Christophe Pellet que je mettrai moi-même en scène. Mais au T.NS., comme dans tous les théâtres publics,ou privés d’ailleurs, il y a un vieillissement évident du public-et j’en suis bien conscient-même si à Strasbourg, ce qui est exceptionnel, 25 % du budget municipal est consacré à la Culture. Ce qui signifie pour nous l’obligation à terme de conquérir de nouveaux territoires. Hubert Gignoux avait ainsi créé une troupe de jeunes comédiens, Les Cadets, pour aller en milieu rural…
Quant à moi, j’ai un mandat de cinq ans; quand on arrive dans ce genre de poste, je crois qu’il faut se dire qu’on est de passage; un artiste doit considérer qu’il est très important pour lui de passer par des institutions mais qu’il lui faut aussi ne pas en faire un but en soi et diriger à nouveau une compagnie. Par ailleurs, la direction du T.N.S. impliquant de grandes responsabilités, j’ai choisi de ne faire qu’une mise en scène par an et de ne jouer qu’une seule fois.
Philippe du Vignal
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