L’Avare de Molière, mise en scène de Jacques Osinski

L’Avare de Molière, mise en scène de Jacques Osinski

l_avareCela se passe dans un triste appartement aux murs vêtus d’un papier peint à horribles motifs gris; le séjour/cuisine est glacé, toute en imitation bois! Rien n’y traîne et l’évier inox et  la plaque de cuisson sont ultra-propres (on ne doit pas y préparer beaucoup de repas!) et le grand frigo est vide! Tout cela sans doute pour dire l’avarice d’harpagon: la scénographie a quelque chose d’un peu surligné mais bon! Côté cour, un  petit coffre-fort dissimulé dans le mur où Harpagon vient souvent vérifier que son cher argent est bien toujours là…

Jacques Osinski dénonce la toute puissance, voire la névrose de l’argent qui peut contaminer tous les membres d’une entreprise ou d’une famille. Y compris à notre époque entichée du capitalisme des grandes banques et  qui n’ose pas dire son nom. On retrouve donc ici des jeunes gens d’aujourd’hui, avec les couples Elise/Valère et Cléante/Marianne. Mais il a modifié le dénouement de la pièce qui, du coup, est ici comme un peu bâclée. Il aurait mieux valu respecter la fin romanesque  écrite par Molière, quitte à la traiter au second degré…

Quant à la distribution, Christine Brücher (Frosine) est comme d’habitude remarquable et tout à fait crédible, et Jean-Claude Frissung, malheureux Harpagon en vieux pantalon de velours côtelé et chemise bas de gamme, en fait une interprétation tout fait exemplaire. Il est plus qu’émouvant dans sa solitude de vieil homme coupé de ses futurs héritiers (qui ne sont pas plus que lui des enfants de chœur)… Il y a entre autres, une scène formidable quand Harpagon et son fils sont  face public et se parlent sans se regarder. Harpagon, tel que le joue Jean-Claude Frissung, semble plus malheureux-l’argent est son unique fétiche et réconfort-que vraiment méchant. Quel acteur!

Jacques Osinski est un metteur d’expérience mais il y a un point faible dans cet Avare: la direction des comédiens. Les plus âgés s’en sortent grâce à un solide métier, mais les jeunes ont bien du mal à imposer leur personnage. Et du coup, cela pénalise la pièce.
“Comme dans les romans policiers, dit Jacques Osinski, la vérité des âmes éclate sans masque. A l’abri du cercle intime, les personnages s’envoient à la figure des vérités que l’on préfère taire en société. Valère a beau s’abriter sous des masques, la pièce dynamite l’hypocrisie, pas si lointaine finalement du film Festen. Elle dit une vérité crue : la famille n’est pas le cercle de douceur que le XIXe siècle voulut idéaliser. Molière la met à sac sans hésiter.”

Sans doute, il ne semble quand même pas tout à fait à l’aise avec cette comédie qui n’en est pas vraiment une et il n’a pas su donner le bon rythme à cette mise en scène qui date déjà de deux ans et cette reprise fait souvent du sur-place. Il peut, en tout cas,  être reconnaissant à Christine Brücher et à Jean-Claude Frissung. Sans eux, cette pièce-culte ne serait plus ici que l’ombre d’elle-même…

Alors à voir ? Oui, à condition de n’être pas trop exigeant! Mais bon, aux meilleurs moments, on retrouve toute la saveur de cette pièce adorée des Français, dont ils connaîssent les plus fameuses des répliques, dès l’école primaire.
A voir aussi pour ces deux formidables acteurs.

 Philippe du Vignal

Théâtre Artistic Athévains, 45 Rue Richard Lenoir, 75011 Paris T: 01 43 56 38 32 jusqu’au 15 janvier.


Archive pour novembre, 2016

Léon Bakst : des Ballets russes à la haute couture

 

Léon Bakst : des Ballets russes à la haute couture

(C) Jean Couturier

(C) Jean Couturier

Le lien entre le monde de la mode et  celui de la scène est ici clairement démontré  avec l’œuvre de Léon Bakst (1866-1924), à qui l’Opéra de Paris et la Bibliothèque Nationale de France consacrent ensemble une exposition. D’entrée, on est frappé par la beauté du premier costume, bien mis en valeur: un tutu de tarlatane et plumes blanches, porté par Anna Pavlova dans La Mort du cygne, en 1907, au Théâtre Mariinski, à Saint-Petersbourg… Léon Bakst après avoir collaboré à la revue Le Monde de l’art autour de 1900, avec Alexandre Benois et Serge Diaghilev, va être un des principaux créateurs de costumes des Ballets russes. Des dizaines de dessins , trois costumes d’époque et quelques photos retracent son parcours avec Serge Diaghilev qu’il quittera en 1921, après l’échec de La Belle au bois dormant à Londres.  Il reprochait au directeur des Ballets russes un défaut de paiement,  et il  lui avait déjà écrit en 1918 : «Cher Serioja, voici une nouvelle esquisse, c’est la deuxième ; elle non plus, ne m’a pas encore été payée … Je te conjure de remettre 2000 francs à Louise, car je n’ai pas un sou et nulle part où trouver du travail.»

Les films du Spectre de la rose et de L’Après-Midi d’un Faune sont diffusés en boucle, et le public découvre avec émotion, dans la salle principale, les photos de Vaslav Nijinski à sa création en 1912 au Théâtre du Châtelet, par Waléry,  mais aussi un dessin  le représentant   dans le rôle-titre de Narcisse en 1911.  On peut voir aussi le costume et la coiffe, traduisant une nette inspiration orientale, qu’Ida Rubinstein portait dans Shéhérazade à l’Opéra de Paris en 1910; d’autres pièces renvoient à la Grèce antique. Couleur et mouvement se retrouvent dans chacun de ses dessins, et comme le dit Alexandre Benois : «L’austère et noble gamme chromatique de ses costumes et l’interprétation suprêmement intelligente du vêtement antique étaient uniques en leur genre».

D’autres éléments de l’exposition dévoilent l’influence de Léon Bakst sur la haute couture, quand il devient peu à peu une figure du Tout-Paris: des journalistes comme ceux de Vogue lui demandent son avis sur la mode féminine,  les maisons Jeanne Paquin ou Paul Poiret s’inspirent de son travail… De très émouvants croquis de chapeaux de 1914 sont ainsi à découvrir.

Deux espaces enfin évoquent l’univers des créateurs actuels de haute couture, en filiation directe avec Léon Bakst, avec des robes signées Karl Lagerfeld pour Chloé en 1994, mais aussi avec des réalisations de Christian Lacroix, Yves Saint Laurent ou John Galliano pour Christian Dior. Enfin, on découvre un autre héritier à Léon Bakst avec Marc Chagall qui dessina un magnifique costume pour Daphnis et Chloé  en 1959, confirmant ainsi une proximité spirituelle et matérielle de ce grand créateur, né il y a cent cinquante ans, avec l’Opéra de Paris.

Jean Couturier

Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris, jusqu’au 5 mars.

www.operasdeparis.fr      

Le Livre de Dina d’Herbjørg Wassmo

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Festival Les Boréales à Caen:

Le Livre de Dina d’Herbjørg Wassmo, traduction de Luce Hinsch, adaptation et mise en scène de Lucie Bérelowitsch

 De la célèbre écrivaine norvégienne, cette saga en trois  parties, Les Limons vides, Les vivants aussi et Mon bien-aimé est à moi retrace la vie tragique de Dina, une jeune femme, dont la mère Hjertrud, est morte, ébouillantée, à cause d’elle encore enfant!
 Cette impressionnante histoire se passe au dix-neuvième siècle, dans une région isolée et pauvre, le nord de la Norvège, avec grandes forêts, cascades et plaines. Ses habitants vivent grâce au commerce de la morue, des peaux et viande de renne, et des mûres jaunes.
Très marquée par ce décès précoce, Dina, petite fille, va grandir au domaine de Reinsnes. Initiée au violoncelle par son précepteur Lorch, elle devient une jeune femme révoltée mais accepte à seize ans, un mariage avec Jacob Grønelv, un ami de son père, donc plus tout jeune. Mais, très vite, la rebelle et silencieuse Dina mènera sa vie en toute indépendance.

En quelques années, cet être de légende, la plupart du temps silencieux, presque diabolique, assume ses pulsions, notamment sexuelles. Et, à dix-huit ans, comme marquée par un destin tragique, Dina va devoir encore  affronter  la mort, celle de son mari, et se montre encore plus asociale.
Elle fume la pipe, s’habille avec des pantalons de cuir comme les cavaliers, mais n’a guère de passion pour la tenue d’une maison. Consciente d’être très sensuelle, elle excite les hommes et leur fait l’amour, avec un certain mépris pour ce que cette société rurale pense d’elle.
Et rebelle, n’a aucun état d’âme à provoquer jalousies et envies…
  Dina a une passion pour le chevaux qu’elle monte à califourchon, pour le piano et surtout le violoncelle qu’elle aime à tenir entre ses cuisses. « C’est là que les doigts impitoyables de Dina prenaient la relève. La musique était là. Comme une libération. Une fièvre ! Envahissait toute la ferme, jusqu’aux champs. Jusqu’à la grève. Atteignait Tomas sur sa couche dure dans les communs. Apportant joie ou tristesse. Selon l’humeur de l’auditoire. »

 Devenue veuve, Dina n’aura guère d’autre choix que de prendre en charge le domaine et la boutique de son mari. D’autant qu’elle aura bientôt un petit garçon, Benjamin, qui n’aura jamais connu son père. Rude en affaires, elle apprend vite les bases de la comptabilité  et se révèlera vite être une redoutable commerçante: elle a quelque chose de sauvage et d’animal, ne fait aucun cadeau, et respecte seulement ceux qui lui tiennent tête…
Mais Dina frise parfois la folie, quand elle croit voir sa mère Hjertrud ou son mari Jacob, dans un escalier de la maison; elle vit entre les vivants, la vieille Karen, mère de Jacob, la bonne, Oline, Tomas et les hommes, en particulier ceux  qu’elle ne cesse de fasciner et avec qui elle fait parfois l’amour,  mais aussi avec les morts, ses morts à elle qu’on ne cesse de croiser.

Ce roman fabuleux de 600 pages, merveilleusement écrit avec des phrases souvent courtes, voire lapidaires, fait souvent référence à l’Ancien Testament, cité en tête de chaque chapitre. Herbjørg Wassmo y décrit  les paysages, les nuits sans nuit, la glace, les maisons et les gens de ce Nordland rude et attachant,  avec un souci de réalisme et de belles percées lyriques.
Il y a aussi de courts mais très forts monologues de Dina mais aussi des dialogues entre cette femme passionnée et les autres personnages.

Oui, mais voilà les jeunes metteurs en scène, sans doute faute de trouver de bons écrivains qui préfèrent imaginer des scénarios pour le cinéma ou les séries télé, s’orientent de plus en plus vers des traductions scéniques de romans très connus, voire culte. . .
Et cela donne ce que cela peut, quand il faut recréer un tel univers, surtout comme  celui d’Herbjørg Wassmo, sur un plateau; à l’impossible, nul n’est tenu, puisqu’il s’agit d’une fiction romanesque qui n’est pas, et de loin, toujours intimiste, avec nombre de récits, et cela, quelle que soit la personnalité très attachante comme ici, du personnage principal.
 
 Sur le plateau, un piano, un violoncelle, quelques chaises et, dans le fond, une grande serre translucide imaginée par Pierre-Guilhem Coste. On comprend que Lucie Berelowitsch n’ait pas voulu tomber dans une mise en scène folklorique : table et chaises de bois, lampes à pétrole, marmites en terre, etc.
C’est sur le plan plastique, une  réussite mais cette serre ne fait pas vraiment sens, même quand des personnages y passent en ombres portées (on pense aux magnifiques photos d’ombres de Maiko Miyazaki).
Elle fait davantage penser à une installation d’art contemporain. Bref, n’est pas scénographe qui veut…

La metteuse en scène a choisi pour prolonger ce qui devait être, au départ, une lecture, « Nous avons fait le choix d’une adaptation pour quatre comédiens, dit Lucie Berelowitsch, deux hommes et deux femmes, entre narration et incarnation musique et jeu ». Elle dirige bien Armande Boulanger qui joue aussi du violoncelle et représente Dina encore enfant, et Malya Roman, qui, elle, est une remarquable Dina, plus âgée. Et Jonathan Genet et Thibault Lacroix, tous deux très solides , qui sont le père, les  amoureux de Dina, et aussi les employés de l’épicerie.

Le spectacle, encore brut de décoffrage et très mal éclairé, a quelque chose de parfois cahotant et d’ennuyeux, mais aussi de vraiment très belles scènes comme, entre autres, la mort ensanglantée dans un accident de traîneau de Jacob. Et pour finir, on a droit à l’apparition magique d’un grand poney, Arto, en hommage à Antonin Artaud, auteur de prédilection de Thibault Lacroix.

Philippe du Vignal

Spectacle à la Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie, créé en partenariat avec Les Boréales qui a lieu jusqu’au 27 novembre.
Le Livre de Dina sera joué au Théâtre de l’Union à Limoges, les 8 et 9 février.

 Le roman est publié aux éditions Gaïa. 24€.

 

 

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Dans la Solitude des champs de coton

 

Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Charles Berling

 «Il n’y a pas d’amour», seulement un deal où s’affrontent client et vendeur. Suffit de s’entendre sur le désir et l’objet du désir. Cela posé, le public sait fort bien que la transaction sera littéraire, et sans doute peu spectaculaire.
Dans le théâtre-très écrit-de Bernard-Marie Koltès, la monnaie de singe, c’est la langue. Dans son Prologue, l’auteur s’explique : «Le premier acte de l’hostilité, juste avant les coups, c’est la diplomatie qui est le commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence d’amour, le désir par répulsion. Mais c’est comme une forêt en flammes traversée par une rivière : l’eau et le feu se lèchent, mais l’eau est condamnée à noyer le feu, et le feu forcé de volatiliser l’eau. L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange de coups. »

Dès le début, un bruit assourdissant fait tressaillir le spectateur: on se sent immédiatement mobilisé et on sait qu’on va s’en prendre plein les yeux. D’autant plus que le décor de Massimo Troncanetti en impose. De majestueuses palissades métalliques figurent deux immeubles : à cour, un grand escalier noir mène à une plateforme. La présence d’un haut lampadaire, des rangées de lumières latérales, et trois tubes fluo bleu permettent de subtils jeux de clair-obscur. Et belle image, il y a une passerelle qui va des premiers rangs au plateau, dans une ligne courbe cheminant lentement vers l’Autre …

 Las, Charles Berling, en costume trois pièces faussement défraichi, n’est guère convaincant et de dos, il a une voix qui porte mal. Certes, le texte oppose masculin/féminin, noir/blanc, animal/homme, mais quel besoin d’enfoncer encore le clou, avec pour Mata Gabin :  treillis kaki, veste à capuche, et grosses bottes cloutées ? Le Dealer, ici, est une femme. Mais cela ne change pas grand-chose ! L’affrontement des antonymes était déjà lisible dans ce dialogue de sourds et les corps ne semblent guère traversés par cette nouvelle attirance.

L’un et l’autre ont des gestes caricaturaux avec lesquels ils miment le texte : Charles Berling montre son hésitation en se balançant d’un pied sur l’autre, les mains ballantes ! Et Mata Gabin montre son agressivité avec ses bras et dépense la même énergie tout au long du spectacle. Au second coup de semonce sonore, on espère un changement…qui ne viendra pas.
Dans un salle peu attentive, il y a un concert de toux; un: «On ne comprend rien !» s’élève et l’hémorragie de public commence. C’est vrai: on n’entend pas le texte, non à cause d’un problème de diction, mais bien d’une absence de rythme et de changement dans la relation entre les deux personnages…

Nous assistons avec quelque ennui, au défilé des mots et l’issue du deal n’apparaît guère palpitante. Reste cette ruelle au centre du plateau, faille où clignotent les chaudes promesses de la nuit : MOTEL, GIRLS, GIRLS, GIRLS… Consolations intermittentes. Nous aurions aimé que soit investie cette béance : l’obscurité du désir!

 Stéphanie Ruffier

Spectacle vu le 23 novembre, à Anthéa-Antipolis 260 Avenue Jules Grec, 06600 Antibes. T: 04 83 76 13 13.

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Un démocrate de Julie Timmerman

_DSC0836[1]Un Démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman

 

Edward Bernays, double neveu de Sigmund Freud (fils de sa sœur mais aussi du frère de sa femme) a exporté de Vienne jusqu’ aux Etats-Unis,  certains aspects des théories de son oncle. Exemple : une foule n’est pas une somme d’êtres raisonnables mais une réserve de pulsions, qu’il suffit de déclencher pour la dominer. Eddy ne cherche pas à dominer. Non, c’est un « démocrate », comme le président Wilson auquel il a vendu des «éléments de langage» pour l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, opérant ainsi le renversement d’une politique pacifiste pour laquelle Wilson avait été élu.

Son ouvrage Propaganda où il expose ses techniques de manipulation des foules, se trouve dans la bibliothèque de Joseph Goebbels, mais cela ne le regarde pas: «Ce sont des fous!», clame-t-il du haut de son innocence commerciale américaine. Et plus tard, il fabriquera consciemment, avec la C.I.A., un coup d’État au Guatemala pour sauver les intérêts de la United Fruit Company et pour soutenir l’entreprise de désinformation (fort lucrative!) des lobbys du tabac. Et cela fonctionne toujours et même mieux que jamais… comme les mensonges d’État américains sur la présence d’armes de destruction massive en Irak.

Julie Timmerman mène son enquête, en utilisant tous les outils du théâtre de tréteaux, mais à la manière d’une série policière. Qui est Eddy ? Un homme, quand même, un démocrate, croit-il. mais surtout un redoutable entrepreneur qui ne  vend rien, justement mais qui  crée le désir d’acheter: beaucoup plus rentable! Il observe ses cobayes, répond à toutes les commandes, falsifie, manipule, facilite tellement le travail de la presse qu’elle ne fait plus son boulot d’investigation et se laisse enfumer (via les cigarettes Lucky Strike !).
Précurseur de Steve Jobs, il est très fort…  Et quand on veut parler du travail des acteurs (Anne Cantineau, en plus excellente chanteuse, Mathieu Desfemmes, Jean-Baptiste Verquin et Julie Timmerman, tous à leur affaire) et de la mise en scène, on reparle d’Eddy… Donc, comme dans une série policière, indices, documents et preuves s’accumulent sur le mur du fond. Eddy est cerné ? Nous sommes cernés, jusqu’à ce que…

Ce Démocrate secoue et divertit mais ce n’est pas antinomique. Il met noir sur blanc et en couleurs, le système grâce auquel nous sommes manipulés. Le rire naît alors, comme souvent, de la rencontre avec le vrai. Un rire de revanche aussi : le grand méchant loup ne peut plus se cacher, même si nous savons qu’il se cache encore très bien et qu’il a plus d’un tour dans son sac.  Il y a surtout ici un véritable humour : nous avons bien conscience que nous sommes des marionnettes entre les mains d’entreprises géantes.

Promis, nous ferons un peu plus attention la prochaine fois, avant de nous précipiter sur le prochain objet connecté, non seulement inutile mais espion et voleur de nos données, pour le plus grand profit du capitalisme et d’une dictature larvée… Et là, on redevient sérieux : n’oublions pas le titre, et les responsabilités que nous avons à l’égard de la démocratie. Le spectacle ne l’oublie pas et le public lui en est reconnaissant.

Christine Friedel

Théâtre d’Ivry-Antoine Vitez, jusqu’au 27 novembre, dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, 1 Rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T : 01 46 70 21 55.

Gare au Théâtre, 13 Rue Pierre Semard,Vitry-sur-Seine. T : 01 55 53 22 22 du 14 au 17 décembre.
Théâtre de l’Opprimé, 80 Rue du Charolais, Paris (XII ème). T : 01 43 45 81 20, du 18 au 29 janvier.
Puis à Poitiers, Saint-Michel-sur-Orge, Boulogne-sur-mer, Charenton-le-pont…

 

 

Un Fil à la patte de Georges Feydeau

Un Fil à la patte de Georges Feydeau, mise en scène d’Anthony Magnier

 un_fil_a_la_patte_3148-890x395Le succès de la pièce ne s’est jamais démenti, grâce à un formidable scénario, grâce aussi à la mise en scène de Jacques Charon où Robert Hirsch jouait Bouzin, et à celle, tout aussi remarquable, de Jérôme Deschamps,  avec Christian Hecq en 2010 (voir Le Théâtre du Blog), et transmise en direct depuis la Comédie-Française, avec plus  de trois millions de téléspectateurs;  en 1990, dans les misse en scène pour la Une de Pierre Mondy; avec Christian Clavier et Jacques Villeret, et en 2005  sur France 2,  de Francis Perrin avec cinq millions de téléspectateurs. Bref, ce Fil à la patte, cousu main, reste, depuis sa création en 1884, un moment inoxydable du théâtre comique français!

Fernand de Bois d’Enghien  annonce à sa maîtresse, la chanteuse de cabaret Lucette Gautier qu’il va la quitter. Il a en effet décidé de se marier avec Viviane, fille de la baronne Duverger, ce qui est en effet annoncé dans Le Figaro : il doit donc à tout prix empêcher que Gontran de Chenneviette, le père de l’enfant de Lucette, Ignace de Fontanet, un ami à la trop forte haleine, et Marceline, la sœur de Lucette, n’apprennent la nouvelle…

Par ailleurs Bouzin, un pauvre et ridicule clerc de notaire mais aussi auteur (plus qu’amateur!) de chansons, vient apporter une de ses œuvres à Lucette Gautier; resté dans l’antichambre, il va glisser sa carte de visite dans un gros bouquet de fleurs anonyme qu’on vient de livrer. Et la baronne Duverger, future belle-mère de Fernand, va convier Lucette à venir chanter le soir même au mariage de sa fille. Lucette accepte, sans imaginer évidemment que le futur marié est Bois-d’Enghien. Lucette Gautier a trouvé stupide la chanson et Bouzon, vexé, s’en va…

Irrigua, un général argentin, ex-ministre condamné à mort pour avoir perdu au jeu, le budget destiné à acheter des bateaux de guerre, offre à Lucette un bouquet de fleurs et une bague; il lui déclare son amour. Mais elle voit la carte de visite au nom de Bouzin  et une belle bague, et fait alors rappeler Bouzin pour le remercier. Alors que le bouquet et la bague ont, bien sûr, été envoyés par Irrigua…

Bouzin revient donc mais est nouveau chassé, quand on s’aperçoit de la supercherie. Le Général demande à Bois d’Enghien qui est son rival, car, dit-il, il veut sa mort. Bois d’Enghien prétend avec lâcheté que c’est Bouzin, revenu avec sa chanson pour Lucette. Le général et Bouzin échangent leurs cartes mais le général furieux lui annonce qu’il le tuera le lendemain matin. Terrorisé, Bouzin s’enfuit

Chez la baronne Duverger, Lucette va découvrir son amant caché dans une armoire. Bois d’Enghien a dit à Lucette qu’il y avait un vent coulis dans le salon, Lucette affolée en informe la baronne. La baronne intriguée va vérifier et n’en trouve pas. Bois d’Enghien expliquera à la baronne et à sa fille Viviane, de ne pas dire les mots : «fiancé», « futur », «gendre », car Lucette s’évanouirait.

Mais la baronne dit que Bois d’Enghien est le fiancé de Viviane. Lucette s’évanouit, puis revenue à elle, dit qu’elle se suicidera avec un revolver. Fernand dit qu’il l’aime toujours mais  se déshabille pour enlever un épi de blé que Lucette lui a malicieusement glissé dans le dos. Le piège fonctionne : tout le monde va voir Fernand en slip… avec une  Lucette très entreprenante.
Et Bois d’Enghien, lui, se retrouve par mégarde à la porte de chez lui, en ne sachant plus où se cacher… et appelle à l’aide pour qu’on lui ouvre. Après avoir pris de force ses vêtements à Bouzin, il rencontre Viviane qui a fait chanter sa mère, afin de se marier avec Bois d’Enghien. Et Bouzin, au motif répréhensible de nudité dans un lieu public sera emmené au commissariat!

La pièce  continue à être souvent montée, notamment par la compagnie Viva qui l’a déjà beaucoup jouée. Scénographie approximative, signée du metteur en scène, comme cela se fait de plus en plus! Un plateau blanc, presque nu, avec deux petits lustres et un fond en rideau de voile, ce qui permet parfois un jeu d’ombres chinoises qui ne manque pas d’élégance, et une quinzaine de chaises tubulaires noires servant aussi d’armoire ou de canapé. Bref, un décor pratique sans portes ni construction, donc facilement transportable en tournée, mais ni très beau ni très efficace.

Anthony Magnier, directeur de la troupe, réussit mieux son coup quand il emmène ses neuf comédiens avec lui, même s’il a tendance à forcer parfois un peu le trait, avec, on se demande bien pourquoi, une distanciation brechtienne. Il a mis des chaises sur le côté, comme le faisaient déjà il y a une quarantaine d’années les metteurs en scène voulaient paraître dans le vent…  Et les acteurs vont s’y asseoir quand ils ne jouent pas dans une scène; il a aussi imaginé des claquements de portes ou coups de sonnette figurés par des voix… «Le travail du comédien et la mise en scène de son corps dans l’espace, dit-il, sont au centre de mon travail et cela retrouve dans Un Fil à la Patte, matière à explorer : des personnages démesurés en situation de crise permanente. Je veux donner un coup de pied à ce texte de répertoire, pour faire voler en éclat la folie qu’il contient. »

On veut bien mais la direction d’acteurs manque souvent de nuances: les acteurs ont tendance à criailler, Mikaël Taïeb dans Bouzin en fait des tonnes et Marie Le Cam (Lucette Gautier), souvent d’une excellente férocité, pourrait être plus provocante. Mais il y a une belle surprise : Eugénie Ravon compose une excellente Marcelline, sœur de Lucette avec ce qu’il faut de sottise et d’ingénuité. Ce qui n’est pas si facile. Chapeau…
Toute la mise en scène a un bon rythme et la fameuse machinerie comique de Georges Feydeau d’une précision absolue, fonctionne bien, avec ces personnages délirants, sans morale aucune et assez peu sympathiques mais tous crédibles, malgré une suite d’événements qui s’enchaînent dans une logique de folie pure qui fait froid dans le dos: comme dans cette petite pirouette finale de l’auteur, quand le pauvre Bouzin est arrêté par les flics…

Et le public ne cesse de rire aux mésaventures inextricables de ce pauvre Bois d’Enghien qui, par sa seule présence, semble attirer les catastrophes qui augmentent généralement dès que Bouzin arrive.
Rire? Cela devient assez rare dans le théâtre contemporain, et là, Anthony Magnier sait très bien faire, même si sa mise en scène ne fera sans doute pas date.
Ce soir-là, en tout cas, une bande de collégiennes, très attentives, riaient sans arrêt, et ont ensuite applaudi debout et chaleureusement les acteurs ! C’est toujours bon signe, comme dirait notre amie Christine Friedel.
Les temps et les mœurs ont bien changé, Georges Feydeau est mort, il y a déjà presque cent ans, peu avant Marcel Proust, mais vous pouvez chercher: il reste peu de pièces, de cette époque, surtout comiques, qui  reçoivent encore un tel accueil… Que demande le peuple? 

Philippe du Vignal

Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier Paris XIV ème. T : 01 45 45 49 77 jusqu’au 31 décembre.

 

Ce qui nous regarde de Myriam Marzouki

 

Ce qui nous regarde, texte et mise en scène de Myriam Marzouki

Après avoir été formée à l’École du Théâtre National de Chaillot, l’écrivaine et metteuse en scène mène un travail d’exploration des imaginaires contemporains, depuis 2004. (voir l’entretien avec Véronique Hotte dans Le Théâtre du Blog)
Une femme à genoux, en foulard, boxe, avec des gants. «L’homme est l’image et la gloire de Dieu, la femme est la gloire de l’ homme ! ».  C’est la Bible.  Les cultures se croisent parfois, il faut déjouer la censure, dans le Coran, rien n’oblige à porter le voile, le contraire est vrai !  (…) C’est mon statut d’enfant d’immigré qu’on m’envie (…) Les cultures se croisent parfois (…) Tout le problème, c’est le prophète. (…) J’ai 25 ans, il faut réagir, je veux lutter avec vous…».

Olga, l’Ukrainienne, et Aziza, l’arrière-arrière grand-mère tunisienne de Myriam Marzouki, coiffées d’un tissu symbolique, sont mises en question dans ce spectacle. Ces images sur le voile se croisent, avec celle d’une jeune femme en cheveux, un tableau de Jan Van Eyck (XVème siècle), le peintre célèbre des Epoux Arnolfini.  La metteuse en scène évoque aussi les femmes algériennes que le  général  Salan avait obligé à se  dévoiler pour leurs photos d’identité.
C’est aussi l’occasion pour Myriam Marzouki de rappeler que « la question de l’égalité se pose avec des enjeux spécifiques pour les artistes du spectacle vivant car les auteurs et les metteurs en scène donnent à voir une représentation du monde et de la société. Or trop longtemps, notre milieu s’est cru naturellement immunisé contre l’inégalité jusqu’à ce qu’il réalise à son corps défendant à quel point les œuvres écrites, composées, mises en scène par des femmes étaient si peu nombreuses.
Je dirais que ces cinq dernières années les choses ont commencé à changer car des revendications fortes ont été portées et qu’on a commencé à les entendre. »

Quelles réactions devant ces femmes de plus en plus voilées, qui débarquent de leurs pays colonisés et ravagés par les puissances occidentales. Comment être de gauche avec le voile ? « comme de plus en plus d’artistes le font, dit la metteuse en scène : bi-nationaux ou issus de l’immigration récente, ou nés en France de parents étrangers, venant de cultures diverses, imbriquées, tissées ensemble. Je pense qu’il est aujourd’hui urgent de prendre la parole pour inventer les récits nécessaires de la France d’aujourd’hui et de demain et je me sens la responsabilité de ne pas laisser la question de l’identité dans de mauvaises mains. »

Myriam Marzouki dirige impeccablement ses comédiens: Louise Belmas, Rayess Beck, Rodolphe Congé, Johanna Korthals Atès. Ce qui nous regarde a été co-produit par de nombreuses institutions, comme autres la Comédie de Saint-Étienne, le Théâtre de l’Union, la Comédie de Valence, et la MC 93 de Bobigny.

Edith Rappoport

Spectacle vu le 18 novembre au Festival de la Ferme du Buisson, Allée de la Ferme, 77186 Noisiel. T: 01 64 62 77 00.

le  20 novembre.

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Le Cirque orphelin, mise en scène de la compagnie les Sages Fous

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Le Cirque orphelin, mise en scène de la compagnie des Sages Fous

Estropiés, réprouvés, mal fichus ? Bienvenue ! Signe du temps, l’univers de la marionnette est de plus en plus peuplé de ces êtres au corps singulier, célébrés par le film Freaks de Tod Browning. Le cirque et les arts forains, lieux privilégiés d’exhibition du bizarre, les accueillent à bras ouverts.
Ici, la fragilité ou le handicap deviennent un don, et offrent la possibilité d’une nouvelle façon de se mouvoir dans le monde. Le petit cirque boiteux de mon imaginaire de la compagnie Zampanos ou Le Petit théâtre du bout du monde d’Ezéquiel Garcia-Romeu (voir Le Théâtre du Blog): nombreux sont les spectacles dont le titre célèbre d’emblée l’humilité.
L’épuisement guette, le monde s’effondre, mais ces êtres de guingois, dotés d’une sensibilité toute singulière, ne renoncent jamais. Comme dans L’Innommable de Samuel Beckett, ils avancent, malgré tout : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. »

Le spectacle de la compagnie québécoise des Sages Fous, en tournée depuis 2011, a déjà remporté de nombreux prix dans les festivals internationaux. Cela se passe dans un squat post-apocalyptique où les bidons font office de piste aux étoiles; l’espace est clôturé par des tôles rouillées, et deux chiffonniers-ramoneurs, à bonnet de laine noir, fouillent les poubelles. Des créatures en émergent, jouant avec les échelles et l’espoir de grandir. Avec un fort désir de mutation.

Heureusement, un centre de transformation permet l’impossible. On peut y troquer son fauteuil roulant contre une queue de sirène, puis lui préférer deux grandes jambes articulées de chevalier. On rencontre aussi une chenille acrobate, une innommable tête avec deux bras articulés (marionnette la plus stupéfiante)… Têtes et corps difformes sont faits de papier mâché et de matériaux de recyclage.

 Ce petit peuple échappe à la pesanteur le temps d’un numéro sur musique triste. Manipulation  précise, d’une grâce virtuose… Et pourtant, quelle mélancolie ! Qui, dans sa cage, qui, dans son aquarium cylindrique: les artistes semblent bien orphelins…dont l’étymologie évoque la privation. On pense à l’absence de parents, mais la racine indo-européenne: orphanos désigne aussi changement d’allégeance, servitude et  travail forcé (le slave robota : robot en sont aussi dérivés).
De fait, le spectacle nous parle du travail. Les humbles manipulateurs, un homme et une femme, s’inquiètent perpétuellement de la présence du boss, un «big brother», à l’accent italien, acariâtre, que l’on sent omniprésent. Visage masqué de type commedia dell’arte, ce Zampano inquisiteur apparaît parfois, et tyrannise tout le personnel du cirque.

Quand l’amour survient, il est aussitôt mis sous cloche. Une sirène et un homme-oiseau ? Cela fera un bon duo, et tant pis si on y risque sa peau. Et puis cette femme qui sacrifie sa belle queue pour suivre son amoureux ailé, et qui exécute un torride numéro de pole-dance autour d’une  antenne phallique de transistor… Des enfants sont pliés de rire. (Ont-ils déjà vu ce type de danse lascive dans des clips musicaux ? )Encore une illustration de la récupération et de l’exploitation !

Objets détournés, artistes recyclés vivent une seconde vie mais on sent toutefois poindre, au-delà de la célébration de la modeste prouesse, une grande désillusion.
Pour les plus jeunes, à moins de se laisser happer par la magie du mouvement, c’est un peu trop lent et cafardeux. Et quel message! L’être humain semble si peu respecté, et vite récupéré. Sombre tableau!

Stéphanie Ruffier

Spectacle vu à Draguignan/Théâtres en Dracénie,  le 18 novembre.
Romans-sur-Isère, du 28 au 30 novembre; Garrigue, le 10 décembre; Béziers, les 15 et 16 décembre.

 

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Les Années d’Annie Ernaux

Les Années d’Annie Ernaux, adaptation et mise en scène de Jeanne Champagne

les-annecc81es-2-c2a9-benoicc82te-fantonC’était comme cela, juste avant les années soixante du siècle dernier : dans une petite ville de Normandie, Yvetot, il était difficile pour la bonne élève dont les parents tenaient une modeste épicerie-bistrot, de trouver sa place.
Annie Ernaux a donné ce titre à l’œuvre qui a marqué sa singularité dans la littérature contemporaine : une écriture de soi qui parle du réel, du social, sans le moindre narcissisme. Tirée à hue et à dia entre sa classe d’origine et la fascination pour les garçons et filles de la bourgeoisie, leurs  surprise-parties et autres prestiges, la jeune fille qui s’appelle Annie va trahir sa classe, forcément, en devenant professeur.
Mais elle va surtout se trahir elle-même en «tombant enceinte», à une époque où la contraception est rare et chère, mais aussi clandestine (l’avortement est officiellement un crime!) et pratiquement, un massacre pour beaucoup de jeunes femmes.
Chute dans le mariage, et partage inégal des tâches : «Toi qui n’a rien à faire de la journée», dit le jeune père qui n’a jamais touché un biberon et encore moins une couche (en tissu, à laver, en ces temps-là!) à sa femme épuisée qui voudrait potasser son CAPES.
La dépression se referme sur elle, comme une porte. Jusqu’au jour où… Arrivent ensemble Mai 68 et la révélation du féminisme : la porte s’ouvre. Ce n’est pas encore la victoire, c’est l’espoir pour toute une génération. Les slogans fleurissent, énergiques et drôles : «Un homme sur deux est une femme »,  «Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette », « Notre corps (enfin) nous appartient ».

Après Passion simple (2013), récit à la première personne, Jeanne Champagne s’est engagée dans la démarche de l’auteur des Années, faisant défiler sur grand écran photos de famille à l’origine du texte.
 Elle fait de cette chronique des années soixante-pas si glorieuses que ça-un spectacle presque léger : images personnelles associées à la nostalgie souriante des chansons «d’époque » qui nous sonnent toujours aux oreilles, aux “réclames “ devenant peu à peu “publicité“, toujours aussi  (naïvement ?) sexistes, au Salon des arts ménagers…
Plus graves, documents et films rappellent les grandes étapes du combat des femmes pour leur libération : Gisèle Halimi et le procès de Bobigny, Simone Veil à l’Assemblée Nationale, en contrepoint des défilés de filles fortes et joyeuses, avec enfants et banderoles…

La liberté est photogénique, et la voix off de Tania Torrens chaleureuse et précise. Et puis, et puis… Le spectacle, qui a attendri, enthousiasmé, fait rire, se clôt sur une inquiétude pressante : qu’en est-il aujourd’hui ? Que sommes nous en train de perdre, dans cette période de régressions très graves pour les droits des femmes ?

Agathe Molière et Denis Léger Milhau sont épatants (qualificatif déjà vieilli en 1960 !), la première passe avec aisance, et beaucoup de charme, de la petite fille qui rêve de loin aux garçons, à la jeune femme épuisée, et lui, en partenaire tout aussi élastique et excellent chanteur. Le dispositif efficace, conçu par Gérard Didier-grand et petit écran, pupitre, table multi-usages- donne au spectacle un côté plaisamment didactique. Et le public jeune qui n’a pas connu cette période ? Il découvre cette histoire des luttes féminines, avec un étonnement, une jubilation qui laisseront forcément des traces.
 Annie Ernaux voudrait «sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais». C’est son côté Tchekhov. Mais elle fait plus : sans cesse rouvrir des portes.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre 71 à Malakoff

 

Seulaumonde de Damien Dutrait

 Seulaumonde de Damien Dutrait, création collective du Théâtre des deux saisons.

 

Quatre hauts parleurs sphériques et un luminaire de tubes fluorescents suspendus. Au sol, un grand carré blanc et une chaise tulipe blanche. Dans ce décor minimaliste, commence le récit dramatique d’une situation existentielle peu probable, et pourtant… Dans la pénombre, un garçon accroupi en fond de scène, le visage à peine éclairé avec une lumière en contre-plongée, comme si sa tête n’avait plus de corps, dit avec une voix douce : «Un jour, il y a longtemps, l’année dernière, j’ai pris l’avion ».

 La voix de Seulaumonde, un garçon seul (à l’image de son prénom), vingt ans, mort, et qui refuse de partir, de quitter son existence et la terre… sans rien dire ! 
Comme pour inviter sa vie et sa mort à se rencontrer, pour le meilleur et pour le pire.
 L’une ne succède plus à l’autre, alors comment faire ? Que reste-t-il à attendre ? Un avion, des confitures, Sharon Stone, un père et une mère, la Lune et Jupiter, une infirmière sévère, une forêt, des vermicelles grillés, une chemise de coton bleue, de la cendre, le son des vagues, un anévrisme, des médecins, un rêve, un amour de derrière la porte… 

Performance poétique et plastique, ce monologue pour un comédien et trois personnages, est orchestré sans aucun faux pas, et avec fougue, par Nelson-Rafaell Madel et Damien Dutrait. On est en présence ici, d’un théâtre inventif  réalisé avec peu de moyens mais utilisés avec justesse et  modernité.
 L’univers intérieur, singulier et implacable de Seulaumonde prend forme dans l’imaginaire des spectateurs. Lumières et musique, comme entre autres, un extrait d’une Cantate de Jean-Sébastien Bach.. ou des morceaux de rock, sous-tendent, avec efficacité, l’action dramatique.

Le public est tout aussi surpris, perturbé qu’ébloui, par les aveux, les pensées et les rêves de Seulaumonde, personnage testamentaire. On rit aussi mais il n’y a aucune complaisance dans l’écriture-un des points forts de cette pièce…
Et il y a de la violence dans le propos, qui vient de la sincérité et de la blessure. Une sorte de règlement de comptes avec la vie et ses injustices ?  Sans doute mais ce spectacle va plus loin. Dans une belle insolence et un mouvement de liberté : «Je fermerai les yeux mais je ne dormirai pas », Seulaumonde, même mort, continue sans fin de crier, danser et murmurer comme un absolu, une recherche éperdue, de la beauté, de l’amour : la vie !

Elisabeth Naud

Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris, jusqu’au 22 novembre. T : 01 48 06 72 34.
Le texte de la pièce est publié aux éditions Les Cygnes.

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