Livres et revues
Livres et revues:
Le Théâtre de Jean Genet par Olivier Neveux
Les Bonnes, Haute Surveillance, Elle, Splendid’s, Le Balcon, Les Nègres, Les Paravents, ces pièces lumineuses (1910-1986) font de ce théâtre, une œuvre incontestablement majeure. Porteuses d’un bel élan subversif, à travers la mise en éclats des conventions et des figures prévisibles de l’ordre. Or, la matière même de cette subversion en question échappe, insaisissable.
Les réflexions du dramaturge: lettres, préfaces, essais, sont aussi l’occasion pour Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Université Lyon 2, d’explorer l’immense et paradoxal chant d’amour que Jean Genet adresse au théâtre.
Toute sa vie en effet, le poète maudit a nourri une défiance vis-à-vis de l’art scénique, ou plutôt de l’usage qui en est fait, soumis à une reconnaissance bourgeoise implicite, ce à quoi, Jean Genet ne saurait souscrire. L’écart est trop grand, pour lui, entre la promesse entrevue et sa réalisation.
Deux grandes périodes dans la vie de l’écrivain: celle des années 1942-1948, avec des textes comme Le Condamné à mort, Notre-Dame-des-Fleurs, Miracle de la rose, Pompes funèbres, Querelle de Brest, Journal du voleur et des pièces comme Haute surveillance, Les Bonnes et Splendid’s ; et celle des années 1955-1962 où il écrit, simultanément et successivement à la fois, d’autres pièces comme Le Balcon, Les Nègres et Les Paravents. Mais aussi Le Funambule et L’Atelier d’Alberto Giacometti.
Le Théâtre de Jean Genet, composé de quatre temps, respecte la chronologie de l’écriture et la publication des pièces. Dans les années 1940, il publie ses premiers textes et en vient à l’écriture dramatique : Les Bonnes et Haute Surveillance (1947) et Splendid’s (1948), des pièces qui relèvent d’une «utilisation classique de la scène à l’italienne dans son horizontalité», différentes des trois suivantes, dix ans plus tard : Le Balcon (1956), Les Nègres (1958) et Les Paravents (1961).
Puis quand il se remet à écrire en 1955, Jean Genet se consacre exclusivement au théâtre, avec des pièces, ayant pour thème le spectacle (Le Funambule), l’art et les représentations (L’Atelier d’Alberto Giacometti, Le Secret de Rembrandt en 1957/58). Et plus tard, s’ouvrira le temps du dernier Jean Genet (Un Captif amoureux).
Ses œuvres sont montées par les grands metteurs en scène contemporains en France et en Europe: d’abord, Louis Jouvet qui créera Les Bonnes-ce qu’on oublie souvent-puis Peter Zadek, Tania Balachova, Roger Blin, Jean-Marie Serreau, Erwin Piscator, Giorgio Strehler, Patrice Chéreau, Peter Brook, Jean-Marie Patte, Lluis Pasqual, Peter Stein, Georges Lavaudant… Malgré la défiance qu’ a Jean Genet pour le théâtre, cet art l’attire toujours.
Avec une œuvre ennemie de l’ordre et d’une certaine France, celle de la bourgeoisie et de l’Occident, l’écrivain s’est engagé aux côtés des opprimés, des faibles et des démunis, mais sa lutte concerne l’injustice et non la justice en tant que telle, dit Dominique Eddé. Il prend en effet à rebours l’injonction à être constructif et comme le dit Olivier Neveux:«C’est non et pour toujours, et sans retour. Enfant abandonné, voleur, prisonnier, homosexuel… Il n’est le siège d’aucune sagesse… Il parle en son nom… C’est comme si le mode de perception érotique avait affecté toute la vie sensible… » Un monde configuré à partir du désir.
Pour Olivier Neveux, ce théâtre n’est ni le reflet du monde ni son miroir, même brisé et blessant. On pourrait le comparer, dit-il ,«au jeu de l’ombre, plein d’illusions, où l’on s’amuse à se tromper l’œil, majestueux et incessant, inquiétant et prodigue, plein d’hypothétiques périls, mais aussi enfantin, évanescent. L’ombre, en effet, crée un espace pour les étreintes dérobées, le langage nocturne des amants, les secrets et les armées clandestines, les mauvais coups, la vacance, l’heure des fugues et des fuites… »
Et il cite Jean-Bertrand Pontalis commentant La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemihl d’Adelbert von Chamisso : « …Seule l’ombre désincarnée-comme le sont les fantômes, les images de nos rêves et nos morts et nos disparus-donne une chair à l’être humain. »
Un ouvrage passionnant, dont le regard renouvelé sur l’œuvre de Jean Genet ouvre encore des perspectives toujours autres, différentes et «différantes».
Véronique Hotte
Le livre est paru dans la collection Le théâtre de, aux Éditions Ides et Calendes.
Le Chant du marais , conte de Pascal Quignard, dessins de Gabriel Chemoul
Ce conte, dont une première version avait été écrite en 2002, a été adapté pour le théâtre sous le titre Le Nom sur le bout de la langue. Il constituait le premier acte de ce spectacle créé en 2005 par Marie Vialle au Théâtre de la Bastille.
On retrouve ici la remarquable poésie et sa façon bien à lui de Pascal Quignard de s’emparer du passé, quand l’homme est en proie aux misères du monde.
Cela se passe à Paris au XVIème siècle dans la quartier du Marais à Paris où a lieu un concours de chants d’enfants. Bernon, neuf ans, en fut la vedette mais n’obtint pas le prix car il était protestant, et c’est un autre enfant, Marcellin, originaire de Palaiseau qui l’eut à sa place…
Ainsi commence cette belle histoire, avec un texte dont c’est la vingtième version écrite en peu de lignes pour Gabriel Schemoul, en blanc sur fond noir. Magnifiquement illustré par ce jeune dessinateur de bandes dessinées et illustrateur à l’Ecole des Loisirs. Cela ressemble à une sorte de fleuve sombre, vire noir où flottent un chapeau à plumes, un crâne humain, quelques feuilles et petits fruits, un cercueil…
L’illustration suit ce conte fantastique où un crâne se met à chanter… Cela a quelque chose d’un peu triste, voire parfois sinistre mais sublime de beauté et de poésie; le livre lui-même ressemble à un bel objet baroque. Peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains mais, en tout cas, sûrement dans les vôtres si vous voulez vous faire plaisir.
Philippe du Vignal
Editions Chandeigne 10 rue Tournefort 75005 Paris. T: 01 43 36 78 47. 22 €.
Cahier n°4 de l’Association Sentiers : Laurence Louppe
L’association Sentiers va éditer son cahier n°4, avec d’abord, un compte-rendu d’Un héritage sensible et théorique, Journée du 20 avril 2013 au Cratère d’Alès-Scène nationale, qui avait été consacrée au travail de Laurence Louppe, décédée il y a cinq ans.
« Critique et historienne, témoin important et penseuse de la danse contemporaine, Laurence a été un lien essentiel entre théoriciens et artistes, donnant lisibilité et parole à chacun, dit Marie-Claire Gelly-Aubaret: elle avait écrit Poétique de la danse contemporaine, en résidence d’écriture au Cratère. »
Au sommaire, de nombreux articles dont notamment celui de Daniel Dobbels, L’Effroi critique (pour Laurence Louppe), L’Atelier de l’invisible mémoire de Laurence Saboye, des textes de Joëlle Vellet, un texte inédit et des extraits de la correspondance de Laurence Louppe.
Pour éditer ce Cahier, Sentiers lance un financement. L’édition en sera lancée, quand quatre-vingt souscriptions auront été reçues.
Jean Couturier
Souscription par chèque à: Association Sentiers, 30110 Lamelouze. T: 06 83 72 86 60.
Un exemplaire du Cahier n°4 : 3,10€ ; deux exemplaires 4,80€.
Ubu/Scènes d’Europe n°61-62: vingt ans d’existence
Premier numéro en février 1996 déjà! « Quand nous avons décidé de créer une revue de théâtre européenne, il y avait la guerre au cœur de l’Europe, dans l’ex-Yougoslavie, rappelle, dans son éditorial, Chantal Boiron, la rédactrice en chef. Vingt ans après, le rêve européen de 1989 a sombré dans l’indifférence. (…) Mais le national-populisme d’extrême-droite se banalise chaque jour davantage, avec les risques d’une désintégration de l’Europe et la mise en danger de l’idée même de démocratie. Ce nouveau numéro d’Ubu, comme son titre Face à l’urgence l’indique bien, « veut être une fois encore le reflet de moment présent que nous vivons ».
Soit un ensemble très riche, et d’une grande diversité; avec d’abord, un portait artistique du Caire à travers le témoignage de quatre metteurs en scène du théâtre indépendant: Sondos Shabayek qui travaille sur Bussy , une adaptation égyptienne des Monologues du vagin, Ahmed El Attar, directeur du Studio Emad Eddin Foundation avec salles de répétition, programmes de formation techniques et du festival Downtown Contemporary Art Festival, Laila Solilan dont les deux derniers spectacles Hawa El Horreya confrontent les révolutions égyptiennes de 1919 (qui aboutit à l’indépendance de l’Egypte trois ans plus tard) et celle de 2011. et Zig Zig en 2016 qui parle des viols commis sur des femmes par les occupants anglais. Haasan El Geretly connu en Europe par ses Nuits El Warsha mêlant cabaret urbain, music-hall populaire, chants de protestation des années 70 et chants de Nubie.
Il y a aussi un texte de Joëlle Gayot sur les anticipations par Joël Pommerat avec Ça ira Fin de Louis sur le mouvement Nuit Debout de la Place de la République à Paris, et un très intéressant entretien d’Odile Quirot avec David Lescot, metteur en scène, acteur et musicien qui, à la recherche d’un monde où il pourrait vivre, traite dans son théâtre de faits socio-historiques, avec une intention évidente d’hybridation du théâtre.
Dans ce même numéro, un portait de l’allemand Dirk Laucke (34 ans) encore peu connu en France mais élu auteur de l’année par Theater Heute, le réputé magazine théâtral. Et aussi une interview, par Chantal Boiron, de l’écrivain et metteur en scène italien Stefano Massimi.
Signalons aussi un texte de la rédactrice en chef sur Anatoli Vassiliev qui ne travaille plus à Moscou mais un peu partout en Europe et qui a récemment monté au Vieux-Colombier, deux courtes pièces de Marguerite Duras, La Musica et La Musica Deuxième, un spectacle très controversé (voir Le Théâtre du Blog).
On ne peut tout détailler de ce riche numéro mais, par sa diversité et son intelligence d’approche du théâtre contemporain il peut apporter beaucoup à un public soucieux d’élargir ses connaissances au-delà de notre cher hexagone.
De plus Ubu est bilingue français-anglais. Malgré l’interlignage un peu serré qui ne facilite pas toujours la lecture, que peut demander de plus, le peuple européen ?
Oui, mais voilà: petit ou plutôt, gros ennui : la Région Ile-de-France vient d’avertir tardivement Chantal Boiron (le dossier a été déposé en avril dernier) qu’elle va supprimer la petite subvention qu’elle accordait depuis plusieurs années à Ubu. Alors que son équilibre, comme celui de toutes les revues, a un équilibre budgétaire fragile.
On ne dira jamais assez qu’on a plus que jamais besoin de ce type de publication qui occupent un créneau à part-discret mais efficace-mais indispensable au bon fonctionnement de la pensée théâtrale aujourd’hui.
Philippe du Vignal
UBU Scènes d’Europe n° 60-61 deuxième trimestre 2016, en vente en librairie. Prix : 15 €.
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