La Cuisine d’Elvis de Lee Hall
La Cuisine d’Elvis de Lee Hall, mise en scène de Pierre Maillet, traduction Louis-charles Sirjacq, Frédérique Revus
Sous le signe de l’art culinaire, du rock-and-roll et d’Elvis Presley -qui, on le sait, était porté sur la nourriture-, le dramaturge anglais nous fait pénétrer dans un foyer de la classe moyenne anglaise.
Pierre Maillet et ses acteurs se sont emparés avec gourmandise de cette pièce un peu déjantée où le réalisme quotidien côtoie un monde fantasmagorique. Une plongée au sein d’une famille ordinaire, mais pas comme les autres : Jill, adolescente à problèmes et sa mère, l’une gourmande et passionnée de cuisine, l’autre anorexique et en mal de sexualité depuis l’accident de son mari devenu un légume. Tétraplégique, il hante le plateau dans un fauteuil roulant…
Mam drague dans un bar le jeune et beau Stuart qui deviendra son amant à demeure, et qui séduira Jill. Entre les scènes d’une vie bousculée par cette intrusion, le mari, déguisé en Elvis Presley, se lève et se lance dans l’imitation du King (c’était son métier avant son accident). Ces intermèdes de music-hall, rêveries de l’infirme, rompent avec le vérisme de la mise en scène qui montre Jill s’affairant aux fourneaux, dans le parfum d’une tourte cuisant à vue, et la famille attablée autour d’un vrai repas .
Les deux femmes, frustrées, se disputent les faveurs de Stuart pris en otage et en étau entre les petits plats, les rondeurs de la fille et le sex-appeal de la mère. Il ira même jusqu’à accorder la faveur d’une masturbation à l’infirme, séquence où le comique l’emporte sur le sordide…
Le spectacle oscille entre humour décapant et tendresse pour les personnages, dans un équilibre savamment dosé…
Marie Payen, à la fois vulgaire et distinguée, femme mûre à la longue chevelure peroxydée, nous émeut, luttant pour vivre une existence que la paralysie de son mari lui a dérobée : « Trente-huit ans, et déjà à la casse », se plaint-elle.
Cécile Bournay campe avec nuances une adolescente rebelle à qui l’auteur confie aussi le rôle de nous conter cette histoire. Il lui appartient donc de réfléchir au sens de l’existence, et elle se penche sur la philosophie de la nourriture : « Pourquoi on est ici ? À quoi ça rime ? Il faut bien quelque chose pour nous remplir « .
Quant à Stuart, il se contente d’être un appétissant garçon au corps d’athlète, sans malice ni culture, qu’incarne avec grâce, Matthieu Cruciani.
Le scénographe, Marc Lainé, a réservé l’avant-scène à la cuisine, et le deuxième niveau, à un living-room qui devient un podium où se produit Pierre Maillet. La mèche en bataille, en habit de lumière blanc et or, crooner à souhait, il nous transporte à Graceland et chante Jailhouse Rock, In the Ghetto et autres tubes d’Elvis, sans pourtant en faire des tonnes. La mise en scène, tempérée de Pierre Maillet ne réduit en rien la folie du texte mais en évite l’éventuelle vulgarité.
Elle offre une saveur d’humanité à déguster pendant une heure quarante.
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point, Paris 8ème T. 01 44 95 98 21 jusqu’au 26 novembre.
Théâtre Universitaire de Nantes du 7 au 9 mars. Comédie de Caen, du 13 au 15 mars. Théâtre de Nîmes du 19 au 21 avril.