Entretien avec Stanislas Nordey

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Entretien avec Stanislas Nordey

  Stanislas Nordey, cinquante ans, acteur et metteur en scène, a été, entre autres,  artiste associé au Théâtre Nanterre-Amandiers, puis a dirigé avec Valérie Lang, le Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National  de Saint-Denis. Et de 2000 à 2013, directeur pédagogique de l’école du Théâtre National de Bretagne.   Il a  monté de nombreux textes d’auteurs contemporains: Porcherie et Affabulazione de Pier Paolo Pasolini, Les Paravents de Jean Genet, Les Comédies féroces de Werner Schwab, Atteintes à sa vie de Martin Crimp, Gênes 01 et Peanuts de Fausto Paravidino, Incendies de Wajdi Mouawad mais aussi des classiques dont La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, ou  Se trouver de Luigi Pirandello. Stanislas Nordey a aussi réalisé une quinzaine d’opéras et plus récemment, a mis en scène des pièces comme My secret garden et Je suis Fassbinder de Falk Richter  qi ont provoqué un gardn intérêt du public(voir Le Théâtre du Blog). En 2014, il a été nommé par le Ministère de la Culture, directeur du Théâtre National de Strasbourg.

- Racontez-nous votre voyage en Chine où  vous êtes allé jouer cette année.

- Pascal Rambert, le directeur du T2G de Gennevilliers y  a, comme vous savez,  présenté sa pièce Clôture de l’amour  qu’il avait créé au Festival d’Avignon il y a cinq ans avec Audrey Bonnet moi-même ; cette pièce a connu un succès mondial, et reçu de nombreux prix, dont celui du Syndicat de la Critique et  celui  du Centre national du théâtre en 2012.

En Chine, nous avons joué dans un petit théâtre d’avant-garde, le Peng Tao à Pékin. Et ensuite, chose plus rare, à Shangaï dans un gigantesque musée d’art contemporain, le Power Station of Art, installé dans une ancienne centrale électrique complètement réaménagée, qui a ouvert ses portes en 2012 avec une exposition venue du Centre Georges Pompidou. Nous y avons eu un public habituel de galerie d’art d’environ 150 personnes. Ensuite, nous sommes allés jouer Clôture de l’amour à Tian Jin, quatrième ville chinoise avec quelque 14 millions d’habitants (où Paul Claudel fut consul vers 1900! ). Il y a un théâtre public mais aussi  de nombreuses compagnies privées. Et Krystzoff Warlikoswski y est venu : le public chinois ressemble à celui des grandes capitales européennes…Mais à Shangaï et Tianjin, les spectacles, avec seins nus sont autorisés mais pas à Pékin… Il y a en Chine, une énorme curiosité concernant la culture occidentale et une sorte de fascination pour les grandes marques du genre:  Prada, Gucci, Lancôme, etc.

-Vous avez été aux manettes de plusieurs établissements importants mais, la cinquantaine venue, vous vous êtes portée candidat à la direction d’une des plus grandes structures françaises, le Théâtre National de Strasbourg, que vous dirigez maintenant depuis presque deux ans. Quelles étaient vos raisons ?

-Pour être franc avec vous, j’en rêvais depuis longtemps. Mais pas de hasard dans cette attirance:  Jean-Pierre Vincent qui était mon professeur au Conservatoire national en fut le directeur, comme Hubert Gignoux ou Michel Saint-Denis, des personnages capitaux de ce que l’on a appelé la « décentralisation », comme l’a été aussi quelqu’un comme Jean Dasté à Saint-Etienne. Ce qui me plaît dans un grand théâtre comme celui-ci qui a aussi son Ecole de comédiens et de techniciens?  Des modes d’action toujours à réinventer…

Quant à l’Ecole, elle en constitue, comme vous le savez, un des moteurs essentiels et elle dispose maintenant d’un autre grand lieu, presque en permanence: l’Espace Klaus Michaël Grüber, situé à proximité du T.N.S, avec un studio de 120 places et une halle de 250 places à géométrie variable. Et nous  avons dans « la maison-mère », la salle Bernard-Marie Koltès ( 470 à 600 places) et la salle modulable Hubert Gignoux de 200 places… Nous avons aussi un centre de documentation regroupant les archives du théâtre depuis 1947, et un fond sur les Arts du spectacles ouvert au public. Bref, nous disposons d’une excellent outil de travail.

-Comment se passe le travail à l’Ecole?

- Pour faire court, il y a deux promotions d’élèves qui travaillent ensemble, et certains  font souvent leurs premiers essais de mise en scène (voir Le Théâtre du Blog), avec leurs camarades apprentis scénographes et régisseurs. J’ai aussi mis en place un système de jeunes artistes associés comme Thomas Jolly, Julien Gosselin, Lazare, Blandine Savetier… qui  consacrent une année à une création au  Théâtre, et une autre à l’Ecole. Cette interaction entre pratique et enseignement me paraît tout à fait essentielle, comme celle de quelque comédiens : Valérie Dréville, Dominique Reymond, Nicolas Bouchaud, ou ma mère Véronique Nordey… Je ne leur demande pas d’exclusivité mais j’essaye d’établir une véritable circulation d’idées entre eux et ces jeunes gens qui seront les professionnels de demain. Même chose avec les équipes artistique, technique-nous avons la chance d’avoir d’excellents praticiens dans toutes les disciplines-et administrative de notre théâtre. Cela me paraît essentiel: il faut absolument transmettre l’art de l’acteur, cet ADN constitutif du théâtre public.

-Et du côté fréquentation du public, comment cela se passe ?

-La première année de ma direction,j’ai proposé une pièce de Karl Richter et il y a vite eu une  réel intérêt. Cette  saison, nous aurons dix-sept spectacles avec plusieurs créations  comme  Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, Le Temps et la chambre de Botho Strauss dans une réalisation d’Alain Françon et Eric von Stroheim, une pièce de Christophe Pellet que je mettrai moi-même en scène. Mais au T.NS., comme dans tous les théâtres publics,ou privés d’ailleurs, il y a un vieillissement évident du public-et j’en suis bien conscient-même si à Strasbourg, ce qui est exceptionnel, 25 % du budget municipal est consacré à la Culture. Ce qui signifie pour nous l’obligation à terme de conquérir de nouveaux territoires. Hubert Gignoux avait ainsi créé une troupe de jeunes comédiens, Les Cadets, pour aller en milieu rural…

Quant à moi, j’ai un mandat de cinq ans; quand on arrive dans ce genre de poste, je crois qu’il faut se dire qu’on est de passage; un artiste doit considérer qu’il est très important pour lui de passer par des institutions mais qu’il lui faut aussi ne pas en faire un but en soi et diriger à nouveau une compagnie. Par ailleurs, la direction du T.N.S. impliquant de grandes responsabilités, j’ai  choisi de ne faire qu’une mise en scène par an et de ne jouer qu’une seule fois.

Philippe du Vignal

 

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Archive pour octobre, 2016

Les Bienveillantes de Jonathan Littell

 

Les Bienveillantes de Jonathan Littell, adaptation de Guy Cassiers et Erwin Jans, mise en scène de Guy Cassiers, en néerlandais, surtitré en français

 04_guy_cassiers_les_bienveillantes_c_kurt_van_der_elstDans La Promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide 1939-1943  (Editions du Seuil),  Christian Ingrao s’intéresse à ce qu’il nomme l’Utopie du IIIème Reich, une idéologie dont l’application revient à coloniser et à germaniser les territoires de l’Est conquis lors de la seconde guerre mondiale : «Pour les dirigeants SS et leurs cohortes d’experts dévoyés,  dit André Loez dans Le Monde, les vastes territoires pris à la Pologne, puis à l’URSS, devaient voir renaître et se déployer une germanité purifiée, au prix d’un tri brutal et d’une élimination méthodique de leurs habitants, et tout d’abord des juifs. 

Guy Cassiers a porté à la scène Les Bienveillantes, ce terrible roman(prix Goncourt 2006) de Jonathan Littell, franco-américain d’origine juive russe, qui tente d’expliquer cet événement terrifiant d’un passé récent, entre fiction et émotion empathique d’un côté, et connaissance factuelle et rigoureuse, de l’autre.
Le spectacle pourrait être un voyage dans la chambre mentale du narrateur, personnage fictif qui a participé aux massacres nazis comme officier SS. Hans Kesting, sobre et convaincant dans ce rôle équivoque, raisonne d’abord méthodiquement, puis s’abandonne de plus en plus souvent à la conscience et au malaise d’une perte flagrante d’humanité personnelle. Entre cauchemars et fantasmes d’effroi. Max Aue qu’il interprète, se présente comme un homme banal auquel on peut s’identifier : «Tout ce que j’ai fait de mal, vous spectateurs, dans ma situation, vous l’auriez aussi fait. »

 Jonathan Littell, met en lumière les discussions techniques et idéologiques des génocidaires : Max Aue voit les juifs comme une main d’œuvre indispensable à l’Allemagne pour gagner la guerre  et considère qu’on ne peut les tuer, sans d’abord les faire travailler. Mais le mathématicien Adolf Eichmann ne supporte pas que l’Allemagne puisse un jour gagner la guerre grâce à ces sous-hommes dont il faut, selon lui, se débarrasser au plus vite.

La résonance avec le temps présent  est manifeste. Comment prétendre qu’on ne peut avoir de responsabilité individuelle, sous prétexte qu’on se trouve engagé dans un régime totalitaire? Question que l’on se posait hier à propos des  nazis, comme aujourd’hui, à propos de nos devoirs envers les migrants. «Comment les femmes et hommes politiques, s’interroge Guy Cassiers, semblent-ils nous convaincre qu’il y a un danger venu de l’extérieur,  celui de cultures extérieures ? Il y a aussi le rôle des médias qui transmettent, sans le contredire, le rôle de la crise économique qui renforce ces sentiments de peur. »

 Le spectacle réussit à faire passer l’indicible des comportements : quelques hommes affirment d’emblée haut et fort qu’ils ne supporteront pas cela, et qu’ils s’opposeront donc à l’inadmissible, alors que d’autres approuvent sans broncher, les actions des autorités en place, par lâcheté et paresse, par manque de volonté ou de pensée correctement articulée et armée.
Costumes et décors de Tim Van Steenbergen installent d’emblée l’atmosphère délétère du microcosme-couleurs brunes et lumières tamisées-des officiers S.S. et le scénographe a imaginé un théâtre d’objets qui donne à voir le destin tragique des juifs condamnés à mort. Comme cet envol soudain, dans les hauteurs, de paires de chaussures usagées, rassemblées sur le plateau…

Une voie de chemin de fer va de cour à jardin, et suggère un espace de triste mémoire que le narrateur traverse pour s’adresser directement au public, et en fond de scène, un mur métallique impressionnant de boîtes d’archives, recelant des dossiers indignes, possède des alvéoles carrées, petites loges symboliques pour urnes funéraires, métaphore des exterminations.
La vidéo de Frederik Jassogne fait surgir l’officier dans son mal-être, visage et corps et les comédiens sont tous investis par la gravité et l’autorité de leur personnage… Comme ce chœur de gradés en tenue kaki débraillée, serviteurs du Mal, usés par les horreurs qu’ils ont accomplies, du massacre de Babi Yar, en passant par l’horrible bataille de Stalingrad, jusqu’au  la destruction par bombardements de Berlin en 1945.

 Un spectacle fort pour les jeunes générations qui n’en finissent pas de ne pas comprendre l’abjection d’hommes faillibles et indignes de leur condition d’être.

 Véronique Hotte

 Nouveau Théâtre de Montreuil /Maison de la Culture de Bobigny, jusqu’au 16 octobre.

La Peur de Stefan Zweig

La Peur de Stefan Zweig, mise en scène d’Elodie Menant

 

LA_PEUR_38_sur_296_vu3gon-1030x686La Peur, une nouvelle du célèbre écrivain autrichien, publiée en 1920 à Berlin, a fait l’objet d’une édition en deux versions : l’une longue et l’autre plus courte publiée pour la première fois en France en 1935. Cela se passe au début du XXème siècle dans le milieu grand bourgeois de Vienne. Irène, la trentaine mariée à Fritz, un jeune et brillant avocat pénaliste couvert de travail, s’est offert un amant, un jeune musicien, par jeu et par envie d’un autre corps sans doute, qu’elle voit  souvent.
  Mais un jour, la compagne de cet amant, furieuse, la coince dans l’immeuble, alors qu’elle vient de faire l’amour avec lui. Et Irène va vite être obligée de céder aux menaces de cette femme qui la traque sans cesse, et qui menace de la dénoncer à son mari, si elle ne lui verse pas des sommes importantes : elle  arrivera même à lui soutirer sa bague de fiançailles pour le prix de son silence.
Irène, comme le fait bien sentir Hélène Degy, vit désormais dans le mensonge quotidien, soutire de l’argent à son mari, ce qui l’use et lui procure une angoisse insupportable : «Quand tu commences à mentir, dit-elle, il est impossible de revenir en arrière ; chaque mensonge est une nouvelle faute à avouer. » 

 Et quand Irène finira par avouer du bout des lèvres à Fritz, qu’elle a un amant: coup de théâtre, il  avouera, lui, à son épouse …mais on ne vous dira pas quoi. Et, même si le spectateur peut se douter de quelque chose, Stefan Zweig, dans le genre problème résolu de polar, a fait très fort.  Des deux côtés, les choses sont allées trop loin, ce dont le jeune avocat a conscience, et il pardonnera à Irène cette sortie de route qui aura fait vaciller leur couple.
Comme on peut s’en douter, cet excellent scénario à la limite de celui d’un polar, a fait l’objet de plusieurs adaptations au cinéma, dont dès 1928, Angst d’Hans Steinhoff et, en 1936, Vertige d’un soir de  Victor Tourhanski avec Charles Vanel et Gaby Morlay, et aussi et surtout le film (1954 de Robert Rossellini  avec Ingrid Bergman et Klaus Kinski. Mais il ne nous souvient pas d’en avoir vu une adaptation au théâtre.
Elodie Menant avait déjà  joué dans La Pitié dangereuse, d’après le roman de Stefan Zweig, et elle  connaît visiblement bien l’univers de ses quelque quarante trois nouvelles et deux romans, écrits il y a presque un siècle mais d’une rare modernité,  et célèbres maintenant en France, comme, entre autres, Amok, La Confusion des sentiments, Vingt Quatre heures de la vie d’une femme, ou Le Joueur d’échecs (voir Le Théâtre du Blog), des histoires de passion intense  à la limite de la folie.
Sur le plateau, une scénographie un peu compliquée, à base de châssis mobiles pas très faciles à gérer que les acteurs  aménagent souvent, et suggérant une cuisine,  un salon ou un bureau. Elodie Menant a choisi de situer les choses dans les années cinquante et  avec des références évidentes aux films d’Alfred Hitchcock, comme Fenêtre sur cour parfois un peu insistantes mais bon…
Le transistor diffuse de la musique et une publicité d’époque pour les gaines Scandale, ce qui énerve Fritz penché sur un dossier compliqué de prédateur sexuel sur lequel Irène prétend avoir son mot à dire, ce qu’il n’apprécie pas du tout.
Bref, les époux ont du mal à gérer leur territoire respectif, entre vie de famille pour elle, et travail pour lui, à la maison. Le début de cette mise en scène a un peu de mal à fonctionner sans doute à cause, vieux problème, de la difficulté à recréer un univers romanesque sur un plateau de théâtre où il faut bien ne retenir que l’essentiel.

Elodie Menant, malgré ces changements de décor trop fréquents, a su donner le rythme nécessaire à cette descente aux enfers et a réussi  à rendre crédibles ces trois personnages : Irène et Fritz qui s’en vont à la dérive, incapables de se parler et encore moins d’agir, englués dans le mensonge surtout elle, mais sinon… il n’y aurait pas d’intrigue, et cette jeune femme inquiétante, toujours là quand on ne l’attend pas. Et elle a aussi réussi à créer une belle unité de jeu entre Hélène Degy (Irène) très impliquée dans son personnage, Aliocha Itovich (Fritz) et Ophélie Marsaud ( la fausse épouse).

Le spectacle est bien rodé et il n’y a aucun temps mort sur scène, dans cette saga sentimentale où les protagonistes diront à la fin qu’ils partagent enfin le même dossier… Après avoir vécu un peu chacun de leur côté. Il y aura sans doute un avant et un après dans leur couple, un peu cabossé par toute cette histoire, mais ils continueront à vivre ensemble avec leurs deux enfants…
A voir ?  Oui, c’est un très bon travail de mise en scène, et fondé sur une adaptation intelligente de Stefan Sweig qui se laisse déguster, même si c’est à 19h, et à un prix de places de théâtre privé: donc pas donné, de 18 à 29€ quand même. Mais bon, si vous avez le bonheur d’avoir moins de 26 ans, c’est 10 €…

Philippe du Vignal

Théâtre Michel, rue des Mathurins, 75008 Paris jusqu’au au 31 décembre, du jeudi au dimanche à 19h. T: 01 42 65 35 02

 

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Mes prix littéraires

Mes prix littéraires de Thomas Bernhard, adaptation et mise en scène d’Olivier Martinaud

 

http_o.aolcdn.com_hss_storage_midas_2096874b610b40db8b43d3711acb9b12_204419676_ThelemeLa Scène Thélème, nouveau lieu parisien, a l’originalité d’allier l’art du théâtre à celui de la cuisine. Projet né d’un rêve de Jean-Marie Gurné, passionné depuis toujours par les arts et la gastronomie. Dans l’ancien restaurant de Guy Savoie (XVIIème arrondissement) ce rêve est devenu réalité, à la table de Thomas Bernhard.
Mes prix littéraires, série de nouvelles inédites a été publiée pour la première fois en 2009 en Allemagne, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin.
Dans chacune d’elles, l’auteur, lors de la remise des divers prix qu’il a reçus, en profite pour se livrer à une critique sévère, pleine d’humour, du milieu de la culture et de ses institutions:«ces ignorants de l’art et du beau», mais aussi des sociétés allemande et autrichienne.

Nous sommes  devant un objet théâtral singulier. Le public, est installé sur des chaises et des banquettes, très près d’une estrade  en guise de scène. Avec, comme unique décor, un verre de vin rouge et un livre posés sur un guéridon, et une chaise.
On pourrait considérer ce projet d’Olivier Martinaud comme une exploration dramaturgique en continu de Mes prix littéraires.
Créé en 2012 à La Loge, puis repris pour une nouvelle création, au Lucernaire à Paris deux ans plus tard, le spectacle voyage car, le même soir, il passe en effet d’une interprétation à une autre, avec Laurent Sauvage d’abord, puis avec Olivier Martinaud qui, chacun seul en scène, poursuivent avec jubilation, le fil de ces récits.

La forte musicalité, toujours présente dans l’écriture de Thomas Bernhard, exige des comédiens une écoute du texte et une interprétation très construites: à fleur de peau. Aucun faux pas possible, au risque d’éteindre le feu et l’esprit mordant mais aussi la grande poésie de l’écrivain autrichien. Un travail subtil: l’écriture mise en mouvement grâce à la voix de ces acteurs remarquables qui jouent le personnage de l’écrivain, se déplace comme  sur un fil. Tout en équilibre et en rythme, fragiles avec Laurent sauvage, et plus déterminés avec Olivier Martinaud qui, tour à tour, captivent  le public.

Grand moment d’émotion, par exemple, avec cette phrase répétée Le froid augmente avec la clarté, prononcée par Thomas Bernhard à la remise du prix de littérature, à Brême (1965),  et dite ici par Laurent Sauvage, avec un timbre de voix doux et profond à la fois.  Nous sommes emportés par la personnalité de  ce grand auteur qui nous livre, non sans humour et désespérance, ses angoisses et ses colères, tiraillé entre la nécessité financière de recevoir ces prix  et l’humiliation, à devoir les accepter.

La mise en scène d’Olivier Martinaud, comme son interprétation et celle de Laurent Sauvage, sensibles et très maîtrisées, laissent percevoir un homme en souffrance, habité par le génie de l’écriture mais aussi par un sens du comique, coloré par le tragique et l’absurdité du monde: Thomas Bernhard avait fortement conscience de la médiocrité de son temps…

 Elisabeth Naud

La Scène Thélème,18 rue Troyon, 75017 Paris. T : 01 77 37 60 99, jusqu’au 14 octobre
Le texte est publié aux éditions Gallimard.

 

Hugo, de père en filles

 

Hugo-8Hugo, de père en filles, librement inspiré de l’œuvre de Victor Hugo, et de la vie d’Adèle et Léopoldine Hugo, texte et mise en scène de Filip Forgeau

 Victor Hugo et sa femme eurent cinq enfants; Adèle Hugo (1830-1915) en est le cinquième  et la seconde fille,  surnommée Dédé,  douée pour le piano mais qui, à treize ans,  fut traumatisée par la mort accidentelle de sa sœur Léopoldine en 1843.
 En proie à une très grave dépression, elle suivra son père à Jerzey où elle fait tourner les tables avec sa famille, et où elle tombe amoureuse d’un bel officier anglais qu’elle veut contraindre au mariage. Elle le suivra jusqu’au Canada, en faisant croire à ses parents qu’elle s’est mariée.
Mais il la quittera, et elle sombrera vite dans la folie, atteinte d’hallucinations et de graves troubles de la personnalité, avant de mourir dans un hôpital psychiatrique à Suresnes en 1915.
Sa vie tragique a fait l’objet de plusieurs fictions dont  L’Histoire d’Adèle H de François Truffaut (1975) avec Isabelle Adjani.
Quant à Léopoldine, sa sœur aînée, Léopoldine, surnommée Didine par son père, elle tombe à  quatorze ans, amoureuse de Charles Vacquerie qui en a vingt-et un, et réciproquement. Mais Victor Hugo la trouve trop jeune pour se marier. Après avoir patienté cinq ans, Léopoldine épousera son amoureux.
 Mais, quelques mois plus tard, à l’occasion d’un séjour à Villequier (Seine-Maritime), le canot où ils se trouvent avec leur oncle et  son fils Arthur (neuf ans), se retourne à cause d’un coup de vent, et ils meurent tous les quatre noyés! Léopoldine Hugo sera inhumée dans le même cercueil que son jeune mari.
Une mort dont ne se remettra jamais Victor Hugo qui séjournait alors dans les Pyrénées, avec sa maîtresse Juliette Drouet. Il apprend ce drame par les journaux et en est accablé;  la mort de Léopoldine lui inspirera plusieurs poèmes dont le fameux  Demain dès l’aube.

Mais jusqu’à son exil à Jersey d’abord, puis à Guernesey ensuite, Victor Hugo cessa d’écrire pendant dix ans et revint à la poésie avec Les Châtiments (1853) dirigé  contre  le Second Empire ; et au roman, surtout avec son célèbre Les Misérables en 1862. L’œuvre et la vie passionnée de l’écrivain et de ses deux filles, mais aussi les quelque vingt-deux mille lettres  en cinquante ans de Juliette Drouet ont donc pu fournir matière à de nombreux spectacles de théâtre,  et une centaine d’adaptations de ses romans au cinéma !

Filip Forgeau qui avait déjà mis en scène La Chambre de Milena et Rosa liberté (voir Le Théâtre du Blog) a voulu, lui,  à travers la vie de ces deux jeunes femmes raconter le combat qui a été celui de l’écrivain. Sur le plateau, une longue table couverte d’une nappe noire, des bougeoirs et quelques accessoires. Le beau décor de Lionel Haug, rigoureux et austère, ressemble à un tableau de vanités. Mais cela commence dans l’obscurité presque totale et Dédé et Didine ne cessent de s’interpeller très-trop !-longuement…
Puis on aura droit à une séance de spiritisme (Victor Hugo à Jersey se passionnait pour les tables tournantes pour entrer en communication avec les morts  en particulier avec Léopoldine, Jésus, William Shakespeare)… Bref, rien de très passionnant ni de vraiment théâtral.

 Laurianne Baudouin (Léopoldine) dans une belle robe noire, possède une présence  indéniable et réussit à maintenir par moments le spectacle qui, rien à faire,  va vite distiller un ennui de premier ordre.
La faute à quoi:  d’abord et surtout à une dramaturgie et à un dialogue des plus faiblards: on ne voit pas où Filip Fargeau veut nous emmener: du côté d’une analyse de l’œuvre, ou d’une bio de Dédé et Didine? Même si on entend parfois quand même la voix poétique de Victor Hugo…
La faute aussi à une direction d’acteurs des plus approximatives qui n’aide en rien les deux comédiennes: elles n’arrivent pas à imposer un texte des plus maladroits qui n’en finit pas de finir… La faute enfin à un éclairage  insuffisant avec des variations de couleurs aussi surprenantes qu’inutiles.
L’auteur et metteur en scène, à la fin, a remercié le public de s’être déplacé mais s’est très amèrement plaint de voir sa convention menacée par les conseillers et experts de la DRAC de sa région, alors qu’ils n’auraient pas assisté, selon lui, à ses spectacles depuis plusieurs années. 
Nous n’en avons pas vu d’autre spectacle de Filip Forgeau. Mais ce Hugo, père filles ne donne guère envie de vous conseiller d’y consacrer une soirée…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes.

 

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Mon Fric de David Lescot


 Mon Fric de David Lescot,  mise en scène de Cécile Backès

Sur le plateau, telle une fresque historique mouvementée, se déploie la vie quotidienne de Moi-qu’incarne avec brio, Maxime Le Gall-celle d’un homme actuel, de sa naissance en 1971, à sa mort en 2036, racontée à travers son obsession de l’argent. Cette fiction aux allures d’autobiographie, est en lien avec la littérature propre à David Lescot et avec son frère, l’acteur de théâtre Micha Lescot.
Une scène de combat physique chorégraphié réunit les deux frères rivaux : on sourit des clins d’œil à la biographie de l’auteur. Un jeu plus rythmé s’impose, quand le narrateur alterne dialogues de situations et récit d’ellipses temporelles, et les scènes vont se jouer d’un quotidien à l’autre : appartement de la mère et celui du père, cirque, bureau du directeur d’une boîte à bac,  rue, ou encore restaurant parisien du XVIème …

mon fric2©thomas faverjonSe succèdent aussi dans le cœur de Moi, trois femmes pittoresques: la mère de son enfant, puis une autre, attirée par le luxe et le cabaret russe, et la dernière, fascinée par l’éthique rousseauiste de la décroissance. Au montage d’une vie en accéléré, s’immiscent des repères historiques : chute du mur de Berlin (1989) écroulement des tours jumelles à New York (2001), et attentat de Charlie-Hebdo (2015), périodes éloquentes choisies par Cécile Backès.
L’argent suscite affectivement amour et haine, et, moralement, estime ou mépris.  En acquérir implique une activité conflictuelle et une lutte pour la vie : gagner, perdre, acheter, vendre, prêter, emprunter, voler, gérer, dilapider…

Avec un bel esprit ironique, Moi, ce personnage provocateur, corrige des colles dans une institution privée pour mieux asseoir son budget (enfant, il  jonglait déjà entre sa mère et son père divorcés, pour obtenir quelques subsides de l’un et de l’autre).«C’est bon, hein, mon fils, dit son père, de dépenser son argent. »
Sa fille, bien plus tard, viendra lui demander de l’aider financièrement et s’amuse des flux de tendresse paternelle : «Bon, tu m’en donnes, ou tu m’en donnes pas ? »

Cécile Backès a conçu une mise en scène qui dévide son fil dramaturgique de façon limpide, accordant au texte choral, la part qui leur revient aux cinq comédiens malicieux qui jouent quelque cinquante-et-un personnages… Silhouettes légères et  dansantes, Maxime Le Gall, Pauline Jambet, Simon Pineau, Pierre-Louis Jozan et Noémie Rosenblatt entrent et sortent, changent de costume pour illustrer cette galerie de portraits, avec une présence intense, propre à la fébrilité de la jeunesse, tournant sans cesse autour de ce Moi, qui reste vaillamment lui-même et loquace. Dans un vaste espace transparent, scénographié par Raymond Sarti, avec, tout autour de la scène, tabourets et tables en stratifié aux tiroirs pleins d’un fouillis mystérieux, d’une jolie cuisine sonore.
Un spectacle à la petite musique enjouée et tonique, et qui salue bien bas la vie.

Véronique Hotte

Comédie de Béthune/Nord-Pas de Calais-Picardie, du 11 au 14 octobre et du 28 mars au 1 er avril.
Théâtre National de Nice, du 30 novembre au 2 décembre. Théâtre Dijon-Bourgogne, du 6 au 9 décembre.
Comédie de Saint-Etienne, du 11 au 13 janvier. La Criée/Théâtre National de Marseille, du 2 au 4 mars. Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, du 22 au 24 mars.

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Moi et François Mitterrand

 

olivierbrochemoietmitterrandMoi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier, mise en scène de Benjamin Guillard

 

 » Je n’en fais pas une affaire d’État et n’en tire aucune gloire personnelle mais, à partir de 1983, François Mitterrand et moi, avons tenu une correspondance assidue. Et, même si nous nous sommes, par la force des choses, quelque peu éloignés l’un de l’autre, le fil n’est pas tout à fait rompu .»  

Il se nomme Hervé Laugier, et entre, engoncé dans un costume sombre trop étroit, pour nous délivrer un scoop : vidéo-projecteur, et musique enregistrée à l’appui, le timide conférencier entend rendre publique sa correspondance privée avec François Mitterrand qui commence par une carte postale, envoyée d’Arcachon, le 10 septembre 1983 : « Je voulais vous féliciter de votre élection, fût-ce avec un léger retard. »

 A quoi, le Président de la République répond par une lettre-type : « Ne doutez pas que vos remarques recevront toute l’attention qu’elles méritent ». Hervé  y croit et n’aura de cesse de se confier à son  » ami », dans des missives de plus en plus personnelles, recevant toujours la même lettre de l’Élysée, qu’il analyse chaque fois comme une preuve d’amitié, à la lumière des problèmes de travail qui l’accablent, voir de ses malheurs sentimentaux…
 Il poursuivra son activité épistolaire avec les chefs successifs de l’État français et, malgré ses déboires privés en tout genre, s’accrochera, comme à une promesse amicale, au : «  Ne doutez pas », figure de style de la prose élyséenne.

 L’émouvant petit bonhomme gagne de l’assurance au fil de son récit, allant jusqu’à se prendre pour un précieux conseiller de l’Elysée. Nous traversons ainsi, mine de rien, à la pointe de la plume acérée et cocasse d’Hervé Le Tellier, trois septennats et deux quinquennats riches en événements.
Il y a du chansonnier dans ce spectacle mais pas uniquement. Hervé Le Tellier membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) depuis 1992, et pilier de l’émission de France-Culture Des Papous dans la tête, a su insuffler une grande humanité à son mythomane, relayé en cela par l’interprétation nuancée d’Olivier Broche.
Ce drame de la solitude est traversé par le souffle de l’Histoire, et par l’humour de l’auteur. Les rires fusent aux trouvailles de mise en scène et aux subtilités verbales. L’analyse de la langue de bois élyséenne fait merveille sur le public. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai et a reçu le Grand prix de l’humour noir en 2012 pour ses Contes liquides.

Un spectacle drôle, intelligent, jamais vulgaire, et roboratif en période préélectorale.

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 20 novembre.
Et les 1 et 2 décembre  au Tivoli de Montargis (45) ; le  9 décembre, au Nouveau théâtre de Châtellerault (86) ; le 15 décembre, à l’Espace Louis Buisson de Tourlaville (50) ; en janvier, au Théâtre de la Pépinière, Paris pour 60 représentations ; le 7 mars, au Centre culturel Voltaire de Déville-lès-Rouen (76) ; les 28 et 29 mars, à la Comète de Châlons-en-Champagne (51) ; le 10 mai, au Théâtre de Cornouailles  à Quimper (29).

Moi et François Mitterrand a été publié aux éditions Jean-Claude Lattès en 2016.

 

Palissades, installation spectacle poétique et ludique

Palissades, installation spectacle poétique et ludique du Phun, mise en  jeu de Phéraille

 Palissades-Dossier-de-diffusionFondé à Toulouse,  le Phun défend depuis 1985, une relation artistique dans l’espace de tous les publics, et propose un théâtre vivant, à la fois populaire et d’une grande exigence artistique. Le Phun développe une poétique qui convie l’imaginaire de chacun, et joue des décalages suscités par les univers singuliers de ses spectacles pensés comme la mise en espace d’une fiction  dans la ville.

Depuis une semaine, ces Palissades sont installées sur le mail Saint-Blaise à Paris, au cœur de l’ancien village de Charonne,  qui fut jusqu’en 1860, date de  son annexion à la ville de Paris, une zone champêtre périphérique. A proximité, un café accueillant reçoit les spectateurs qui peuvent s’abriter de la pluie, en attendant l’ouverture du chantier, et certains arrivés, un peu en avance, ont le privilège d’être accueillis dans la petite cabane d’Honorine, pleine de livres, où ils peuvent lire à voix haute, des poèmes de Nazim Hikmet et de Rainer Maria Rilke…
Quelques enfants turbulents s’y mettent aussi; peu concentrés, ils voudraient chanter des poèmes appris en classe, mais  ont du mal à les lire…

 Pour l’ouverture officielle à 18 h, on assiste à la présentation du Cabinet Boufard, puis on pénètre dans la première cabane, un peu à l’abri de la pluie, où un Jean-Marc Ayrault nous parle des oiseaux, avec leur 1.300 allers et retours vers leur nid/chambre nuptiale.
Dans une deuxième cabane, madame Bonfard nous propose du thé et des gâteaux, nous parle des jardins partagéspour aller à la rencontre des voisins, pour se dire qu’on n’est pas dans une cordiale indifférence.

 Troisième cabane : on y évoque l’origine de la ville depuis le XVIIème siècle puis les rues rectilignes du Baron Haussmann, préfet de la Seine qui modifia le centre de la ville  pour des motifs de circulation, d’hygiène  mais aussi… de contrôle politique. On parle aussi de la célèbre invention du préfet Eugène Poubelle. Deux hommes qui ont transformé les villes. Mais on parle aussi du premier congrès de Monsieur Urbain en 1911, puis de l’invention du béton au XIXème siècle bien avant Le Corbusier, et de  Fulgence Bienvenüe (1852-1936), inspecteur général des Ponts et Chaussées qui, avec Edmond Huet, fut le père du métro parisien.

 Cette interrogation sur le devenir urbain réjouit le quartier depuis le début de la semaine avec cette installation de pin blond, insolite et chaleureuse, mise en vie par toute une équipe. On se souvient sans doute de La Vengeance des semis, (1985 déjà !) devant la gare d’Aurillac où de nuit, une famille de jardiniers avait créé en pleine ville un jardin, avec un carré de salades, quelques rangées d’oignons,  un mini-de champ de colza, quelques cèpes de vigne,  un tas de fumier, un bout de  potager. Ou des Gûmes  (2000) où le Phun avait métamorphosé des parcs, en y plantant 1.500 pieds de tournesols et en créant une installation lumière féerique.  Les Gûmes  avaient même été programmés au  au festival in d’Avignon seule compagnie sans doute avec Le Royal de Luxe, à avoir eu cet honneur. »

Drôle et poétique, le Phun qui a joué dans le monde entier,  interroge les habitants d’une ville sur leur rapport avec la réalité  du quotidien  qui les environne. Une fois de plus, il  nous aura surpris.

Edith Rappoport

Mail Saint-Blaise, 70 rue Saint-Blaise, 75011 Paris jusqu’au 15 octobre de 15 à 18 h, présent par Art’R et le Moulin Fondu, Attention : réservation gratuite et obligatoire sur Art’R.fr

 Et du 25 au 30 octobre: accueil par Lieux publics à Martigues (13).

 

 

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Hearing

Hearing, texte et mise en scène d’Amir Reza Koohestani, en parsi, (surtitré en français)

 

Une voix, venue de la salle, questionne deux étudiantes en hijab: ensemble ou séparément: Samaneh prétend avoir entendu un homme dans la chambre de son amie Neda. Elle dit n’avoir rien vu. Pourtant, un rapport signé de son nom, a été déposé dans la boîte du pensionnat. Mais elle nie l’avoir écrit.
L’inquisitrice, qu’on découvre assise au premier rang, également voilée, insiste sur les moindres détails. On comprend, au fil de l’interrogatoire, qu’il s’agit d’une étudiante qui a pris la responsabilité du dortoir pendant les vacances. Elle ne cuisine pas ses camarades en raison de convictions politiques ou religieuses, mais parce qu’elle risque elle-même une sanction.  Qui a écrit le rapport ?  Comment un homme serait-il entré dans un lieu si bien gardé ? Où était la responsable ? Que s’est-il passé vraiment ? Rien n’est élucidé malgré la réitération des questions et réponses.

Hearing, emprunté au langage judiciaire, signifie audience devant un tribunal mais renvoie aussi à ce qu’on entend mais qu’on ne voit pas. A l’incertitude des faits et à leur écho, qui lui serait réel.

Nous sommes dans un clair-obscur où se mêlent passé et présent. Quand Samaneh, dans la deuxième partie, réapparait sous les traits d’une autre actrice, on comprend que dix ans se sont écoulés et qu’elle se rejoue la même scène, indéfiniment, puis sur un mode plus onirique, en duo avec le fantôme de Neda qui la filme.

Un interrogatoire serré que le temps a déformé et de légères variations que la mémoire coupable de Samaneh ressasse, entraînent le spectateur dans un labyrinthe où, déboussolé, il n’aura jamais le fin mot de l’histoire. D’autant qu’une caméra frontale, portée par les deux «accusées», relaie leurs faits et gestes, jusque dans les dédales du théâtre… Hors champ spatio-temporel où leurs traces se perdent…

Cet épisode de la vie d’un internat en Iran fourmille d’allusions et de sous-entendus : « Il est clair que le sujet  dépasse la société iranienne, dit Amir Reza Koohestani qui évoque la pression du Conseil de surveillance et d’évaluation mais aussi les stratégies mises en place pour échapper à son couperet, «tout en ouvrant le débat sur la société contemporaine iranienne ». 

hearing-c-amir-hossein-shojaei-vignLe défi peut paraître insurmontable à un Occidental mais pas à lui : « Le théâtre iranien, ou toute autre forme d’art soumise à la censure, ne peut pas prétendre informer au même titre que les médias. Le théâtre est donc libéré de cette fonction-là. Le spectateur, nourri par un flux d’informations qui lui proviennent du monde qui l’entoure, dispose amplement du bagage nécessaire pour lire entre les lignes (…) . Les images sont celles qui se forment dans l’esprit du  public, hors d’atteinte de quelque comité de censure que ce soit. »

Mise en scène d’une grande sobriété : sur le plateau nu, les jeunes femmes apparaissent et se figent devant un vaste écran où s‘inscriront les sur-titres lapidaires puis les images filmées. L’écriture comme la direction d’actrices, dépouillées et d’une grande efficacité, touchent droit au but. Pas un mot ni un geste de trop. Les entrées et sorties sur scène rythment ce procès absurde qui n’en finit pas de chercher ses coupables. Souvent, le rire n’est pas loin, surtout parmi les nombreux spectateurs iraniens.

Mais l’utilisation compliquée de la vidéo a quelque chose de désarçonnant qui jette une sorte d’opacité sur la fin du spectacle, d’autant que, techniquement, l’espace du théâtre ne  s’y prête pas. Nous avions pourtant apprécié Timeloss, joué en 2014 dans cette même salle, dont le dispositif sophistiqué, était lui, très maîtrisé (voir Le Théâtre du Blog).

Moins évidente, cette pièce qui reste d’une grande subtilité, n’est jamais démonstrative, moraliste ou vindicative. Libre à chacun de se faire un jugement sur la société dont elle est le miroir…

Mireille Davidovici

Théâtre de la Bastille rue de la Roquette 75011 Paris/Festival d’Automne jusqu’au 10 octobre.

Les 22 et 23 octobre, Théâtre populaire romand, à La Chaux-de-Fonds, Suisse ; les 15 et 16 novembre, au Théâtre de la Vignette, Montpellier ; les 18 et 19 novembre, aux Espaces Pluriels à Pau ; les 25 et 26 novembre à Bonlieu scène nationale, Annecy ; les 1 et 2 décembre, au Trident, scène  national de Cherbourg ; du 6 au 10 décembre, Centre dramatique de Haute-Normandie, Rouen ; les 13 et 14 décembre, à la Comédie de Caen ; les 9 et 10 mars, TANDEM, scène nationale d’Arras ; les 16 et 17 mars, au Théâtre d’Arles ; du 21 au 24 mars, au Centre dramatique/Scène nationale de Besançon ; les 28 et 29 mars, au TAP, Poitiers ; le 1er avril, CSS Udine, Italie ; du 4 au 7 avril, Lieu Unique Grand T, Nantes.
 Et du 27 au 29 avril, au Centre Onassis, Athènes.

 

 

 

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Voyage à Tokyo

Voyage à Tokyo, d’après Voyage à Tokyo d’Yasujiro Ozu, d’après le scénario d’Yasujiro Ozu et Kogo Noda, adaptation et mise en scène de Dorian Rossel

ccaroleparodi_hd-6235Cette comédie fit connaître chez nous le grand réalisateur japonais, et on y retrouve les leitmotivs de ses films: mémoire de la défaite impériale après la seconde guerre mondiale, mutation de son pays, bouleversement des codes et de la cellule familiale, solitude des gens âgés…
Avec un contraste criant entre les vêtements traditionnels d’intérieur et ceux, occidentaux, de la vie professionnelle: les enfants et petits-enfants qui ont réussi socialement, sont en costume pour les hommes, et robe fleurie pour les femmes… Et le quotidien d’une bourgade diffère de l’activité trépidante des rues de Tokyo  et quand les parents vont rendre visite à leurs enfants, ils éprouvent l’indifférence, l’anonymat et le peu de contacts entre les êtres. Dorian Rossel transpose en une représentation sonore et visuelle les aventures existentielles que traverse un couple. Salutations, politesses, considérations météorologiques et sanitaires, réunions de famille, et beuveries… entre hommes : la vie va et vient, puis s’échappe, par-delà les malentendus.

Avec une interprétation fluide : les comédiens ont de multiples rôles, et l’un d’eux  joue, avec un tablier de cuisine, une femme au foyer. Les enfants sont représentés par des vignettes colorées de bande dessinée que porte un  acteur en salopette qui déclame fortement.
Yoshi Oïda, que l’on a beaucoup vu chez Peter Brook,  interprète,  avec un grand talent, un vieil homme réservé, à l’aspect fragile et au comportement décalé,  alors que son épouse très sensible (Élodie Weber) goûte à tous les instants. Ils sont bien accompagnés par Fiona San Martin, Rodolphe Dekowski, Xavier Fernandez-Cavada, Delphine Lanza.

Scénographie de Manon Fantini, Clémence Kazémi et Sybille Kössler, délicatement japonisante avec, repliés et suspendus par des fils, des lais clairs et unis ou des imprimés aux tons pastel, signes de l’habitat japonais. Les paravents glissent doucement et, derrière une paroi, les musiciens Axel Muller Ramirez et Immanuel de Souza  jouent une musique électro.
Il y a de belles inventions dans cette mise en scène: par exemple, quand la belle-fille, dont le mari mort à la guerre, accueille ses beaux-parents dans son appartement : une valise éclairée laisse apparaître alors, en miniature, le foyer de cette employée, plus sensible que ses beaux-frères et belles-sœurs, et attentive à la présence du couple âgé à ses côtés.

Ici, comme souvent dans le théâtre extrême-oriental, les vivants et les morts se côtoient: on voit ainsi le fils tué au front, rejoindre en silence sa famille! Les grands-parents, eux, restent à l’écoute des choses de la vie : le temps qu’il fait, le bruit des vagues se fracassant sur les rochers dans leur villégiature.

Un spectacle tout en nuances qui révèle les ratés du temps inexorable qui s’enfuit…

Véronique Hotte

Maison des Arts de Créteil, jusqu’au 15 octobre. T : 01 45 13 19 19.
Et Théâtre Paris-Villette, du 5 au 19 novembre.

 

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