Le Livre de Dina d’Herbjørg Wassmo
Festival Les Boréales à Caen:
Le Livre de Dina d’Herbjørg Wassmo, traduction de Luce Hinsch, adaptation et mise en scène de Lucie Bérelowitsch
De la célèbre écrivaine norvégienne, cette saga en trois parties, Les Limons vides, Les vivants aussi et Mon bien-aimé est à moi retrace la vie tragique de Dina, une jeune femme, dont la mère Hjertrud, est morte, ébouillantée, à cause d’elle encore enfant!
Cette impressionnante histoire se passe au dix-neuvième siècle, dans une région isolée et pauvre, le nord de la Norvège, avec grandes forêts, cascades et plaines. Ses habitants vivent grâce au commerce de la morue, des peaux et viande de renne, et des mûres jaunes.
Très marquée par ce décès précoce, Dina, petite fille, va grandir au domaine de Reinsnes. Initiée au violoncelle par son précepteur Lorch, elle devient une jeune femme révoltée mais accepte à seize ans, un mariage avec Jacob Grønelv, un ami de son père, donc plus tout jeune. Mais, très vite, la rebelle et silencieuse Dina mènera sa vie en toute indépendance.
En quelques années, cet être de légende, la plupart du temps silencieux, presque diabolique, assume ses pulsions, notamment sexuelles. Et, à dix-huit ans, comme marquée par un destin tragique, Dina va devoir encore affronter la mort, celle de son mari, et se montre encore plus asociale.
Elle fume la pipe, s’habille avec des pantalons de cuir comme les cavaliers, mais n’a guère de passion pour la tenue d’une maison. Consciente d’être très sensuelle, elle excite les hommes et leur fait l’amour, avec un certain mépris pour ce que cette société rurale pense d’elle.
Et rebelle, n’a aucun état d’âme à provoquer jalousies et envies…
Dina a une passion pour le chevaux qu’elle monte à califourchon, pour le piano et surtout le violoncelle qu’elle aime à tenir entre ses cuisses. « C’est là que les doigts impitoyables de Dina prenaient la relève. La musique était là. Comme une libération. Une fièvre ! Envahissait toute la ferme, jusqu’aux champs. Jusqu’à la grève. Atteignait Tomas sur sa couche dure dans les communs. Apportant joie ou tristesse. Selon l’humeur de l’auditoire. »
Devenue veuve, Dina n’aura guère d’autre choix que de prendre en charge le domaine et la boutique de son mari. D’autant qu’elle aura bientôt un petit garçon, Benjamin, qui n’aura jamais connu son père. Rude en affaires, elle apprend vite les bases de la comptabilité et se révèlera vite être une redoutable commerçante: elle a quelque chose de sauvage et d’animal, ne fait aucun cadeau, et respecte seulement ceux qui lui tiennent tête…
Mais Dina frise parfois la folie, quand elle croit voir sa mère Hjertrud ou son mari Jacob, dans un escalier de la maison; elle vit entre les vivants, la vieille Karen, mère de Jacob, la bonne, Oline, Tomas et les hommes, en particulier ceux qu’elle ne cesse de fasciner et avec qui elle fait parfois l’amour, mais aussi avec les morts, ses morts à elle qu’on ne cesse de croiser.
Ce roman fabuleux de 600 pages, merveilleusement écrit avec des phrases souvent courtes, voire lapidaires, fait souvent référence à l’Ancien Testament, cité en tête de chaque chapitre. Herbjørg Wassmo y décrit les paysages, les nuits sans nuit, la glace, les maisons et les gens de ce Nordland rude et attachant, avec un souci de réalisme et de belles percées lyriques.
Il y a aussi de courts mais très forts monologues de Dina mais aussi des dialogues entre cette femme passionnée et les autres personnages.
Oui, mais voilà les jeunes metteurs en scène, sans doute faute de trouver de bons écrivains qui préfèrent imaginer des scénarios pour le cinéma ou les séries télé, s’orientent de plus en plus vers des traductions scéniques de romans très connus, voire culte. . .
Et cela donne ce que cela peut, quand il faut recréer un tel univers, surtout comme celui d’Herbjørg Wassmo, sur un plateau; à l’impossible, nul n’est tenu, puisqu’il s’agit d’une fiction romanesque qui n’est pas, et de loin, toujours intimiste, avec nombre de récits, et cela, quelle que soit la personnalité très attachante comme ici, du personnage principal.
Sur le plateau, un piano, un violoncelle, quelques chaises et, dans le fond, une grande serre translucide imaginée par Pierre-Guilhem Coste. On comprend que Lucie Berelowitsch n’ait pas voulu tomber dans une mise en scène folklorique : table et chaises de bois, lampes à pétrole, marmites en terre, etc.
C’est sur le plan plastique, une réussite mais cette serre ne fait pas vraiment sens, même quand des personnages y passent en ombres portées (on pense aux magnifiques photos d’ombres de Maiko Miyazaki). Elle fait davantage penser à une installation d’art contemporain. Bref, n’est pas scénographe qui veut…
La metteuse en scène a choisi pour prolonger ce qui devait être, au départ, une lecture, « Nous avons fait le choix d’une adaptation pour quatre comédiens, dit Lucie Berelowitsch, deux hommes et deux femmes, entre narration et incarnation musique et jeu ». Elle dirige bien Armande Boulanger qui joue aussi du violoncelle et représente Dina encore enfant, et Malya Roman, qui, elle, est une remarquable Dina, plus âgée. Et Jonathan Genet et Thibault Lacroix, tous deux très solides , qui sont le père, les amoureux de Dina, et aussi les employés de l’épicerie.
Le spectacle, encore brut de décoffrage et très mal éclairé, a quelque chose de parfois cahotant et d’ennuyeux, mais aussi de vraiment très belles scènes comme, entre autres, la mort ensanglantée dans un accident de traîneau de Jacob. Et pour finir, on a droit à l’apparition magique d’un grand poney, Arto, en hommage à Antonin Artaud, auteur de prédilection de Thibault Lacroix.
Philippe du Vignal
Spectacle à la Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie, créé en partenariat avec Les Boréales qui a lieu jusqu’au 27 novembre.
Le Livre de Dina sera joué au Théâtre de l’Union à Limoges, les 8 et 9 février.
Le roman est publié aux éditions Gaïa. 24€.
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