Nkenguegi, de Dieudonné Niangouna
Nkenguegi, texte et mise en scène de Dieudonné Niangouna
Que sont les « nkenguégui » ? «Des plantes équatoriales aux longues feuilles coupantes. Au Congo, utilisées pour protéger les enclos des bêtes sauvages. Celui qui reste à l’intérieur de l’enclos est protégé, mais enfermé. Celui qui est à l’extérieur, est en danger mais libre. »
Le dernier texte d’une trilogie, initiée avec Le Socle des vertiges et Shéda, se fait aujourd’hui magnifique création scénique, à travers la déclamation d’un verbe passionné, glissé avec verve et panache dans une fulgurance d’images et de reviviscences foisonnantes.
D’un côté, le grotesque d’un registre scatologique, avec chapelets d’injures réinventées et adressées aux puissants, et de l’autre, un tragique aux envolées poétiques. Des mots cinglants et âpres, à la fois gorgés de colère et d’immense amour pour la vie, et le bel épanouissement de ce spectacle participent à une évocation géopolitique d’un monde contemporain bousculé. Avec la mise en relief des sombres événements actuels, largement retransmis par les médias, comme ces populations fuyant les violences politiques et sociales, la misère ou la guerre.
Dieudonné Niangouna reprend à son compte la douleur âcre de ces réalités-nerf de la guerre de son théâtre existentiel-à travers une expression qui est d’abord une façon d’échapper à la barbarie. Sa langue caractéristique porte la parole de la souffrance (qu’il fait sienne) de ceux qui subissent les agressions d’un monde violent.
L’écrivain-metteur en scène joue aussi par intermittences flamboyantes, le rôle, au second degré, d’un directeur de troupe (théâtre dans le théâtre) et accompagne une dizaine de comédiens dans une version scénique du mythique Radeau de la Méduse de Théodore Géricault : « Les vagues balaient la barque, un pauvre radeau de fortune. Je vois la fragilité de la vie, de toutes ces vies accroupies et mal en point, entassées comme des bêtes sur la barque. Mais où vont-ils ? Personne ne saura, hormis le hasard. C’est quoi, cette obsession qui leur fait braver les mers, les vagues, les tempêtes et la mort ? »
Ce tableau du passé fait ici place à l’actualité criarde des mouvements migratoires d’Afrique et du Moyen-Orient. La vie, précieuse et à sauvegarder, tient lieu d’élan contre les vents et les marées, quand les les hommes sont propulsés loin de leur pays d’origine où règnent les misères. Avec dix merveilleux interprètes, embarqués sur quelques planches de bois qui leur tiennent lieu de petit radeau, tandis qu’un écran vidéo diffuse des images du Congo : Dieudonné Niangouna sur le pont Djoué traîne avec maladresse un luminaire volumineux, métaphore du soleil perdu, ou dans un commissariat, de curieux policiers se saisissent de femmes comme d’une marchandise à consommer ou à réduire à néant.
Les acteurs dansent dans la patience et la douceur, sur une chorégraphie ordonnancée dans la grâce. Puis, en hommes et femmes en colère, s’expriment plus violemment. Déclamateurs, chanteurs, danseurs ou musiciens, ils monologuent ou bien se parlent, avec le consentement implicite du metteur en scène.
Au centre, seul, se tient l’homme, sorte de figure de passeur ou d’Ulysse jamais revenu de son épopée sur les mers, le plus souvent debout, ou parfois gisant et souffrant comme le Christ sur la croix, dont les plaies sont crûment filmées.
Hors des relégations et des exclusions qu’il a pu surmonter, renaissant de sa mort, il aimerait pouvoir enfin habiter son être et simplement se sentir exister.
Un spectacle somptueux, engagé, à teneur très humaine et conviviale, entre méditation sur nos temps présents et illuminations festives. Une exposition éloquente se tient en même temps que Nkenguegi au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis que dirige Jean Bellorini : Habiter le campement de Fiona Meadow, avec des photos révélant le visage de nomades, voyageurs, conquérants, contestataires, infortunés, exilés… et des extraits de Par les villages de Peter Handke.
Véronique Hotte
Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis/ Festival d’Automne à Paris, jusqu’au 26 novembre. T : 01 48 13 70 00
La pièce est éditée aux Editions Les Solitaires intempestifs