Les Journées Théâtrales de Carthage (suite)

 

Les Journées Théâtrales de Carthage (suite)

 Des soixante-deux pièces programmées, nous n’avons pas, bien entendu, pu tout voir et certaines, en arabe, ont échappé à notre compréhension… Parmi nos coups de cœur, figurent Violences de Jalila Baccar et Fadel Djhaïbi, jouée à Annecy et que nous avions beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog).
Quelle que soit la qualité des spectacles, ils rendent compte de l’état du monde d’une autre   façon, comme s’ils étaient vus d’ailleurs, en déportant notre regard orienté vers un ethnocentrisme culturel.

 La Révolution des corps et Waiting de Mokhallad Rassem

Le jeune metteur en scène venu d’Irak où il ne peut plus exercer son métier, s’est installé à Anvers, accueilli par le théâtre Toneelhuis, dirigé par Guy Cassiers. Un espace pour créer et diffuser ses spectacles.

Il nous offre ici deux courtes pièces, aussi émouvantes que différentes mais utilisant la vidéo avec talent, créant un univers plastique original. Elles ont déjà parcouru le monde, mais n’ont jamais été présentées en France.
Trois hommes sortent d’un grand rideau blanc tendu en travers du plateau, où sont projetées images de guerre, ruines, chaos, et livres réduits en cendres…
Les personnages surgit de ces images dans une chorégraphie soigneusement réglée, tombent puis se relèvent en silence devant nous, tandis que leurs doubles, sous forme de photos ou de films  incrustés dans les images, parcourent maisons écroulées et rues désertes, comme des fantômes surréels. La bande-son diffuse le souffle d’un vent mauvais.
Les images parlent, les corps aussi mais sans commentaires et tout en pudeur, nous touchent profondément.

waitingWaiting (Attente) donne la parole aux gens de la rue, interrogés sur l’attente. Certains attendent le tram, d’autres le prince charmant, certains aiment cette attente : « L’occasion de faire autre chose» ; d’autres l’abhorrent : «Une perte de temps».
Loin de nous lasser, ce micro-trottoir d’apparence anodine, du moins au début, nous entraîne subrepticement, vers des problèmes existentiels et, bientôt, vers des questions de vie ou de mort.

 «J’attends d’être en sécurité», dit un migrant. Ainsi s’égrènent des paroles, dites en anglais, français et flamand : «Un rêve mort. Peut-être qu’on attend juste la mort, on est né pour faire ce voyage»; «J’attends depuis huit ans que la guerre soit finie.»; «J’attends mes papiers, cette situation fait que vous n’êtes pas vous.»
En contrepoint, les comédiens, deux femmes et un homme, traduisent en français, anglais et arabe, les propos des gens, tout en y apportant une distance humoristique, et la vidéo transmet les portraits sur plusieurs supports: un écran mais aussi de grandes feuilles de papier blanc froissées ou déchirées qui présentent la même image sur plusieurs plans et formats.

 Ce savant jeu kaléidoscopique et linguistique a une grande proximité avec les personnes sollicitées, la plupart d’origine modeste, dans cette enquête partagée avec émotion,  sur l’attente.

Deux spectacles légers, faciles à présenter en tournée et que nous espérons revoir en France.

Il faudra suivre Makhalam Rassem dans L’Orestie, un projet de Célie Pauthe, dans une mise en scène tripartite dont il assure la troisième partie, Les Euménides. Haythem Abderrazak, Irakien comme lui, met en scène la seconde partie, Agamemnon. Et Célie Pauthe en réalise la première, Les Choéphores.
Un chantier de longue haleine dans le cadre de la plate-forme Siwa, menée par Yagoutha Belgacem qui œuvre au rapprochement avec les mondes arabes, notamment la Tunisie et l’Irak. 

Son prochain spectacle sera présenté à Anvers en avril. Il l’écrira après un séjour de trois semaine dans un camps de réfugiés en Belgique, où il s’emploiera  à leur parler et à les filmer. 

 eruptionIn the eruptive mode (Sur le mode éruptif)/Voix d’un printemps confisqué, texte et mise en scène de Sulayman Al Bassam

 Au fond du plateau, s’ouvre une niche en biais où trône une pianiste ; de cette fenêtre oblique, elle domine l’aire de jeu : la compositrice Brittany Anjou fait chœur avec deux comédiennes, Rebecca Hart et Hala Omran. Musique et voix se mêlent, en arabe et en anglais, dans une suite de monologues poétiques, échos des printemps arabes. Soixante-cinq minutes intenses, où les personnages se succèdent, victimes ou témoins des turbulences de l’Histoire.
Crée à Koweit City en avril 2016, «la pièce, écrit l’auteur,
explore les territoires du désir, des tabous et de la transgression chez des êtres pris au piège des événements ; ils ne sont pas porteurs d’idéologies révolutionnaires ou réactionnaires mais des gens  habituels.
Chacun des personnages «collatéraux» est déterminé par la situation géopolitique où il se trouve, à la suite des soulèvements populaires de 2012. Dans 
Les Lamentations d’une jeune prostituée, les faits sont ici évoqués de loin mais Le Chant du Phoenix blanc donne la parole à un sniper d’une minorité chrétienne en pleine guerre civile. Nadia, en revanche, s’inspire directement du  témoignage d’une jeune prisonnière yezidi rescapée, Nadia Murad Basee Taha. I Let him in  met en scène une femme israélo-américaine en proie à des doutes vis-à-vis des Palestiniens si proches d’elle, de l’autre côté de la frontière.

Un travail vocal, sonore et musical sophistiqué et un univers plastique élégant apportent une distance poétique et parfois  pleine d’ironie, à ces situations où s’expriment doutes et contradictions des protagonistes.  

 Sank ou la patience des morts, texte et mise en scène d’Aristide Tarnagda

sankLe capitaine Thomas Sankara, père de la Révolution et président du Burkina Faso, pays des hommes intègres, fut assassiné le 15 octobre 1987, lors d’un coup d’État organisé par celui qu’il considérait comme son frère, Blaise Compaoré.
Le meurtre vient d’avoir lieu, quand commence la pièce. Elle évoque les derniers épisodes de la vie intime du futur martyr : Sanjara exprime ses convictions révolutionnaires, face aux pouvoirs étrangers qui veulent garder le contrôle du pays.
 Le réalisme de sa mère, de sa femme et de ses fidèles conseillers ne le convaincront pas d’abandonner son rêve, quitte à périr pour que ses idées lui survivent. Thomas Sankara se sacrifie pour sauver la Révolution, pensant que le souffle des morts ressuscitera ses idéaux tôt ou tard. «Maman, dit-il, il est temps que tu comprennes que nous sommes de la race de ceux qui doivent mourir pour vivre. »
La mise en scène,  sobre, parvient à faire entendre une langue où cohabitent en bonne entente, lyrisme et expressions populaires; l’auteur va jusqu’à reproduire un discours du héros où il cite Novalis: «Bientôt, les astres reviendront visiter la terre d’où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; (…) toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une très longue séparation (…). Alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, et, en chaque tombe, se réveillera la cendre éteinte. » «La patrie ou la mort, nous vaincrons !» conclut Sankara, à la fin du spectacle.
La structure dialectique de la pièce, son écriture imagée et concise, l’alternance des rôles assurés par seulement trois comédiens, fonctionne d’un bout à l’autre  de la pièce… malgré une distribution peu convaincante.

 We call it love de Felwine Sarr et Carole Karemera 

Les spectateurs assis sur trois rangs de chaises se font face, séparés par un long et étroit couloir où on a dessiné une marelle. Mais ici, rien de ludique : une mère et le jeune assassin de son fils s’affrontent. Et c’est parole contre parole…
Le chemin vers la réconciliation sera long et difficile. Ils y arriveront pourtant: lui, en demandant pardon pour l’impardonnable, et elle, en allant jusqu’à dire au garçon : «Désormais, tu es mon fils, mon fils en humanité. »
Pour évoquer le génocide de 1994 au Rwanda, la pièce s’appuie sur les témoignages recueillis lors des tentatives de réconciliation nationale et remue ainsi une mémoire douloureuse mais qui doit s’exprimer. La blessure, cruelle béance entre les vivants et les morts, s’ouvre au plus profond, au plus cru des vécus individuels.
Dans l’obscurité, fait les instruments à vent et à percussion d’
 Hervé Twanirwa rythment de sons étranges  la mise en scène, minimaliste,  conçue dans une volonté de proximité avec le public. Sans doute nécessaire, cette démarche nous a pourtant laissé sur notre faim… 

A suivre…

 Mireille Davidovici

Les Journées Théâtrales de Carthage ont eu lieu du 16 au 28 novembre.
Programmation complète:  jtcfestival.com.tn

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...