Livres et revues

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Le Théâtre de Jean Genet par Olivier Neveux

IMG_0471Les Bonnes, Haute Surveillance, Elle, Splendid’s, Le Balcon, Les Nègres, Les Paravents, ces pièces lumineuses (1910-1986) font de ce théâtre, une œuvre incontestablement majeure. Porteuses d’un bel élan subversif, à travers la mise en éclats des conventions et des figures prévisibles de l’ordre. Or, la matière même de cette subversion en question échappe, insaisissable.

Les réflexions du dramaturge: lettres, préfaces, essais, sont aussi l’occasion pour Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Université Lyon 2, d’explorer l’immense et paradoxal chant d’amour que Jean Genet adresse au théâtre.
Toute sa vie en effet, le poète maudit a nourri une défiance vis-à-vis de l’art scénique, ou plutôt de l’usage qui en est fait, soumis à une reconnaissance bourgeoise implicite, ce à quoi, Jean Genet ne saurait souscrire. L’écart est trop grand, pour lui, entre la promesse entrevue et sa réalisation.

Deux grandes périodes dans la vie de l’écrivain: celle des années 1942-1948,  avec des textes comme Le Condamné à mort, Notre-Dame-des-Fleurs, Miracle de la rose, Pompes funèbres, Querelle de Brest, Journal du voleur et des pièces comme Haute surveillance, Les Bonnes et Splendid’s ; et celle des années 1955-1962 où il écrit, simultanément et successivement à la fois, d’autres pièces comme Le Balcon, Les Nègres et Les Paravents. Mais aussi Le Funambule et L’Atelier d’Alberto Giacometti.

 Le Théâtre de Jean Genet, composé de quatre temps, respecte la chronologie de l’écriture et la publication des pièces. Dans les années 1940, il publie ses premiers textes et en vient à l’écriture dramatique : Les Bonnes et Haute Surveillance (1947) et Splendid’s (1948), des pièces qui relèvent d’une «utilisation classique de la scène à l’italienne dans son horizontalité», différentes des trois suivantes, dix ans plus tard : Le Balcon (1956), Les Nègres (1958) et Les Paravents (1961).
Puis quand il  se remet à écrire en 1955, Jean Genet se consacre exclusivement au théâtre, avec  des pièces, ayant pour thème le spectacle (Le Funambule), l’art et les représentations (L’Atelier d’Alberto Giacometti, Le Secret de Rembrandt en 1957/58). Et plus tard, s’ouvrira le temps du dernier Jean Genet (Un Captif amoureux).

Ses œuvres sont montées par les grands metteurs en scène contemporains en France et en Europe: d’abord, Louis Jouvet qui créera Les Bonnes-ce qu’on oublie souvent-puis Peter Zadek, Tania Balachova, Roger Blin, Jean-Marie Serreau, Erwin Piscator, Giorgio Strehler, Patrice Chéreau, Peter Brook, Jean-Marie Patte, Lluis Pasqual, Peter Stein, Georges Lavaudant… Malgré la défiance  qu’ a Jean Genet pour le théâtre, cet art l’attire toujours.

Avec une œuvre ennemie de l’ordre et d’une certaine France, celle de la bourgeoisie et de l’Occident, l’écrivain s’est engagé aux côtés des opprimés, des faibles et des démunis, mais sa lutte concerne l’injustice et non la justice en tant que telle, dit Dominique Eddé. Il  prend en effet à rebours l’injonction à être constructif et comme le dit Olivier Neveux:«C’est non et pour toujours, et sans retour. Enfant abandonné, voleur, prisonnier, homosexuel… Il n’est le siège d’aucune sagesse… Il parle en son nom… C’est comme si le mode de perception érotique avait affecté toute la vie sensible… » Un monde configuré à partir du désir.

 Pour Olivier Neveux, ce théâtre n’est ni le reflet du monde ni son miroir, même brisé et blessant. On pourrait le comparer, dit-il ,«au jeu de l’ombre, plein d’illusions, où l’on s’amuse à se tromper l’œil, majestueux et incessant, inquiétant et prodigue, plein d’hypothétiques périls, mais aussi enfantin, évanescent. L’ombre, en effet, crée un espace pour les étreintes dérobées, le langage nocturne des amants, les secrets et les armées clandestines, les mauvais coups, la vacance, l’heure des fugues et des fuites… »
Et il cite Jean-Bertrand Pontalis commentant La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemihl d’Adelbert von Chamisso : « …Seule l’ombre désincarnée-comme le sont les fantômes, les images de nos rêves et nos morts et nos disparus-donne une chair à l’être humain. »
Un ouvrage passionnant, dont le regard renouvelé sur l’œuvre de Jean Genet ouvre encore des perspectives toujours autres, différentes et «différantes».

 Véronique Hotte

 Le livre est paru dans la collection Le théâtre de, aux Éditions Ides et Calendes.

 

le-maraisLe Chant du marais , conte de Pascal Quignard, dessins de Gabriel Chemoul

Ce conte, dont une première version avait été écrite en 2002,  a été adapté pour le théâtre sous le titre Le Nom sur le bout de la langue. Il constituait le premier acte de ce spectacle créé en 2005 par Marie Vialle au Théâtre de la Bastille.
On retrouve ici la remarquable poésie et sa façon bien à lui de Pascal Quignard de s’emparer du passé, quand l’homme est en proie aux misères du monde.
Cela se passe à Paris au XVIème siècle dans la quartier du Marais à Paris où a lieu un concours de chants d’enfants. Bernon, neuf ans, en fut la vedette mais n’obtint pas le prix car il était protestant, et c’est un autre enfant, Marcellin, originaire de Palaiseau qui l’eut à sa place…

Ainsi commence cette belle histoire, avec un texte  dont c’est la vingtième version écrite en peu de lignes pour Gabriel Schemoul, en blanc sur fond noir.  Magnifiquement illustré par ce jeune dessinateur de bandes dessinées  et illustrateur à l’Ecole des Loisirs. Cela ressemble à une sorte de fleuve sombre, vire noir où flottent un chapeau à plumes, un crâne humain,  quelques feuilles et petits fruits, un cercueil…

L’illustration suit ce conte fantastique où un crâne se met à chanter… Cela a  quelque chose d’un peu triste, voire parfois sinistre mais sublime de beauté et de poésie; le livre lui-même ressemble à un bel objet baroque. Peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains mais, en tout cas, sûrement  dans les vôtres si vous voulez vous faire plaisir.

Philippe du Vignal

Editions Chandeigne 10 rue Tournefort 75005 Paris.  T: 01 43 36 78 47. 22 €.

 


Cahiers-de-Sentiers_04Cahier n°4 de l’Association Sentiers : Laurence Louppe

L’association Sentiers va éditer son cahier n°4, avec d’abord, un compte-rendu d’Un héritage sensible et théorique, Journée du 20 avril 2013 au Cratère d’Alès-Scène nationale, qui avait été  consacrée au travail de Laurence Louppe, décédée  il y a cinq ans.

« Critique et historienne, témoin important et penseuse de la danse contemporaine, Laurence a été un lien essentiel entre théoriciens et artistes, donnant lisibilité et parole à chacun, dit Marie-Claire Gelly-Aubaret: elle avait écrit Poétique de la danse contemporaine, en résidence d’écriture au Cratère. »
Au sommaire,  de nombreux articles dont  notamment celui de Daniel Dobbels, L’Effroi critique (pour Laurence Louppe), L’Atelier de l’invisible mémoire de Laurence Saboye, des textes de Joëlle Vellet, un texte inédit et des extraits de la correspondance de Laurence Louppe.
Pour éditer ce Cahier, Sentiers lance un financement. L’édition en sera lancée, quand quatre-vingt souscriptions auront été reçues.

Jean Couturier

Souscription par chèque à: Association Sentiers, 30110 Lamelouze. T: 06 83 72 86 60.
Un exemplaire du Cahier n°4 : 3,10€ ; deux exemplaires 4,80€.


Ubu/Scènes d’Europe n°61-62:  vingt ans d’existence

 

couv6061Premier numéro  en février 1996 déjà! « Quand nous avons décidé de créer une revue de théâtre européenne, il y avait la guerre au cœur de l’Europe, dans l’ex-Yougoslavie, rappelle, dans son éditorial, Chantal Boiron, la rédactrice en chef. Vingt ans après, le rêve européen de 1989 a sombré dans l’indifférence. (…) Mais le national-populisme d’extrême-droite se banalise chaque jour davantage, avec les risques d’une désintégration de l’Europe et la mise en danger de l’idée même de démocratie. Ce nouveau numéro d’Ubu, comme son titre Face à l’urgence l’indique bien, « veut être une fois encore le reflet de moment présent que nous vivons ».

Soit un ensemble très riche, et d’une grande diversité; avec d’abord, un portait artistique du Caire à travers le témoignage de quatre metteurs en scène du théâtre indépendant:  Sondos Shabayek qui travaille sur Bussy , une adaptation égyptienne des Monologues du vagin, Ahmed El Attar, directeur du Studio Emad Eddin Foundation avec salles de répétition, programmes de formation techniques et du festival Downtown Contemporary Art Festival, Laila Solilan dont les deux derniers spectacles Hawa El Horreya confrontent les révolutions égyptiennes de 1919 (qui aboutit à l’indépendance de l’Egypte trois ans plus tard) et celle de 2011. et Zig Zig en 2016 qui parle des viols commis sur des femmes par les occupants anglais. Haasan El Geretly connu en Europe par ses Nuits El Warsha mêlant cabaret urbain, music-hall populaire, chants de protestation des années 70 et chants de Nubie.

Il y a aussi un texte de Joëlle Gayot sur les anticipations par Joël Pommerat avec Ça ira Fin de Louis sur le mouvement Nuit Debout de la Place de la République à Paris, et un très intéressant entretien d’Odile Quirot avec David Lescot, metteur en scène, acteur et musicien qui, à la recherche d’un monde où il pourrait vivre, traite dans son théâtre de faits socio-historiques, avec une intention évidente d’hybridation du théâtre.
Dans ce même numéro, un portait de l’allemand Dirk Laucke (34 ans) encore peu connu en France mais élu auteur de l’année par Theater Heute, le réputé magazine théâtral.  Et aussi une interview, par Chantal Boiron, de l’écrivain et metteur en scène  italien Stefano Massimi.
Signalons aussi un texte de la rédactrice en chef sur Anatoli Vassiliev qui ne travaille plus à Moscou mais un peu partout en Europe et qui a récemment monté au Vieux-Colombier, deux courtes pièces de Marguerite Duras, La Musica et La Musica Deuxième, un spectacle très controversé (voir Le Théâtre du Blog).

 On ne peut tout détailler de ce riche numéro mais, par sa diversité et son intelligence d’approche du théâtre contemporain il peut apporter beaucoup à un public soucieux d’élargir ses connaissances au-delà de notre cher hexagone.
 De plus Ubu est bilingue français-anglais. Malgré l’interlignage un peu serré qui ne facilite pas toujours la lecture, que peut demander de plus, le peuple européen ?

Oui, mais voilà: petit ou plutôt, gros ennui : la Région Ile-de-France vient d’avertir tardivement Chantal Boiron (le dossier a été déposé en avril dernier) qu’elle va supprimer la petite subvention qu’elle accordait depuis plusieurs années  à Ubu. Alors que son équilibre, comme celui de toutes les revues, a un équilibre budgétaire fragile.
On ne dira jamais assez qu’on a plus que jamais besoin de ce type de publication qui occupent un créneau à part-discret mais efficace-mais indispensable au bon fonctionnement de la pensée théâtrale aujourd’hui.

Philippe du Vignal

UBU Scènes d’Europe n° 60-61 deuxième trimestre 2016, en vente en librairie. Prix : 15 €.

 

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Archive pour novembre, 2016

F(l)ammes d’Ahmed Madani

F(l)ammes, texte et mis en scène d’Ahmed Madani

 

NCV3-2Anissa, Ludivine, Chirine,  Laurène, Dana, Yasmina, Maurine, une seconde Anissa, Haby et Inès : une litanie de prénoms exotiques et familiers mais aussi les destins de celles qui  vivent plus ou moins cachées dans la société française.
Avec Illuminations, premier volet du triptyque auquel il travaille depuis plusieurs années, Ahmed Madani nous avait mis, avec humour et poésie, face à l’une de nos craintes avouées ou inavouées : les jeunes des «quartiers sensibles ».
« Nous sommes là pour vous protéger de nous», disaient ces abonnés aux petits boulots, agents de sécurité «debout payés».  On peut lire à ce sujet, Debout Payé de Gauz (2014)  qui retrace la vie d’Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile, après avoir atterri sans papiers à Paris, en 1990.

Les filles qui forment parfois des bandes fascinantes et mimétiques de la violence masculine, ne font pas peur. Bonnes élèves, poussées par un besoin d’émancipation, elles sont diplômées, efficaces mais peu visibles. Mais, comme les garçons, sous-employées et reléguées dans leur cité !
 Ahmed Madani sait de quoi il parle, en habitant et explorateur du Val fourré,  cité emblématique des fameux quartiers sensibles. Il ne va pas s’indigner de la honteuse langue de bois, non, mais redonner à l’adjectif, son vrai sens. Pour commencer, oublions la statistique: mille personnes, c’est mille fois, une personne. Une vérité qu’il met en scène.

F(l)ammes pourrait être un simple défilé de témoignages; c’est mieux que cela : du théâtre. Ahmed Madani a choisi des actrices non professionnelles mais ne les a pas confrontées à leur maladresse, au contraire. Des mois de travail ont permis à leur récit de grandir, de se préciser. Avec un dessin  fort, une forme polie et repolie.
Comme si chaque vie devenait un trésor. Trésor de langage, de pensée, de drôlerie sur des choses pas drôles, et sur les déconvenues qui attendent ces jeunes françaises «de la diversité», pleines d’énergie et d’espoir. Diversité: encore un mot langue de bois cachant racisme et discrimination, aggravés parce qu’elle sont des femmes.
 Chiche ! Si l’on en parlait de diversité ? Dix femmes, donc dix personnes différentes, qui peuvent s’aimer, s’affronter, s’ignorer, danser ensemble et surtout, en cherchant dans les souvenirs de leur famille maternelle, témoigner de leur vie. La condition singulière de chacune en faisant la condition féminine.

Ahmed Madani leur a donné un horizon de pure poésie, inspiré au vidéaste par ce que Claude Lévi-Strauss rappelle au début de Race et histoire : le terme « barbare » viendrait, pour les Grecs anciens, «de la confusion du chant des oiseaux», avec le terme « sauvage » désignant les habitants de la forêt. Chiche, encore une fois : retournons les termes péjoratifs pour en faire une belle respiration.
On peut discuter ça et là de la construction du spectacle mais, tel quel, il vous emporte. On ouvre les yeux avec lucidité et bonheur sur cette France qui n’a pas besoin de liberté- elle est déjà libre-ni de fraternité :la famille, elle connaît, mais bien d’égalité. Qu’on se le dise…

Christine Friedel

Maison des Métallos à Paris, jusqu’au 4 décembre.

Travaux Douze à Mantes-la-Jolie, du 8 au 10 décembre.  Du 8 au 10 décembre 2016 : Collectif 12 à Mantes-la-Jolie le 12 janvier : La Renaissance à Mondeville Du 17 au 24 janvier : Le Grand T à Nantes du 26 au 28 janvier : La Maison des Arts et de la Culture de Créteil Le 30 janvier  : Le Safran à Amiens.
Le 01 février : La Piscine à Châtenay-Malabry Du 16 au 18 février : Tropiques Atrium Martinique Du 02 au 03 mars  : L’Atelier à spectacle à Vernouillet le 8 mars : La Ferme de Bel Ébat à Guyancourt le 10 mars : Fontenay en scènes à Fontenay-sous-bois le 14 mars  : Forum Jacques Prévert à Carros du 16 au 17 mars  : Théâtre de Grasse le 21 mars : Théâtre de l’Olivier à Istres Du 24 au 26 mars : La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs à Paris Le 30 mars  : L’ECAM au Kremlin-Bicêtre Le 21 avril : La Nacelle à Aubergenville.
Le 25 avril : Théâtre de Coutances Du 27 au 28 avril : CDN de Normandie-Rouen à Petit-Quevilly Juillet  : Théâtre des Halles à Avignon.

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Une Chambre en Inde

Une Chambre en Inde, création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre, en harmonie avec Hélène Cixous

C’est toujours avec émotion que l’on pénètre au Théâtre du Soleil. Souvenirs, souvenirs… depuis Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki en 1963, une petite opérette de Jacques Offenbach jouée deux fois dans une salle de patronage près de Montparnasse, Le Songe d’une nuit d’été  au Cirque d’hiver à Pigalle aujourd’hui disparu, puis, presque en face La Cuisine d’Arnold Wesker montée dans une salle de boxe et qui consacra cette alors toute jeune compagnie, puis l’arrivée à la Cartoucherie avec les fameux 1789 et 1793, et  la série des Shakespeare…
Le Théâtre du Soleil restera emblématique du renouveau du théâtre français dans les années 70.

Les comédiens Philippe Léotard et Louba Guertchikoff, Martine Frank, la photographe du Soleil et l’excellent scénographe Guy-Claude François… ne sont plus. Mais le Théâtre du Soleil, si. Et Ariane déchire toujours les tickets à l’entrée et salue le public avec un grand sourire complice.

©michele.laurent

©michele.laurent

On est toujours bien accueilli dans ce grand hall dont les murs sont peints à l’image du spectacle, avec cette fois-ci, des fresques inspirées de l’Inde et des maximes de Gandhi ; au bar, on sert toujours boissons et plats bon marché.
Et on peut toujours voir les comédiens se préparer derrière des rideaux blancs transparents, dans une salle sous les gradins. Aucun doute, magique pour les spectateurs qui connaissent et ceux qui découvrent le lieu. C’est aussi beaucoup pour cela, soyons lucides que nous continuons encore à aller au Théâtre du Soleil dont les derniers spectacles nous avaient laissé sur notre fin.

Et il y a toujours Jean-Jacques Lemêtre, compositeur et musicien, aidé par ses deux assistantes orientales, parmi des dizaines d’instruments d’Afrique, d’Asie et d’Europe sur le côté cour du grand plateau.

Et Ariane Mnouchkine, assise à une petite table dans la salle mais près du plateau, prend toujours discrètement des notes pendant la représentation. Et il y a toujours un public plus très jeune mais fidèle, qui vient, comme en pèlerinage, tous les deux ou trois ans à chaque création du Soleil. Une chambre en Inde, comme les autres, affiche complet…malgré un prix proche de ceux pratiqués dans le théâtre privé : 40€.

 Cela se passe donc en Inde dans une grande chambre-avec claustras, volets à lames et ventilateurs. Un grand lit blanc et une vaste table pleine de livres. Cornélia qui a dû prendre la tête d’une compagnie de théâtre (Hélène Cinque) évoque avec Astrid, l’administratrice d’une compagnie de théâtre, la situation. Plus d’argent! et leur directeur, Constantin Lear (allusion à Stanislavski et Shakespeare à la fois), bouleversé par les attentats de Paris, s’est enfui…
Très angoissée, Cornélia, souvent au téléphone noir à cadran des années cinquante, est aussi en proie à une sévère gastro qui l’oblige à aller souvent aux toilettes, bien visibles derrière sa chambre. Des policiers se présentent : ils ont retrouvé le directeur mais nu et bien alcoolisé assis sur une statue du très vénéré Gandhi ! Donc, grand scandale dont Cornélia n’avait pas besoin!

Trois émirs arrivent d’Arabie saoudite, pays bien connu pour sa politique antiféministe, et lui disent qu’ils voudraient être mieux classés que l’Iran, au palmarès des pays défendant l’égalité hommes/femmes…
On évoque aussi dans ce spectacle les questions écologiques, celle de l’eau en particulier, capitale pour la planète et il y a la parodie féroce d’un tournage dans le désert, d’un film pour Daesch dont le Théâtre du Soleil moque avec un courage certain, les principes comme les attentats sanglants, il y a un déjà un an en France et en Belgique

©michele.laurent

©michele.laurent

  Cornélia, dans un grand lit blanc, tente d’échapper à toute cette folie, mais s’avère incapable d’avoir le moindre projet théâtral qui pourrait tenir la route.  Alors, elle rêve, à Shakespeare, aux pièces d’Anton Tchekhov montées par Peter Stein ou Giorgio Strehler, les maîtres incontestés qui ont fondé la réflexion et la pratique théâtrale d’Ariane Mnouchkine, bref, toute une époque… Mais aussi au nô, au Mahabharata et au Terukkuttu, specatcle traditionnel tamoul populaire et joué dans les campagnes en Inde du Sud, dehors avec quelques pauvres lumières, qu’elle a redécouverts cette année mais aussi à Charlie Chaplin, que l’on verra à la fin, dans un monologue du Dictateur où il dénonce le désespoir et la haine malfaisante.

Mais, se demande Ariane Mnouchkine: «Comment aujourd’hui raconter le chaos d’un monde devenu incompréhensible ? Comment le raconter sans y prendre part, c’est-à-dire sans rajouter du chaos au chaos, de la tristesse à la tristesse, du chagrin au chagrin, du mal au mal ? » (…) Face à l’angoisse qui nous étreint, nous avons choisi la vitalité du théâtre, et le rire !
Après un entracte-bienvenu!-Cornelia dit à Astrid qu’elle donnera  son programme quand le théâtre aura un effet bénéfique sur le Tibet. Elle reçoit aussi William Shakespeare (Maurice Durozier) et Anton Tchekhov (Arman Saribekyan), accompagné des Irina, Macha et Olga de sa fameuse pièce Les trois sœurs ! Bon… Mais on ne voit pas trop bien le fil rouge de cette pièce, sinon le théâtre!

©michele.laurent

©michele.laurent

C’est un spectacle d’une profonde exigence et d’une grande précision, parfaitement réglé avec une quarantaine d’acteurs, ce qui suppose une maîtrise absolue du plateau et une grande discipline donc un travail de formation des acteurs qu’Ariane Mnouchkine a emmenés à Pondichéry en janvier dernier, avec tous ses collaborateurs du Théâtre du Soleil.
Première étape de cette nouvelle création collective, dans le cadre d’un travail effectué par  l’Ecole Nomade avec une dizaine de comédiens. Fabuleux pari que ce spectacle, pour celle qui était déjà partie en Inde en 1963, très jeune et seule… Ce voyage sonne donc cinquante ans après comme un retour aux sources, avec une sorte de rituel que l’on sent empreint d’une certaine nostalgie: Ariane, plus très jeune, continue à affirmer sa confiance en la vie et le théâtre.

Et cela fonctionne ? Oui et non, c’est à dire mais pas tout le temps: on a le privilège de voir ces formidables scènes de danse et théâtre indiens avec des costumes sublimes, qui ravissent le public. Bien jouées, chantées et dansées par des interprètes indiens, somptueusement éclairées et dirigées.   Il y a en permanence une bonne dizaine d’acteurs sur le plateau, qui disparaissent comme par magie, une fois la scène finie. Il y faut, dans la mise en scène, une maestria de tout premier ordre. On retrouve ici la patte incomparable de la grande Ariane du temps de 1789, des Shakespeare (pas son récent et très approximatif Macbeth, voir Le Théâtre du Blog),  ou de l’Orestie.

Mais nous avons été beaucoup moins convaincus par le reste. Que signifie cet « en harmonie avec Hélène Cixous »?  Scénario faible (encore une fois, le théâtre dans le théâtre, tous aux abris!), avec allusions à des noms célèbres de la profession mais dont le public n’a jamais souvent jamais entendu parler), pauvres dialogues visiblement issus d’impros, enfilant des clichés. Bref, cela a parfois quelque chose de pathétique, comme si le Théâtre n’avait pas évolué.  C’est le maillon faible de ce spectacle bien rythmé mais trop long pour ce qu’il a à dire : quatre heures avec une entracte! où on fait réchauffer ensemble tous les thèmes à la mode et où il y a de sacrés tunnels.

Et le public? Visiblement partagé. D’anciens spectateurs fidèles du Théâtre du Soleil, enthousiasmés, applaudissaient fort, mais une partie-plus jeune, semblait plus sceptique, dont des lycéens de classe théâtre en nombre limité, eux, qui regardaient  sans grande passion, ce qui ressemble le plus souvent aux images d’une splendide BD.
Un de mes voisins, appuyé contre le mur, dormait lui, profondément. Même s’il se passe toujours quelque chose sur ce beau plateau.On rit un peu de temps en temps, mais à dire vrai, on s’ennuie aussi. Le spectacle, espérait Ariane Mnouchkine, serait vraiment drôle: il l’est parfois, mais n’exagérons rien, il n’a pas une véritable dimension comique.

Alors faut-il aller à la Cartoucherie ? Oui, si vous êtes vraiment fana du Théâtre du Soleil, d’autant que cette Chambre en Inde-et c’est le plus émouvant-avec toutes ses évocations du monde du théâtre au XXème siècle, sonne comme une sorte de testament personnel. Dans le dossier de presse, Ariane Mnouchkine remercie les centaines de gens qui l’ont généreusement aidé à bâtir et à réaliser ce projet qui lui était cher depuis longtemps… Et l’Inde, on le sait, est un pays qui lui aura beaucoup apporté sur le plan personnel et artistique.

Mais comment ne pas voir ici en filigrane, comme la fin probable un jour, du Théâtre du Soleil? Serait-ce son dernier spectacle? Comment aussi imaginer, sinon avec quelque vertige, la Cartoucherie sans Ariane Mnouchkine, et sans Philippe Adrien, au Théâtre de la Tempête ? Que deviendra sans elle que l’on nous envie partout comme une sorte de trésor national vivant quelques années, ce mythique Théâtre du Soleil?

On avait déjà eu l’an passé un avant-goût assez amer des plans auxquelles pourrait se livrer la Direction des spectacles au Ministère de la Culture, quand un de ses sbires avait essayé-en vain, grâce à une formidable mobilisation-de virer François Rancillac, directeur du Théâtre de l’Aquarium. Et on voit mal la ou le Ministre qui arriverait avec François Fillion faire de cadeau! Donc, restons vigilants.

Philippe du Vignal

Théâtre du Soleil Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvres. Métro : Château de Vincennes  puis navette gratuite.
Jusqu’au 31 décembre inclus, et du 11 janvier au 10 février.

T : 01 43 74 24 08
www.theatre-du-soleil.fr 

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Les Journées Théâtrales de Carthage (suite)

 

Les Journées Théâtrales de Carthage (suite)

 Des soixante-deux pièces programmées, nous n’avons pas, bien entendu, pu tout voir et certaines, en arabe, ont échappé à notre compréhension… Parmi nos coups de cœur, figurent Violences de Jalila Baccar et Fadel Djhaïbi, jouée à Annecy et que nous avions beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog).
Quelle que soit la qualité des spectacles, ils rendent compte de l’état du monde d’une autre   façon, comme s’ils étaient vus d’ailleurs, en déportant notre regard orienté vers un ethnocentrisme culturel.

 La Révolution des corps et Waiting de Mokhallad Rassem

Le jeune metteur en scène venu d’Irak où il ne peut plus exercer son métier, s’est installé à Anvers, accueilli par le théâtre Toneelhuis, dirigé par Guy Cassiers. Un espace pour créer et diffuser ses spectacles.

Il nous offre ici deux courtes pièces, aussi émouvantes que différentes mais utilisant la vidéo avec talent, créant un univers plastique original. Elles ont déjà parcouru le monde, mais n’ont jamais été présentées en France.
Trois hommes sortent d’un grand rideau blanc tendu en travers du plateau, où sont projetées images de guerre, ruines, chaos, et livres réduits en cendres…
Les personnages surgit de ces images dans une chorégraphie soigneusement réglée, tombent puis se relèvent en silence devant nous, tandis que leurs doubles, sous forme de photos ou de films  incrustés dans les images, parcourent maisons écroulées et rues désertes, comme des fantômes surréels. La bande-son diffuse le souffle d’un vent mauvais.
Les images parlent, les corps aussi mais sans commentaires et tout en pudeur, nous touchent profondément.

waitingWaiting (Attente) donne la parole aux gens de la rue, interrogés sur l’attente. Certains attendent le tram, d’autres le prince charmant, certains aiment cette attente : « L’occasion de faire autre chose» ; d’autres l’abhorrent : «Une perte de temps».
Loin de nous lasser, ce micro-trottoir d’apparence anodine, du moins au début, nous entraîne subrepticement, vers des problèmes existentiels et, bientôt, vers des questions de vie ou de mort.

 «J’attends d’être en sécurité», dit un migrant. Ainsi s’égrènent des paroles, dites en anglais, français et flamand : «Un rêve mort. Peut-être qu’on attend juste la mort, on est né pour faire ce voyage»; «J’attends depuis huit ans que la guerre soit finie.»; «J’attends mes papiers, cette situation fait que vous n’êtes pas vous.»
En contrepoint, les comédiens, deux femmes et un homme, traduisent en français, anglais et arabe, les propos des gens, tout en y apportant une distance humoristique, et la vidéo transmet les portraits sur plusieurs supports: un écran mais aussi de grandes feuilles de papier blanc froissées ou déchirées qui présentent la même image sur plusieurs plans et formats.

 Ce savant jeu kaléidoscopique et linguistique a une grande proximité avec les personnes sollicitées, la plupart d’origine modeste, dans cette enquête partagée avec émotion,  sur l’attente.

Deux spectacles légers, faciles à présenter en tournée et que nous espérons revoir en France.

Il faudra suivre Makhalam Rassem dans L’Orestie, un projet de Célie Pauthe, dans une mise en scène tripartite dont il assure la troisième partie, Les Euménides. Haythem Abderrazak, Irakien comme lui, met en scène la seconde partie, Agamemnon. Et Célie Pauthe en réalise la première, Les Choéphores.
Un chantier de longue haleine dans le cadre de la plate-forme Siwa, menée par Yagoutha Belgacem qui œuvre au rapprochement avec les mondes arabes, notamment la Tunisie et l’Irak. 

Son prochain spectacle sera présenté à Anvers en avril. Il l’écrira après un séjour de trois semaine dans un camps de réfugiés en Belgique, où il s’emploiera  à leur parler et à les filmer. 

 eruptionIn the eruptive mode (Sur le mode éruptif)/Voix d’un printemps confisqué, texte et mise en scène de Sulayman Al Bassam

 Au fond du plateau, s’ouvre une niche en biais où trône une pianiste ; de cette fenêtre oblique, elle domine l’aire de jeu : la compositrice Brittany Anjou fait chœur avec deux comédiennes, Rebecca Hart et Hala Omran. Musique et voix se mêlent, en arabe et en anglais, dans une suite de monologues poétiques, échos des printemps arabes. Soixante-cinq minutes intenses, où les personnages se succèdent, victimes ou témoins des turbulences de l’Histoire.
Crée à Koweit City en avril 2016, «la pièce, écrit l’auteur,
explore les territoires du désir, des tabous et de la transgression chez des êtres pris au piège des événements ; ils ne sont pas porteurs d’idéologies révolutionnaires ou réactionnaires mais des gens  habituels.
Chacun des personnages «collatéraux» est déterminé par la situation géopolitique où il se trouve, à la suite des soulèvements populaires de 2012. Dans 
Les Lamentations d’une jeune prostituée, les faits sont ici évoqués de loin mais Le Chant du Phoenix blanc donne la parole à un sniper d’une minorité chrétienne en pleine guerre civile. Nadia, en revanche, s’inspire directement du  témoignage d’une jeune prisonnière yezidi rescapée, Nadia Murad Basee Taha. I Let him in  met en scène une femme israélo-américaine en proie à des doutes vis-à-vis des Palestiniens si proches d’elle, de l’autre côté de la frontière.

Un travail vocal, sonore et musical sophistiqué et un univers plastique élégant apportent une distance poétique et parfois  pleine d’ironie, à ces situations où s’expriment doutes et contradictions des protagonistes.  

 Sank ou la patience des morts, texte et mise en scène d’Aristide Tarnagda

sankLe capitaine Thomas Sankara, père de la Révolution et président du Burkina Faso, pays des hommes intègres, fut assassiné le 15 octobre 1987, lors d’un coup d’État organisé par celui qu’il considérait comme son frère, Blaise Compaoré.
Le meurtre vient d’avoir lieu, quand commence la pièce. Elle évoque les derniers épisodes de la vie intime du futur martyr : Sanjara exprime ses convictions révolutionnaires, face aux pouvoirs étrangers qui veulent garder le contrôle du pays.
 Le réalisme de sa mère, de sa femme et de ses fidèles conseillers ne le convaincront pas d’abandonner son rêve, quitte à périr pour que ses idées lui survivent. Thomas Sankara se sacrifie pour sauver la Révolution, pensant que le souffle des morts ressuscitera ses idéaux tôt ou tard. «Maman, dit-il, il est temps que tu comprennes que nous sommes de la race de ceux qui doivent mourir pour vivre. »
La mise en scène,  sobre, parvient à faire entendre une langue où cohabitent en bonne entente, lyrisme et expressions populaires; l’auteur va jusqu’à reproduire un discours du héros où il cite Novalis: «Bientôt, les astres reviendront visiter la terre d’où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; (…) toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une très longue séparation (…). Alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, et, en chaque tombe, se réveillera la cendre éteinte. » «La patrie ou la mort, nous vaincrons !» conclut Sankara, à la fin du spectacle.
La structure dialectique de la pièce, son écriture imagée et concise, l’alternance des rôles assurés par seulement trois comédiens, fonctionne d’un bout à l’autre  de la pièce… malgré une distribution peu convaincante.

 We call it love de Felwine Sarr et Carole Karemera 

Les spectateurs assis sur trois rangs de chaises se font face, séparés par un long et étroit couloir où on a dessiné une marelle. Mais ici, rien de ludique : une mère et le jeune assassin de son fils s’affrontent. Et c’est parole contre parole…
Le chemin vers la réconciliation sera long et difficile. Ils y arriveront pourtant: lui, en demandant pardon pour l’impardonnable, et elle, en allant jusqu’à dire au garçon : «Désormais, tu es mon fils, mon fils en humanité. »
Pour évoquer le génocide de 1994 au Rwanda, la pièce s’appuie sur les témoignages recueillis lors des tentatives de réconciliation nationale et remue ainsi une mémoire douloureuse mais qui doit s’exprimer. La blessure, cruelle béance entre les vivants et les morts, s’ouvre au plus profond, au plus cru des vécus individuels.
Dans l’obscurité, fait les instruments à vent et à percussion d’
 Hervé Twanirwa rythment de sons étranges  la mise en scène, minimaliste,  conçue dans une volonté de proximité avec le public. Sans doute nécessaire, cette démarche nous a pourtant laissé sur notre faim… 

A suivre…

 Mireille Davidovici

Les Journées Théâtrales de Carthage ont eu lieu du 16 au 28 novembre.
Programmation complète:  jtcfestival.com.tn

 

Timon/Titus par le collectif OS’O

 

Timon/Titus par le collectif OS’O mise en scène de David Czesienski

timon_titus Des cadavres sanglants gisent sur le plateau, et une tête de cerf empaillé domine le fond de scène… Ambiance théâtre élisabéthain, revue à l’aune gore du Grand-Guignol ou du cinéma de genre. 

« Faut-il payer ses dettes ? »  Qui dit dette dit culpabilité ( Schuld en allemand signifie l’un et l’autre). Le spectacle tourne autour de cette question – dont on n’aura pas la réponse- . À commencer, comme on nous l’explique dans un (trop) long préambule, par la dette contractée par les sept acteurs de la troupe envers les spectateurs.

 

Ceux-ci, qu’ils aient ou non payé leur place, leur consacrent du temps (deux heures vingt) et, comme le disait Benjamin Franklin, «time is money ». Mais ils n’auront pas droit aux deux pièces annoncées (deux fois dix actes !), sinon, à  un résumé ironique et musclé de Titus Andronicus. La première tragédie de Shakespeare et Timon d’Athènes, l’une de ses dernières, donnent le ton et le cadre dramatique au spectacle concocté par le groupe!

  Il s’agit d’une sanglante saga où l’argent sème la discorde. Les quatre membres de la famille Barthelot, à la mort de leur père, se découvrent un demi-frère et une demi-sœur cachés, avec lesquels ils doivent partager l’héritage.
Un septième et mystérieux personnage, Milos, tente d’arbitrer les dissensions fratricides, citant William Shakespeare à tout bout de champ. De même que le défunt forçait ses enfants à apprendre par cœur, puis à réciter Timon d’Athènes, une épreuve dont ils nous font une démonstration
Le dramaturge anglais est donc convoqué pour la violence de ses œuvres, mais un deuxième  écrivain apporte un contrepoint théorique : les jeunes gens puisent dans le livre Dette, 5.000 ans d’histoire de l’anthropologue américain David Graeber où il dénonce les théories actuelles de l’argent et du crédit, et prône l’effacement pur et simple de la dette globale.

 Débats politiques et histoire familiale constituent en alternance la structure de Timon/Titus. Au bord de l’espace où se joue la pièce, les comédiens débattent, se contredisent, commentent l’action avec une belle énergie, puis réintègrent leurs rôles dans cette fiction rocambolesque et parodique, entre drame bourgeois  et tragédie.
 Ce va-et-vient fonctionne quelque temps mais les trois dénouements imaginés pour cette sordide histoire d’héritage (avec trois inutiles versions du testament) donnent une impression de longueur.

 Timon/Titus a remporté le prix du public et celui du jury au Festival Impatience 2015 et l’on ne peut nier le talent d’OS’O. Fondé au sortir de l’Ecole Supérieure de Théâtre de Bordeaux, le collectif porte un regard inquiet sur le monde : «Un monde désenchanté, sans idéologie, sans mythe. De quel mythe avons-nous besoin aujourd’hui ? Par mythe, nous entendons un récit, une histoire capable de bouleverser notre vision et nos pratiques sociales. Nous sommes loin d’avoir la réponse,  mais, en tout cas, la question nous anime. »

Les jeunes comédiens, tous excellents, savent la communiquer et la partager avec le public, en s’adressant souvent frontalement à lui; ils offrent un spectacle généreux, amusant et d’une réelle esthétique baroque, qui a ravi les scolaires venus en nombre.
On peut seulement regretter les redondances inutiles où les emportent leur fougue et leur délectation du théâtre.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu au Cent-Quatre, programmé avec le Théâtre de la Colline.

Le 3 décembre, Le Phénix, Valenciennes. Le 7 mars M270, à Floirac ; le 15 mars, Les Trois T, Châtellerault ;  le 6 avril,  Le Canal, à Redon ; le 5 mai, au Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France ; le 9 mai, à L’Apostrophe de Cergy-Pontoise.

 Dette 5000 ans d’histoire est publié aux éditions Les Liens qui libèrent.

 

Le Théâtre de la Ville à l’espace Pierre Cardin avec Toro d’Akram Khan


Le Théâtre de la Ville emménage à l’Espace Pierre Cardin avec Toro d’Akram Khan

15727776Ancien théâtre à l’italienne construit par Davioud au XXème siècle, le Théâtre Sarah Bernardt, ex-Théâtre de la Cité sous l’Occupation, devenu ensuite Théâtre de la Ville (!!), avait été entièrement restructuré en 1967-68 par Valentin Fabre et Jean Perrotet, avec 987 places en gradins et confié à Jean Mercure, auquel succéda Gérard Violette qui, en 85, prendra sa suite et le réorientera surtout vers la danse et les musiques du monde. Et, en 96, il bénéficiera d’une seconde salle, le Théâtre des Abbesses.
Emmanuel Demarcy-Motta en est le directeur depuis 2007.

Comme le Théâtre du Châtelet, il vient d’être fermé pour cause d’indispensables travaux aussi indispensables qu’importants prévus depuis longtemps mais différés: climatisation, réaménagement de l’accueil, du foyer au premier étage, mise aux normes du plateau et des espaces pour les comédiens, reconfiguration  de la salle, etc.; il rouvrira au printemps 2019.
La tristounette place du Châtelet fera aussi et en même temps, l’objet d’une importante rénovation, ce qui n’est  pas un luxe…

Le Théâtre de la Ville, grosse entreprise de spectacles, est dotée d’une subvention de 10, 7 millions de la Mairie. Espace de création et d’accueil pour le théâtre, la danse, les spectacles pour enfants, la musique classique et les musiques du monde, il est aussi un des lieux du Festival d’Automne.
 En 2007,  il  a reçu quelque 220.000 spectateurs, dont environ 14.000 abonnés, avec un budget artistique annuel  de  4,5 millions d’euros sur un budget total de fonctionnement de 13 millions,.
Avant le spectacle, Dominique Alduy, la présidente du Théâtre de la Ville, Emmanuel Demarcy-Mota et l’adjoint à la Culture de la Mairie, Bruno Julliard, ont remercié pour leur travail exemplaire les nombreux responsables de cette émigration temporaire à l’Espace Cardin. Ce qui n’était en effet pas du tout évident, puisque c’est la totalité du personnel qui va travailler là.

Construit au dix-huitième siècle, le Café des Ambassadeurs  est remplacé par un théâtre construit en 1931 qui fut dirigé de 1938 à la guerre par Henri Bernstein, dramaturge bien oublié aujourd’hui ; il appartient à la Mairie qui en accorda la concession en 1970 à Pierre Cardin, et rebaptisé… Espace Cardin. Et où Bob Wilson créa plusieurs spectacles.
Il comprend une salle de 680 places, et d’autres lieux dont une surface d’expositions d’environ  1.500 m2.


On est loin de la jauge de la salle  du Théâtre  de la Ville mais, comme l’a souligné Emmanuel Demarcy-Motta, ce déménagement qui, comme tout les autres, est toujours  un certain traumatisme, aura été une opération réussie, et le plateau d’une ouverture plus limitée pourra quand même accueillir de  grands spectacles.

Pour les deux premières soirées d’ouverture au public, Emmanuel Demarcy-Motta a choisi d’accueillir le chorégraphe anglais, dont la famille est originaire du Bangladesh, Akram Khan, habitué du Théâtre de la Ville qui avait joué tout jeune dans Le Mahabharata, spectacle mythique monté par Peter Brook il y a presque trente ans, dans  la Carrière Boulbon, au festival d’Avignon.
En 2000, il fonde sa compagnie à Londres et y crée Rush puis il est vite devenu un des maîtres de la danse contemporaine en Grande-Bretagne, grâce à une chorégraphie toute en énergie, à partir d’un savant équilibre entre le traditionnel kathak du Nord de l’Inde qu’il apprit à sept ans, et la danse contemporaine occidentale.
Il a collaboré ensuite avec le National Ballet of China, Juliette Binoche qu’il a fait danser, et des chorégraphes comme Sidi Larbi Cherkaoui,  mais aussi avec des artistes comme Anish Kapoor qui réalisa les décors de Kaash, spectacle qui révéla, avec Ma, ce jeune chorégraphe au monde en 2003 et 2004. Le Théâtre de la Ville a présenté la plupart de ses créations dont Zero degrees, Desh… et Torrobaka dont est issu ce Toro présenté deux fois pour l’ouverture de l’Espace Cardin.
Il danse ici en solo-donc cette fois sans Israel Golvan qui a signé avec lui la chorégraphie, aux côtés des autres interprètes de Torabaka, les chanteurs Christine Leboutte et le contre-ténor David Azurza, et le grand danseur gitan Bobote, et l’indien BC Manjunath.

 Le kathak est réputé pour la virtuosité des mouvements de mains et a sans doute beaucoup influencé Akram Khan dans les variations qu’il propose en soliste, avec des rythmes qui s’accordent bien au chant de Christine Leboutte.
Le spectacle, issu d’une rencontre entre la musique indienne et la danse flamenco est  remarquablement construit et d’une sublime virtuosité et, parfois semble-t-il, avec un certain humour mais n’évite pas toujours répétitions et longueurs.
Mais le public, essentiellement de danse, était conquis.

Philippe du Vignal

Spectacle vu à l’Espace Cardin, Paris 8ème, le 24 novembre.

Deux autres pièces d’Akram Kan seront aussi présentées  à Paris par le Théâtre de la Ville : Until the lions au Théâtre de la Villette, du 5 au 17 décembre, et Chotto Desh au Théâtre des Abbesses, rue des Abbesses, Paris 18ème,  du 21 décembre au 6 janvier.
Chotto Desh sera aussi jouée à l’Espace 1789 à Saint-Ouen (Hauts-de-Seine), les 26, 27 et 28 janvier à 16h et 20h. T : 01 40 11 70 72.

 

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Iphigénie en Tauride de J. W. von Goethe

Iphigénie en Tauride de Johan Wolfgang von Goethe, mise en scène de Jean-Pierre Vincent, traduction de Bernard Chartreux et Eberhard Spreng

 Iphigenie_en_Tauride_Raphael_Arnaud_5Ce texte est une réécriture, par le célèbre écrivain allemand, de la tragédie d’Euripide (en grec, Tauri est le nom d’une peuplade scythe installée à l’époque en Crimée). Iphigénie, fille aînée d’Agamemnon et Clytemnestre, a failli être immolée à Aulis, pour favoriser le départ de la flotte grecque vers Troie. On la croit morte mais, sauvée par Diane et transportée dans les airs jusqu’en Tauride, elle y est devenue sa prêtresse et la gardienne du temple sacrificiel.

Dans cette presqu’île sauvage, le culte de Diane impose de mettre à mort les étrangers qui échouent sur ses côtes. Iphigénie persuade, grâce sa sagesse, le roi Thoas de cesser ces sacrifices. Le roi, amoureux d’elle, la demande alors en mariage mais elle refuse, rêvant de rentrer en Grèce; dépité d’être éconduit, le roi rétablit l’usage des sacrifices humains et quand accosteront son frère Oreste  avec son ami Pylade, Iphigénie va tout entreprendre pour les sauver et rejoindre la Grèce avec eux.

 Pour Jean-Pierre Vincent, Goethe (1749-1832) offre à cette héroïne antique, porteuse de la malédiction des Atrides, une parole signée de l’esprit des Lumières, et qui ouvre une brèche dans l’enchaînement fatal de la violence. La  création officielle de la pièce en 1802 correspond à la maturité de l’écrivain  dont le discours est plus mesuré et nourri du désir d’une société nouvelle, d’idéalisation de la Grèce, et de recherche de l’harmonie.

 Ce théâtre de la parole avait tout pour séduire Jean-Pierre Vincent, enclin à servir le verbe-images poétiques et débats d’idées, métaphores et argumentaire-un absolu de la littérature classique qu’on n’a guère l’occasion d’entendre sur une scène. De plus, l’écriture est ici mise au service de la  parole d’une femme qui réfléchit, médite, pèse et évalue philosophiquement les capacités  de son propre discours.
Cette parole se refuse à la violence et à la puissance masculines, qu’elles soient physiques ou bien morales, et sonde à travers le raisonnement et une intuition personnelle, les forces profondes et enfouies en elle qui la préparent et qui l’obligeront à dire non, et à refuser le diktat masculin.

 Dire et agir en même temps, éluder la ruse et le mensonge, fait se tenir Iphigénie, figure subversive merveilleusement interprétée par Cécile Garcia-Fogel, debout, ou assise sur un rocher. Elle réagit à l’entêtement des hommes en levant les bras, semblant implorer les dieux avec désespoir, ou bien en se cabrant et en tournant sur elle-même pour mettre à distance une fragilité passagère. Avec une voix grave et feutrée, elle impose une volonté majestueuse et une sagesse révolutionnaire idéale : faire advenir une pensée raisonnable et ouvrir les esprits.

Sous l’ombre d’un beau pin parasol comme en peignaient les Nabis, dessiné par Jean-Paul Chambas, ces hommes et cette femme s’affrontent sur le sable blanc des plages de villes en ruines, parsemées de restes antiques, cités d’hier et d’aujourd’hui. Accueillir l’étranger, le protéger et l’assister, telle est la loi à rappeler encore.

Les acteurs qui entourent cette égérie féminine ne dérogent pas aux enjeux politiques et poétiques  qui ont des accents contemporains. Vincent Dissez incarne la passion dévastatrice comme la détermination lucide, et Pierre-François Garel (Pylade) est tout à fait convaincant comme Thierry Paret qui joue le patient Arkas, conseiller persuasif mais impuissant, intercédant entre Iphigénie et le roi Thoas, incarné avec élégance et maturité par Alain Rimoux.

 Véronique Hotte

Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville, rue des Abbesses, 75018 Paris,  jusqu’au 10 décembre. T : 01 42 74 22 77.
La version en prose de la pièce (1779) et celle qui est versifiée (1802) sont parues à L’Arche Éditeur.

Les Journées Théâtrales de Carthage 2016

Les Journées Théâtrales de Carthage ( JTC) 2016 

 

 “ Jusqu’en 2011, nous avons été dans la connivence. L’État doit se taire et soutenir notre liberté d’art et d’artiste. Sinon nous allons rater encore une fois, proclame, haut et fort, le ministre des Affaires Culturelles,  Mohamed Zine El Abidine. Il est capital pour nous que le Ministère de culture s’assume en rupture totale avec la manière de procéder d’avant… Nous devons nous racheter… La société civile a évolué. Et nous avons perdu trop de temps… »
En effet, depuis cinq ans, cinq ministres de la Culture se sont succédés, et le dernier en date, musicien renommé, entend bien promouvoir l’art et la culture avec leur présence réelle dans la cité : «Vous pouvez compter sur le soutien de vos valeurs par un ministre qui croit, plus que tout, à la démocratisation de la culture et à la liberté des artistes», a-t-il dit au public de professionnels réunis en marge du festival, pour réfléchir ensemble sur la circulation du théâtre entre pays arabes et africains, vocation première des Journées Théâtrales de Carthage, ainsi qu’entre le Nord et le Sud.

 

Adoption de la Déclaration de Carthage au centre le ministre de la Cultute

Adoption de la Déclaration de Carthage au centre le ministre de la Culture à droite le directeur des JTC

Mohamed Zine El Abidine souscrit donc entièrement à la déclaration de Carthage (voir Le Théâtre du Blog), élaborée, dès les J.T.C. 2015, par un collectif d’intellectuels et d’artistes. Pour la protection de ces femmes et de ces hommes en situation de vulnérabilité -mais ne sont-ils pas tous plus ou moins vulnérables, quel que soit leur pays ?-  cette charte est portée en Tunisie par plus de 300 associations de la société civile.

Cette déclaration sera présentée à Genève en mars 2017, «pour constituer la première commission officielle au sein du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme», explique Lasaad Jamoussi, actuel directeur de ces Journées Théâtrales de Carthage. Il incite fortement les artistes des nombreux pays présents à se constituer en O.N.G. , afin de s’organiser sur le plan international. Et les professionnels présents s’engagent à diffuser la Déclaration de Carthage.
Lasaad Jamoussi a aussi annoncé, dans la foulée, le projet collectif d’acquérir en Avignon un  lieu, afin d’y présenter des troupes du Sud, arabes et africaines.
Cette belle énergie a animé trois jours de rencontres professionnelles qui rassemblaient des directeurs de festivals africains: MASA en Côté d’Ivoire, CITO et Récréâtrales au Burkina Fasso, mais aussi européens comme Shubbak à Londres, Francophonies en Limousin, Passages à Metz, Sens interdit à Lyon, mais aussi du monde arabe…

Un état des lieux plutôt satisfaisant sur l’évolution des rapports Sud/Sud et Nord/Sud, confirmé par les témoignages de responsables de réseaux, théâtres et compagnies indépendantes, venus de nombreux pays africains, arabes et européens. Les directeurs des théâtres de Tunis, comme le Rio ou El Teatro, accueillent les spectacles du festival mais revendiquent aussi une programmation cosmopolite sur l’année.

La soirée d’ouverture sur la grande scène du Colisée, flanquée de colonnes gréco-romaines, a rappelé, en images, la carrière de l’acteur et metteur en scène Mancef Souissi (1944- 2016), fondateur du Théâtre National Tunisien, et créateur des J.T.C. en 1984. Elève de Roger Planchon et influencé par Bertolt Brecht, il est à l’origine du théâtre populaire dans son pays dans les années soixante, avec un groupe de onze artistes signataires du « Manifeste de Onze ».

Werewere Liking à la soirée d'ouverture

Werewere Liking à la soirée d’ouverture

Bien d’autres hommages  seront rendus au cours de la dix-septième édition de ce festival, notamment à Werewere Liking, écrivaine camerounaise installée en Côte d’Ivoire. Figure importante du renouveau de l’esthétique du théâtre-rituel, elle présenta un numéro époustouflant de vitalité multicolore ce soir-là, avec sa troupe de danseurs et musiciens, majestueuse dans ses costumes traditionnels et portant une coiffe sophistiquée. Personnage mythique de l’Afrique francophone, surnommée la Reine-Mère, elle règne en grande prêtresse sur son village de Ki-Yi (Côte d’Ivoire). En s’abreuvant aux sources de la tradition, elle initie des jeunes gens en difficulté, à la culture africaine sous toutes ses formes. Cette femme aux allures charismatiques, vénérée comme « trésor humain vivant », est, pour ses concitoyens, «magnifiquement panafricaine ; avec sa fondation, elle va tout faire pour que ce village soit le savoir de tous les savoirs, et la culture de toutes les cultures. »

Un personnage très attachant qui a présenté avec sa troupe de danseurs, plasticiens, musiciens et acteurs, Ton pied, mon pied, un spectacle de marionnettes inventif mais assez décevant, où des pieds géants conversent à bâton rompu.

Nous reviendrons sur l’ensemble de la programmation dans un prochain article.

 Lasaad Jamoussi, lors d’un court interview qu’il nous a accordé, a tiré un bilan positif de son deuxième mandat de directeur : 62 spectacles joués à Tunis et en région, la présence de nombreux programmateurs étrangers, un colloque international sur William Shakespeare, des interventions d’artistes à l’Université ou dans des écoles et des ateliers de formation. Il déplore cependant les lourdeurs administratives engendrées par une gestion directement assurée par le Ministère de la culture et ne souhaite pas être reconduit «dans ces conditions funambulesques». Il prône, pour la suite, «la constitution d’une structure indépendante» et a interpellé le Ministre pour qu’il réfléchisse à une refondation nécessaire de ce festival dont l’avenir semble donc en suspens. 

Mais l’engagement formel de  Mohamed Zine El Abidine pendant ses rencontres, et sa connaissance des milieux culturels, laissent bon espoir. Entre un passé prestigieux qui donna sa chance à bien des troupes maghrébines et africaines, les J.T.C. se cherchent un avenir dans un monde multi-et interculturel et dans des conditions politico-économiques difficiles. Telle Carthage, détruite et reconstruite, qui fut le carrefour, de tout temps, entre Afrique, Europe et Moyen-Orient, et qui vit passer tant de civilisations…

Mireille Davidovici

Les Journées Théâtrales de Carthage se sont déroulées du 16 au 28 novembre. Programmation complète du festival : jtcfestival.com.tn

 

Fidelis Fortibus de Dany Ronaldo

 

Fidelis Fortibus de Dany Ronaldo

161119-RdL-0875,medium_large.1479596780 Ce solo, à la fois burlesque et un peu mélancolique, d’un descendant d’une célèbre famille, se passe, bien entendu, sous un petit chapiteau rouge, avec des guirlandes lumineuses un peu partout. De la sixième génération du cirque Ronaldo né au XIXe siècle à Gand, Danny a eu l’envie, après bien des spectacles de ressusciter,  seul aux manettes, ceux qui ne sont plus là. « Le spectacle, dit-il, ne parle donc pas seulement du fait d’être seul (…) Fidelis Fortibus parle surtout de la fidélité ».

Il accueille les spectateurs les uns après les autres, avec beaucoup de gentillesse  avec juste quelques mots dans un italien très approximatif, (bien entendu, bidonné avec art). Il persistera à expliquer ce qu’il va faire au public- adultes et enfants-tous émerveillés par autant de poésie que de savoir-faire en acrobatie, jonglage, clownerie, escamotage…
Sur le sol du petit chapiteau, un épais matelas de sciure, avec tout autour de la piste, une dizaine de tombes étroites d’artistes du petit cirque, avec, pendus à chaque croix ou stèle, quelques témoins d’une vie passée : sur celle de la ballerine, colliers de pacotille, chaussons de danse et fleurs fanées depuis longtemps, tout cela sans aucune valeur marchande mais que l’on sent d’une immense richesse pour lui. Comme le seul et dernier souvenir d’une amoureuse enfuie à jamais ? 
 Plus loin, chapeau, revolver, cartouches et cravache,  sont-ils ceux d’un cow-boy de cirque ?  Un jongleur est aussi enterré là, avec ses balles et ses massues non loin du  directeur et/ou père de Dany? dont le haut de forme est accroché à la pierre tombale.
Il y a aussi le pauvre chapeau conique d’un clown blanc… Et la grande cape d’un trapéziste que Ronaldo revêtira…

Il va leur rendre hommage à tous en ressuscitant leur numéro: tours de magie qui ratent complètement puis qui deviennent parfaits, parcours sur le fil seul puis avec un gros rat apprivoisé, acrobatie périlleuse, etc.
Derrière le traditionnel rideau rouge des coulisses, on entend différentes musiques de son complice David van Keer,et des roulements de tambour… sans qu’il y ait aucun interprète. Tout est bien coordonné dans ce spectacle, grâce au travail d’une équipe à qui il faut rendre hommage pour son professionnalisme. Ce qu’on oublie trop souvent, quand il s’agit d’un solo…

 Il y a, à la fin, un dernier et merveilleux numéro où, pour rattraper un trapèze beaucoup trop haut pour lui, Dany Ronaldo va aller chercher un  quadripode pour animaux de cirque,  où il installera en superposition, deux solides chaises en bois mais en équilibre… très instable. Mais non, le trapèze est encore loin de lui être accessible !
  Alors Ronaldo s’empare, avec l’aide de spectateurs, d’un cube en bois sur lequel il se hisse avec effort. Mais, pas de chance, il va le transpercer avec un de ses pieds. Il va donc lui falloir passer le pied et le cube en bois entre les fils du trapèze pour s’asseoir dessus… Chapeau!

Ce tout petit cirque est vraiment du grand et beau cirque.
Ronaldo a une façon bien à lui de s’emparer du public, en mêlant travail de cirque et monologues bien joués qui, eux, relèvent plus du véritable théâtre. Avec tout un art de la composition pour recréer ce personnage de pauvre clown en proie à une nostalgie poignante mais obstiné à vouloir recréer les numéros  de ses proches disparus.
Que dire de plus ? Rien sinon, une chose : le public d’Antony et de ses environs l’a applaudi chaleureusement, et avec juste raison. Loin du boboïsme parisien et du vedettariat, joué en solo avec quelques accessoires,  sous la toile d’un humble cirque, Fidelis Fortibus est aussi une grande leçon de spectacle.

Philippe du Vignal

Spectacle vu à l’Espace-Cirque d’Antony (Hauts-de-Seine) le 20 novembre.
Et du 22 février au 12 mars à la Villette, Paris:  et, en tournée, en Belgique.
Le prochain spectacle du cirque Ronaldo La Cucina dell’Arte sera joué à l’Espace-Cirque d’Antony du 2 au 11 décembre.

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Les rencontres de la Théâtrothèque Gaston Baty

 

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La Théâtrothèque,sise à l’université Paris 3-Sorbonne-Nouvelle, organise des rencontres consacrées au théâtre, tout au long de l’année scolaire. Après un Salut à Michel Corvin, le 15 novembre, où amis, écrivains et anciens étudiants ont évoqué l’érudition et l’écriture incisive de l’auteur d’un fameux Dictionnaire du Théâtre et d’un essai (posthume)La figure dans le tapis (Voir Le Théâtre du Blog), une  Soirée Daniel Mesguich, avec la projection d’un documentaire consacré à sa création d’Hamlet en Chine.
Il y a eu aussi récemment une rencontre-débat autour du théâtre jeune public, en partenariat avec le Théâtre Paris-Villette.

 Céline Hersant, directrice des lieux, a eu l’heureuse idée de programmer ces événements, dans ce fond impressionnant que renferment ces murs, devenus trop exigus pour accueillir de nouvelles donations. Cette ouverture sur l’extérieur est l’occasion de découvrir cet endroit et peut aussi inciter certains à (re)trouver le chemin vers les livres de théâtre. Il y a de quoi faire, quand on est guidé par des professionnels capables d’orienter vos recherches…

 Depuis sa création, la bibliothèque complète progressivement ses collections avec l’achat d’ouvrages patrimoniaux (éditions originales des XVII, XVIII et XIXème siècles, etc.), d’éditions rares, numérotés ou dédicacées. Elle a reçu sous forme de legs, d’importants fonds,  dont celui de Bernard Dort, remarquable critique et universitaire, spécialiste de Bertolt Brecht, ou de Radio-France… Elle collecte aussi des tapuscrits inédits, donnés par les auteurs,  ainsi que des travaux de recherche, (thèses, maîtrises, DEA, masters en théâtre et en cinéma soutenus au sein de l’Université Paris 3,  ou offerts par des chercheurs …

 Mireille Davidovici

 Théâtrothèque Gaston Baty 13 rue Santeuil 75005 Paris 1er étage porte 130 B.
T. 01 45 87 40 59 . tgb@univ-paris3.fr

 

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