Le Dernier testament, d’après Le Dernier testament de Ben Zion Avrohom de James Frey, adaptation de Mélanie Laurent et Charlotte Farcet, mise en scène de Mélanie Laurent
Michèle Bigot a bien dit (voir ci-dessous) la grande faiblesse de cette adaptation et l’insuffisance du scénario (il faudrait analyser cette obsession actuelle qu’il y a à adapter des romans connus à la scène!). « Il est ensuite évident qu’il fallait en faire une pièce, dit naïvement Mélanie Laurent, qui précise qu’elle a fait « un travail de débroussaillage pendant trois ans pour garder l’essentiel! » (sic). On se demande avec effroi, ce qui serait advenu si elle y avait passé seulement un an! Et, si on a bien compris, elle voulait adapter ce roman au cinéma mais, faute d’avoir les droits, elle s’est rabattue sur le théâtre. Merci pour le théâtre…
Il faut dire la grande prétention de cette première mise en scène qui tourne à vide et n’évite aucun des poncifs du théâtre contemporains, comme entre autres, un plateau nu, l’emploi d’images vidéo, des projecteurs bien visibles à cour et à jardin pour des éclairages latéraux, un sol couvert de tourbe marron, etc. Et Mélanie Laurent emprunte beaucoup à Wouajdi Mouawad, en ce qui concerne la dramaturgie, en particulier à Incendies, ce qu’elle reconnaît honnêtement! Mais on est loin du compte, et à des années-lumière de l’univers du dramaturge libano-québécois dont a pu voir nombre de spectacles d’une poésie flamboyante sur ce même plateau.
Rien à faire, cette mise en scène sans rythme, distille, et de façon irréversible, un ennui de premier ordre! Comme le révèlent les toussotements dans la salle qui se manifestent en permanence. Désolé mais nous serons plus sévères que Michèle Bigot (désolé, il n’y a ici aucune dimension magique!)… Que peut-on sauver de ce naufrage? Pas grand chose, sinon quelques rares belles images mais très fabriquées, comme cette grande nappe blanche qui dégouline de sang, et les trois minutes d’un chœur surgi du public qui apporte un peu de fraîcheur, moment trop court mais tout à fait bienvenu dans ces deux heures éprouvantes.
Pour le reste, autant en emporte le vent glacé qui balaye la place du Trocadéro. Distribution très inégale: mais heureusement, il y a Lou de Lââge, toujours aussi brillante; mal dirigés, les comédiens semblent un peu perdus sur ce grand plateau nu. Heureusement aussi, l’actrice et réalisatrice de cinéma a une grande chance: pouvoir compter sur une équipe technique très solide comme celle de Chaillot; de ce côté-là, il a au moins un travail impeccable!
Reste une véritable énigme. On se demande pourquoi Didier Deschamps a accueilli cette première mise en scène sur le grand plateau de la salle Jean Vilar, objet de tant de convoitises chez les jeunes metteurs en scène qui en rêvent… sans jamais l’obtenir ? Soyons clairs: cela ressemble, en tout cas, à un bien mauvais coup porté à l’expression théâtrale dans une maison désormais surtout consacrée à la danse, et où il y a de belles réussites, comme cette reprise du Y Olé! de José Montalvo (voir Le Théâtre du blog) qui a fait salle pleine ce mois-ci. Ce qui ne sera sûrement pas le cas avec Le dernier Testament qui va faire fuir le public!
Vous pouvez donc vous épargner sans regret ce médiocre spectacle, et l’épargner aussi, si vous êtes enseignants, à vos lycéens ou étudiants: ils ont droit à l’excellence et cela risque de les dégoûter à jamais du théâtre contemporain.
Philippe du Vignal
Théâtre National de la danse Chaillot, Place du Trocadéro, Paris 16ème. T: 01 53 65 30 00.
Après une carrière au cinéma bien remplie, comme actrice et réalisatrice (rappelons le tout récent Demain), Mélanie Laurent arrive au théâtre avec un travail sur un roman qui évoque la venue de Ben, un nouveau Messie, dans le New-York d’aujourd’hui. Comme celui de Galilée, il doit faire face à toutes les formes de la misère humaine, et le XXIème siècle lui en offre une large palette : violence, racisme, solitude, chômage, drogue, cynisme généralisé, et large territoire propice aux miracles ! Lui aussi est juif, issu d’une famille orthodoxe convertie à l’évangélisme. Lui aussi aura à lutter contre le fanatisme des nouveaux pharisiens. Mais seul, fort de sa seule humanité, face à la misère des corps et des cœurs !
Mélanie Laurent avoue sa fascination pour ce texte qui parle la puissance de l’amour et elle a su s’entourer de comédiens et techniciens remarquables. Mais cette adaptation se révèle d’une grande faiblesse. Tout le monde ne s’appelle pas Julien Gosselin qui a su adapter un roman de Houellebecq mais aussi le fameux 2666 de Roberto Bollano… Que faire d’un narrateur qui ne sait quoi faire de ses bras ? En fait, manque ici une véritable adaptation du texte au régime énonciatif, et une pluralité de voix… La scène exige en effet une variété d’événements dans la narration, sauf chez Claude Régy, aux mises en scène très dépouillées, voisinant avec le silence, et proches de l’incantation poétique.
Mais Mélanie Laurent situe dans un entre-deux maladroit, et la musique, aussi pertinente soit-elle, ne suffit pas à éviter un enchaînement linéaire des scènes. Les choses s’améliorent pourtant, quand surviennent des personnages qui en racontent un épisode. Il y a même de très beaux moments comme la chute de Ben, de son échafaudage. Poignante et poétique utilisation de la vidéo qui, comme l’exceptionnelle création-lumière de Philippe Berthommé, qui donne au spectacle une dimension magique…
Un autre épisode, pourtant bien humble dans sa facture, est aussi très réussi : Ben, le nouveau messie, incarcéré et menotté, se trouve en tête à tête avec son geôlier, et réussit, par la seule force de son empathie à arracher cet homme à sa profonde détresse.
Scène essentielle, presque silencieuse et très économe en moyens qui en fait ressortir la pure humanité.
Mais le texte lui-même n’échappe pas à une certaine naïveté : on aurait aimé qu’il soit plus corrosif pour évoquer la misère qui s’abat sur la cité. Mais ici la peinture sociale sert de prétexte à un discours lénifiant, inspiré de l’évangélisme, alors que l’on serait en droit d’attendre un tableau virulent et acide. Et le discours qui conviendrait le mieux n’est sans doute pas le prêche ! On a envie de répondre comme Amos Oz dans son dernier roman, Judas : «Aimer tout le monde, finalement, c’est n’aimer personne ! ».
Et on est ainsi très partagé devant la superbe image du dernier tableau, où l’amour se répand sur le monde, comme les langues de feu de l’Esprit-Saint sur la tête des apôtres à la Pentecôte, grâce à la création-lumière et à la grande beauté de la comédienne-danseuse, Nancy Nkusi. Et en même temps, cette vision béate provoque l’agacement…
Michèle Bigot
Spectacle vu au Théâtre du Gymnase, à Marseille, le 20 septembre.