Les Caprices de Marianne (version 1833) d’Alfred de Musset

 

 


Les Caprices de Marianne  (version 1833) d’Alfred de Musset, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia

 101712-les_caprices_58_brigitteenguerand---copieEn dépit d’un sous-titre ironique: « comédie »,  remarque Frank Lestringant, spécialiste de l’auteur, la pièce est bien une «tragédie», genre théâtral majeur qui règle le sort des hommes par le caprice, en se jouant de leurs désirs et de leur vie.
Une histoire  simple et cruelle : dans une Naples imaginaire, Cœlio, un jeune amoureux, rêve de conquérir Marianne, l’épouse du juge Claudio. Mais il n’ose l’aborder et fait  appel à son ami Octave, viveur et libertin, cousin du mari de Marianne, pour la rencontrer.
Octave plaidera donc  la cause du timide Coelio auprès d’elle mais n’obtient de faveur, sous-entendue, que pour lui-même. Par caprice, la belle lui annonce en effet sa décision de prendre un amant, avouant son amour. Octave hésite mais ne cède pourtant pas et envoie loyalement son ami rejoindre Marianne.
Mais Coelio perdra la vie dans le guet-apens organisé par le mari furieux. Octave ne s’en remettra pas, et refusera à jamais les avances de  la belle jeune femme.

 Le décor éloquent de Jacques Gabel relève d’un matérialisme épicurien: ce mont de cendres grises et noirâtres pourrait être le Vésuve, proche de Naples: les comédiens ne cessent de l’escalader et de le descendre, avant de glisser et de s’effondrer devant tant d’obstacles à franchir, ou à éviter.
L’existence ne se montre en effet guère aisée dans cette fin de monde, avec un cadre de scène effondré ou à moitié enterré,  des repères perdus et des portes à moitié enterrées. L’éruption menaçante volcanique a parlé, métaphore de la vie des hommes sur un sol apparemment plus solide, mais friable encore et toujours.

Une vie politique, sociale et économique a eu lieu mais c’en est fini, et rien ne va plus; même si une table longue nappée de blanc, à l’avant-scène, est prête pour des agapes qui font tout oublier, couleurs et éclats.
« Pourquoi, demande Octave, la fumée de cette pipe va-t-elle à droite plutôt qu’à gauche. » On ne sait, et si Marianne fait un caprice, l’entêté Coelio aussi (Sébastien Eveno, romantique sombre et malheureux), comme Claudio, le juge jaloux, (Jan Hammenecker, convaincant et attachant), sans compter les frasques d’Octave : ces Caprices sont ceux de la vie-même: le théâtre d’Alfred de Musset s’amuse à merveille des allées et venues du sentiment humain, et se délecte des échanges de paroles, en jouant des non-dits et des silences. Les jeunes gens, écorchés vifs, ont des passions ultimes et débattent de la vie et de la mort, de l’amour et du mépris, avec des accents romantiques ineffables.
Octave, pourrait être l’auteur lui-même avec ses amours houleuses, saltimbanque des émotions, funambule des sensations, et David Migeot séduit  Marianne et le public:  aisance naturelle, folie et mélancolie. Quand on ne veut voir la réalité en face, on rêve et on philosophe, on songe et on s’amuse,  un verre de vin de Lacrima Christi à la main, près de sa chandelle.
Sarah-Jeanne Sauvegrain est une Marianne dans toute sa splendeur, quoiqu’elle fasse : quand elle va à l’église ou  s’abandonne à son désir. Elle se moque et tourne en ridicule les poncifs masculins : «Qu’est-ce qu’après tout une femme ? … Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : Voilà une belle nuit qui passe ? »Libre de sa parole existentielle, corps et désir, elle affirme sa présence, pleine et sûre de ses droits, loin de toute pruderie, et Octave a maille à partir avec celle qu’il pensait peu tournée vers une vie sentie.
Caprices, soubresauts, ricochets, pointes, piqûres:  Frédéric Bélier-Garcia engage sur le plateau une partie de plaisir ludique, une danse enivrante et joyeuse, dont les épices et les couleurs, les chatoiements et les ombres ne manquent pas, fondés sur le langage comme sur la gestuelle.
Saluons aussi ces comédiens de grand talent: Marie-Armelle Deguy, Laurence Roy, Yvette Poirier et Denis Fouquereau.

Véronique Hotte

Théâtre de La Tempête, Cartoucherie de Vincennes  jusqu’au 11 décembre. T: : 01 43 28 36 36

 


Archive pour novembre, 2016

Le Bouton de rose, de et par Sophie Accaoui

Le  Bouton de rose, de et par Sophie Accaoui

 

Trapet-0158-Modifié« Clitoris (du grec : κλειτύς, kleitús, pente), organe féminin situé au sommet des petites lèvres, formant une proéminence d’environ un centimètre de diamètre, à la conjonction de deux racines de dix centimètres entourant vagin et  urètre ».
Il possède une vascularisation abondante qui le rend érectile et stimulé, déclenche une ouverture et une lubrification du vagin, à la structure identique au pénis avec un corps caverneux et un corps spongieux : deux bulbes en moyenne de trois centimètres de longueur environ. Il est sensible aux stimuli érotiques chez les humains… comme chez les mammifères.
Voilà vous savez tout ou presque…

Organe sexuel encore mal connu jusqu’à récemment, il avait quand même préoccupé des médecins, entre autres, le bon docteur Freud. Mais aussi, et depuis  la nuit des temps, nombre de dignitaires religieux qui y voient toujours un instrument diabolique d’excitation sexuelle et donc de subversion de la femme,  et il faudrait donc en pratiquer d’urgence l’ablation : cela s’appelle l’excision, encore couramment pratiquée en Afrique sub-Saharienne en Égypte,  en Indonésie et Malaisie… au nom de la  virginité, idéal féminin pour le mariage, et de l’interdiction de l’orgasme chez les femmes.

C’est tout cela, entre autres, que va nous expliquer une conférencière. Maladroite et coincée, n’osant jamais prononcer le mot clitoris, attifée d’un incroyable tailleur rose à la jupe très longue des années cinquante, la pauvre conférencière réussit, seule en scène et juste munie de quelques grands panneaux avec statistiques, à attirer  l’attention d’un public composé surtout de femmes comme dans tous les théâtres mais aussi d’hommes.
Interprété par Sophie Accaoui, comédienne et chanteuse, ce monologue est précis: elle tient à notre disposition, dit-elle, des extraits de tout l’arsenal scientifique, ou pseudo-scientifique truffé de bêtises, notamment sur le plaisir féminin, consacré à l’anatomie et au fonctionnement du bouton de rose, qu’elle débite avec le plus grand sérieux et qu’elle alterne avec poèmes et chansons interprétés a capella d’une belle voix chaude, et qui y font référence au dit bouton de rose .

Une brillante démonstration en un peu plus d’une heure, un brin pédagogique mais surtout très drôle où elle rappelle-on peut se demander au nom de quel tabou !-que la première planche anatomique précise du clitoris a été établie en… 1997, ce qui justifierait déjà l’écriture de ce  monologue!
Malgré une mise en scène et un éclairage des plus approximatifs,  et une salle médiocre sans gradins où on voit et où on entend très mal (que Sophie Accaoui doit sans doute louer!). Donc, dans des conditions dures pour elle qui joue une seule fois par semaine. Comme Emile Salimov entre autres (voir Le Théâtre du Blog. Cela devient une véritable manie dans les petits théâtres parisiens (soucieux de rentabilité à tout prix ?).

Sophie Accaoui mérite en effet beaucoup mieux que cela. Mais la salle est pleine d’un public d’hommes et femmes ravis de l’écouter et qui l’ont applaudie chaleureusement. Avis aux directeurs de vrais théâtres…
Dans le hall minuscule de cette salle qui n’a rien d’une salle, avec une scène qui n’a rien d’une scène, une belle sculpture sous cloche de verre de ce fameux clito.

Philippe du Vignal

Comédie-Nation, 77 rue de Montreuil, Paris 11ème, le vendredi uniquement jusqu’au 11 décembre.

 

 

 

 

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Acting, texte et mise en scène de Xavier Durringer

Acting, texte et mise en scène de Xavier Durringer

 actingCette mise en scène marque le retour de l’auteur à ses premières amours : le théâtre, avec cette pièce de 2012. Ecrivain, metteur en scène et cinéaste, il retrouve ici un univers familier de son paysage artistique : la prison.
Dans ce spectacle à la scénographie d’Eric Durringer,sobre mais évocatrice, un seul lieu : la cellule  avec un maton, Gepetto Molina, expert comptable, Horace un tueur muet puis Robert, metteur en scène, condamné pour meurtre.

Fasciné par les métamorphoses de l’acteur et le glamour du grand écran, Gepetto l’escroc, demande à Robert de lui apprendre à devenir un autre. Robert, tenté par un pari fou, et voulant tuer le temps, décide de faire de Gepetto (qui n’a aucune prédisposition pour ce métier) le plus grand comédien de tous les temps. Et peu à peu, leur cellule devient théâtre ! Les éclairages d’Orazio Trotta, le travail sur les sons, la musique, d’une importance esthétique indéniable dans le mouvement dramatique, participent à cette métamorphose. 

« Acting » signifie : jeu, interprétation, action mais aussi performance. Et c’est bien, pendant une heure quarante cinq, à une véritable performance que nous assistons.  Avec ce spectacle intense mais tout en nuances, nous passons du rire aux larmes.  Ainsi, avec ce moment hilarant  entre autres, où Gepetto, sous la direction de Robert, se met à jouer la sensation du goût d’un citron. Ou dans cette scène grandiose : Niels Arestrup en clown blanc et Kad Merad, en clown rouge y sont prodigieux.

Autre moment d’émotion et de finesse dans le jeu, celui où Robert demande à Gepetto d’apprendre, puis d’interpréter le monologue d’Hamlet. Kad Merad est ici bouleversant émerveille le public qui le suit dans le plus grand silence: un  remarquable moment de la pièce et de la mise en scène. 

 Xavier Durringer sait nous faire entendre la langue de Shakespeare comme pour la première fois… dans un milieu hostile et à travers une rencontre (un thème important de cette fiction) entre deux prisonniers, si différents l’un de l’autre, Et de façon inattendue, superbe.
La poésie peut parfois métamorphoser des situations existentielles des plus terribles en des moments lumineux et d’excitation joyeuse. Ce que nous transmet aussi ce spectacle à la  dramaturgie et à la mise en scène remarquablement maîtrisées où Xavier Durringer traite du théâtre dans le théâtre, un thème cher à Shakespeare.

Il a eu aussi l’excellente idée de créer avec Horace, un personnage silencieux que  Patrick Bosso  interprète  au fil du rasoir, avec un équilibre subtil entre jeu gestuel  et silence. Il incarne sans doute le public, mais nous ramène aussi à la réalité. A celle, des murs intérieurs et extérieurs de la prison.
Et, ce n’est pas un hasard si, à un instant précis (que nous ne dévoilerons pas), les seuls mots qu’il prononcera seront : «Gardien ! Gardien !» et  signeront la fin du spectacle.

 Acting, à la fois fable romantique et conte contemporain, est aussi un bel hommage à la magie de l’art théâtral, à sa transmission et à Shakespeare. Drôle et tragique, ce spectacle grand public, au sens noble du terme, résonne aujourd’hui plus que jamais comme une nécessité, comme une échappée belle ! 

 Elisabeth Naud

 Théâtre des Bouffes-Parisiens, 75002 Paris, jusqu’au 28 janvier. T : 01 42 96 92 42.

Le texte de cette pièce est publié aux Éditions Théâtrales en deux versions : texte original et adaptation pour la scène.  


Poignard de Roberto Alvim

Poignard de Roberto Alvim

 Il faut parfois se servir d'un poignardLa Générale, ancien poste de transformation électrique, est un incroyable lieu de culture, en plein Paris, boulevard Parmentier. Derrière la façade vitrée, un grand espace modulable accueille spectacles, salons, performances… et, sur les toits, un jardin suspendu.
Deuxième édition du festival,  Éveil dautomne, a eu un début compliqué l’an dernier ; de courte durée et, à deux pas du lieu des attentats du 13 novembre, elle n’avait pu recevoir les nombreuses écoles  qui avaient prévu de venir.

 Le groupe M.I.A.O.U (Mouvement d’Interprétation Artistique Originale et Utile)  présente sa dernière création, adaptée d’une pièce de l’auteur brésilien Roberto Alvim. On assiste aux tribulations d’un petit groupe terroriste un peu ridicule et manipulé, dont la première action  est de se trouver un nom. Ce sera le Club Mickey!  Et on retrouve donc Minnie, Dingo, Pluto et Donald.
 Activistes débutants et peu entraînés, ils discutent beaucoup du sens de leur entreprise! Mais un drame va sceller leur destin et accélérer leur passage à l’acte : ils ambitionnent d’assassiner à l’arme blanche dix vedettes du show-biz. En parallèle, on suit l’ascension d’un boys band, les TNT : ces personnages, qui se prêtent au grand jeu médiatique et capitaliste, seront la cible majeure du Club Mickey.

 La mise en scène d’Alexis Lameda-Waksmann est rapide mais un peu trop sautillante.  Et les comédiens semblent peu à l’aise avec un texte difficile à porter sur scène. Les adresses racoleuses au public, et certaines scènes du boys band, affublé de shorts en jean et de chaussettes montantes,  sont assez vulgaires.
En présentant ces Pieds Nickelés du terrorisme qui affirment à plusieurs reprises que la lutte armée est la seule issue, Roberto Alvim ne produit aucune analyse réelle, et se contente de faire dans le loufoque. Il aurait pu montrer avec Poignard comment la perte de repères de notre société peut induire chez certains jeunes une radicalisation. Malheureusement,  il ne traite  pas ce thème ; comique et grinçante,   Poignard  n’incite guère à la réflexion.

Manque un véritable travail théâtral, grâce auquel le spectacle aurait pu gagner en lisibilité,  s’il avait eu aussi un peu plus de rigueur et moins d’artifice.

 Julien Barsan

 Le spectacle s’est joué à la Générale, 14 avenue Parmentier Paris (11ème) du 2 au 5 novembre.

 

The Fountainhead (La Fontaine vive) d’Ayn Rand

 © Jan Versweyveld

© Jan Versweyveld

The Fountainhead (La Fontaine vive) d’Ayn Rand, traduction de Jan van Rheensen et Erica van Rijsewk, adaptation de Koen Tachel, dramaturgie de Peter van Kraaij,  mise en scène d’Ivo van Hove (en néerlandais sur-titré en français)

 Née Alissa Zinovievna Rosenbaum en 1905 à Saint-Petersbourg, et morte en 1982 à New York, l’écrivaine arrive aux Etats-Unis à 21 ans, avec sa famille, à la suite de la Révolution d’Octobre. Philosophe rationaliste, foncièrement de droite, elle a écrit de nombreux essais sur la pensée libérale,  la propriété, la justice sociale, la notion d’Etat  et de liberté. Elle est aussi  l’auteur de romans comme La Grève, La Source vive et Nous les vivants, encore très lus aux États-Unis. Et de nombreux scénarios pour le cinéma, dont  plusieurs adaptations de ses romans. King Vidor avait réalisé en 1949, Le Rebelle d’après Fountainhead avec Gary Cooper dans le rôle d’Howard  Roark. Mais Ivo van Hove n’a pas voulu, dit-il, voir le film avant de créer  son spectacle. Ayn Rand prône ici, comme dans toute son œuvre, le mérite personnel, en plaçant, sur le plan éthique, l’individu au centre de la société.

Viscéralement anti-communiste et opposée à toute forme de collectivisme, elle souhaite le laisser-faire en termes d’économie; athée, elle veut favoriser l’«égoïsme rationnel». Bref, on l’aura compris, elle ne croit guère à la solidarité mais à l’échange de travail, par un libre consentement mutuel. Et désolé, ce The Fountainhead (1943) qui connut un grand succès aux Etats-Unis, et dont le titre fait référence à une phrase radicale d’Ayn Rand : «L’ego de l’Homme est la source vive du progrès humain», a quelque chose de profondément réactionnaire, et on peut se demander si Ivo van Hove en a vraiment pris conscience…

Comme dans le roman, il y ici quatre parties donc chacune porte le titre le nom d’un des principaux personnages masculins : Peter Keating,  Ellsworth M. Toohey, Gail Wyn et  Howard Roark. Mais… pas celui de la femme au centre de l’histoire, Dominique Francon. Dans cette galerie de personnages imaginés par Ayn Rand, et repris par Ivo van Hove, il y a donc Peter Keating, un architecte solide, mais capable de transiger afin d’obtenir des commandes et vivre confortablement; il accepte donc un certain conformisme dans la création et reste aussi  sous l’influence de sa mère  soucieuse de le voir arriver. Il travaille pour Guy Francon, un architecte aux réalisations classiques, père de Dominique, très séduisante, qui le drague ouvertement. Alors qu’il a déjà une vieille liaison avec Katie, la nièce d’Ellsworth Toohey, un critique d’architecture, à qui il a promis de l’épouser.
Peter  l’abandonnera sans aucun d’état d’âme pour épouser Dominique. Un plan plus utile pour lui : il atteindra vite une rapide mais éphémère célébrité.
Cette Dominique, magnifique jeune femme brune-escarpins et robe noire fendue- une bombe sexuelle, qui couche avec un peu tout le monde, mais froidement et avec une conscience absolue de son influence, quand il faut favoriser les commandes architecturales de ses amants ou maris.
Elle  divorcera d’Howard Roark, puis épousera Gail Wynand, un grand patron issu d’un milieu très pauvre, qui a réussi à créer un empire financier fondé sur la presse populaire à grands tirages, et sur l’immobilier. Il a une haute idée de lui-même et un goût certain pour le pouvoir. Absolument cynique, au début du moins, il n’a guère de scrupules à publier les articles que ses lecteurs attendent, donc en tirant  ses journaux vers le bas plutôt que vers le haut. Il sait que ses journalistes ont durement attaqué Howard Roark qu’il va rencontrer mais, miracle, ils se lient d’une certaine amitié. Mais Dominique le quittera et, à la fin, il se suicidera d’un coup de revolver.

On le voit l’écrivaine ne fait pas vraiment dans la dentelle, quand il lui faut construire un scénario et imaginer des personnages ! De la version originale de ce roman de 687 pages , Ivo van Hove a  tiré un texte qui en fait à peine le quart; «Globalement, dit-il, nous avons été loyaux en privilégiant le thème de la création  artistique et nous n’avons ajouté aucun texte. (…)Le roman pose la question essentielle du rapport entre art et argent. »Jusqu’où va le pouvoir du créateur ? Un sculpteur contemporain  se moquait un jour de ces architectes qui se croient obligés d’obéir à un client, s’il veut une baignoire au milieu de sa chambre ! » Ancien et insoluble débat, y compris et surtout quand il s’agit de rénovation de bâtiments anciens. Alors que les critiques et spécialistes de l’architecture préfèrent souvent des immeubles moins géniaux mais plus fonctionnels.

Mais  Ivo van Hove essaye de comprendre la position de Peter Keating  : «L’art doit-il accepter de s’impliquer dans la vie de tous les jours ? L’artiste doit-il être isolé ? Comment survivre en faisant des productions artistiques à l’intérieur du système ? »  Le metteur en scène  s’interroge sur une indispensable éthique de l’architecte et sur une certaine fracture-déjà!-entre la pensée des élites politiques et artistiques, et la population. Mais ces discussions, même menées par d’excellents comédiens, très estouffadou, sonnent parfois un peu faux. Comment en effet faire passer les idées essentielles d’un roman, en l’adaptant.
Et là, Ivan van Hove n’a trop réussi son coup.
Tout se passe comme  il  avait voulu ici se faire plaisir, sans trop se préoccuper du public qui finit par sommeiller doucement. Si bien que l’on ressort de là, peu convaincu par sa mise en scène, même si sur le plan technique elle est d’une rare qualité. A part l’arrivée d’une grosse rotative que les régisseurs ont du mal à faire entrer sur le plateau vu son poids et qui ne sert pas à grand-chose…
Sans doute était-ce mission impossible de garder le scénario et les principaux personnages de ce très long roman souvent assez conventionnel, sur une durée de temps limitée qui paraît quand même interminable, surtout dans la seconde partie.

Mais il y a, comme toujours chez Ivan van Hove, une scénographie-ici, très réaliste et sans doute assez coûteuse!-et des lumières tout à fait remarquables signées Peter van Kraaij qui a conçu un grand loft au plancher à larges lattes de bois, éclairées par une baie vitrée, avec de grandes tables d’architecte-on n’en est pas encore aux écrans d’ordinateur-et sur roues folles, probable clin d’œil au design contemporain… Mais il y aussi des téléphones noirs à cadran et une machine à écrire Facit gris pour faire années 50. Et derrière, toute une panoplie de magnétophones verticaux sur des tables, un grand xylophone et des consoles numériques, la musique étant jouée en direct. Côté cour, une baie à vitres verticales étroites d’atelier d’autrefois que l’on redécouvre aujourd’hui.

Direction d’acteurs d’Ivo van Hove comme toujours exemplaire et le quatuor des principaux personnages se révèle être ici exceptionnel de vérité.Mais dans cette adaptation scénique, le texte est vraiment souvent  d’une qualité médiocre, malgré quelques beaux dialogues. «Collection Harlequin, pas plus », disait, fielleusement, une chère consœur !
Nous n’irons peut-être pas jusque là mais ce gros roman n’a rien de très passionnant, même si ce fut un succès des années quarante! Avec de longues, trop longues! considérations esthético-philosophico-sociologiques  sur le mode  mineur que le metteur en scène aurait pu nous épargner Et ce texte n’a rien des qualités que l’on attendrait d’un dialogue théâtral (toujours cette difficulté récurrente de passer de la narration romanesque à la vie scénique ! Et on est loin ici de ces grands dramaturges comme Eugène O’Neil ou Arthur Miller avec Vu du pont que le metteur en scène avait montés de façon remarquable. (voir Le Théâtre du Blog).

A écouter Ivo van Hove aux Lundis de l’Odéon, The Fountainhead participait d’un chef-d’œuvre absolu et on allait voir ce que l’on allait voir… Eh! bien non, et nous avons parfois l’impression de retrouver le ton de certaines séries télé! Et  nous nous serions bien passés de ces considérations bavardes sur le capitalisme et le génie d’un architecte, et de cette longue tirade finale à la sauce pseudo-nietzschéenne sur le pouvoir de l’artiste créateur.

Autant Ivo van Hove maîtrise parfaitement l’espace de plusieurs dizaines de m2-et il l’a déjà prouvé-autant ici, il peine avec le tempo. Il nous dira sans doute qu’il n’a pas pu faire autrement, quand il s’agit d’une saga comme celle-ci; mais rien ne l’a obligé à le monter et  tout se passe comme s’il avait voulu se faire plaisir : pourquoi faire court quand on a le droit de faire long, voire très long Et surtout, pour dire quoi… On sentait, après un entracte bienvenu, le public déjà assez las. Reste, très bien dirigés par Ivo van Hove, une équipe de solides acteurs, qui donnent à leurs  personnages une exceptionnelle vérité, en particulier: Halina Reijn (Dominique) brillantissime, Aus Greidanus jr. (Peter Keating), Ramsey Nasr (Howard Roark), Jans Kesting (Gail Wynand) et Bart Slegers (Ellsworth Toohey). Et cela, malgré les micros HF, et malgré l’indispensable sous-titrage. Alors, faut-il aller voir ce The Fountainhead un peu hors-normes? Une scénographie et une direction d’acteurs des plus remarquables mais un texte bavard et décevant, malgré quelques beaux dialogues. C’est toute la structure même du spectacle qu’il faudrait revoir donc impossible… Vous voilà, prévenus mais si vous avez adoré Vu du Pont, vous serez déçu. A vous donc de voir si vous avez envie de tenter l’expérience.

 Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier, Paris (17 ème) jusqu’au 17 novembre. Le roman, traduction de Jeanne Fillion, est édité chez Plon.

Mary Stuart, mise en scène d’Ivo van Hove sera présenté du 26 au 28 mars, au Festival Exit  à la Maison des arts de Créteil.

 

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Beyond, conception et mise en scène d’Yaron Lifschitz

Beyond,conception et mise en scène d’Yaron Lifschitz

 IMG_0480Une main, un pied, franchissent le rideau rouge éclairés par une poursuite. Un corps se risque à l’avant-scène, poupée de caoutchouc, une jeune femme s’exhibe. Dans cette ambiance de cabaret, sur la musique du film New York New York entre une troupe de joyeux drilles, avec des têtes de lapins en peluche. Un voix off annonce : « Il y a une frontière entre l’humain et l’animal, entre la folie et la raison, entre la logique et les rêves… Nous vous invitons à dépasser cette frontière… et à aller au-delà.»

 Suivant le Lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, sept acrobates dont les numéros s’enchaînent avec grâce, nous entraînent dans un monde onirique, ce qui donne une  belle unité au spectacle. Lors de joyeuses scènes de groupe savamment réglées, les artistes s’escaladent, se bousculent, tombent et se relèvent, avec une précision et une maîtrise de l’espace absolues.
  Ils s’amusent à nous faire rire, comme dans la partie de Rubik’s Cube sur lequel une jeune femme s’acharne, tandis que ses partenaires la chahutent, s’accrochent à elle, lui montent sur les épaules… Elle y réussira malgré tout.

 Théâtre dans le théâtre, des alcôves garnies de pendrillons rouges donnent aux solos un caractère plus intime. On applaudit cette athlète qui grimpe le long d’un rideau noir  qui lui servira d’agrès. Elle s’y love, s’y enroule avec une grâce infinie, dessine des arabesques et risque de grands écarts.
 On succombera aussi au charme d’une petite trapéziste qui se livre à une danse aux sept cerceaux. Et l’on rira à ce moment un peu coquin où elle doit, en se contorsionnant, se glisser dans une raquette de tennis sans cordes, malgré des formes très féminines…
Ces acrobates australiens de haut niveau évoluent dans un monde poétique et ludique où l’on parodie des animaux: un ours géant entraînera toute la troupe dans une époustouflante démonstration de mât chinois… Glorieux final !

 Maître du jeu, Yaron Lifschitz  a su préserver la personnalité de chacun: « Je pars des artistes, d’idées et d’une musique intérieure, dit-il. Ensuite, je fais des essais et je construis des propositions. (…) Je regarde les processus mis en place pour en arriver là, et généralement à ce moment-là, des structures et des parcours apparaissent. Tous les spectacles de la compagnie sont organiques, des motifs s’assemblent et des personnes refont surface… ». Le metteur en scène aurait pu quand même apporter plus de soin à la bande-son musicale : il se contente ici de peu…
Mais la qualité des numéros, l’humour, la bonne humeur et la générosité des artistes, emportent l’adhésion du public. A voir en famille.

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris jusqu’au 27 novembre : Le Carreau de Forbach (17) les 29 et 30 novembre ; Wolubilis à Bruxelles du 1 er au 3 décembre ; Odyssud  à Blagnac (31), du 6 au 10 décembre ; Théâtre de l’Olivier à Istres (13), le 13 décembre ; Théâtre de Nîmes (30), du 15 au 17 décembre.
La Fleuriaye de Carquefou (44), les 10 et 11 janvier ; Maison de la Culture d’Amiens, les 13 et 14 janvier  (80) ; Le Pin galant  à Mérignac (33), du 20 au 22 janvier ;  Le Radiant  à Caluire (69), les 24 et 25 janvier ; Le Colisée  de Roubaix (59), les 27 et 28 janvier.

 

Monologue du nous de Bernard Noël

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Monologue du nous, de Bernard Noël, mise en scène de Charles Tordjman

 Bernard Noël est un poète. Il ne travaille donc pas dans le joli, mais cherche, jusqu’au bout, le vrai, l’exactitude du regard et de l’écriture. La beauté naît de cette attention extrême au monde, jusqu’à toucher le point sensible de ses douleurs, révoltes, misères, hontes, ce qui n’exclut ni la joie ni la liberté.
Dans ce Monologue du nous, il vise deux de ces points. Le «nous» existe-t-il encore en ces temps, où l’on tambourine d’autant plus un «vivre ensemble» qu’il disparaît «dans les eaux glacées du calcul égoïste » (Manifeste du parti communiste de Karl Marx) ? Où est le commun, la commune ?
Autre point : la question de la violence : comment monte-t-elle, s’alimente, jusqu’au désespoir, la plus grande force négative qui soit. Bernard Noël inscrit sa fiction (parue  en 2014, donc antérieur aux attentats de Charlie et du 13 novembre dernier), dans les années noires, au temps des Brigades rouges en Italie, de la Fraction Armée rouge en Allemagne, et, en France, d’Action directe.

Assassinats de dirigeants économiques puissants, banquiers ou patrons d’entreprises mondiale : la violence se veut ciblée, pour le bien de la communauté… Jusqu’à faire tache d’huile : avec des groupes activistes bien cloisonnés, mais l’action s’émiette, échappe au noyau initial –le « nous » qui s’adresse ici au public-.
La récupération d’un premier assassinant presque accidentel finit par conduire, de proche en proche, à l’attentat aveugle qui dépasse et anéantit tout projet, et qui rend absurde le sacrifice. La violence peut-elle être légitime ? Bernard Noël nous laisse à notre propre réponse, ou à notre interrogation.

Il ne condamne ni ne sacralise la violence mais en analyse en profondeur les ressorts et le moteur. Et l’avancée implacable de son analyse qui suit, pas à pas, la montée de la violence, a une grande force dramatique. Les quatre filles qui incarnent ce chemin -jamais en dialogue entre elles, mais prenant le relais de la parole, la communication entre elles passant par le spectateur-, sont devant nous comme autant d’Antigones, d’Electres et  de Cassandres. Autant de noms d’héroïnes seules contre tous qui ne devraient pas se décliner au pluriel et qui est pourtant ici une évidence :  ce Monologue du nous,est  leur “commun“.

Sous une fragile cathédrale de bois à claire-voie, Elissa Alloula, Loulou Hansen, Celine Carrère, et Sophie Rodrigues, exemplaires, portent, avec une parfaite rigueur et  l’énergie du défi, cette cérémonie des adieux.
Créée dans une ancienne chapelle à Béziers, cette marche «jusqu’au bout», dans la droite ligne que Charles Tordjman leur indique, chacune est également forte et responsable .

Un spectacle exigeant qui serait presque sévère sans la vitalité et l’intelligence des comédiennes, sans le pari réussi du metteur en scène de faire jouer l’une sur l’autre, l’émotion et l’analyse. À voir d’urgence.

Christine Friedel

Maison des Métallos, 75011 Paris, jusqu’au 13 novembre. Métro Parmentier. T: 01 48 05 88 27, le samedi à 19h et le dimanche à 16h.

 

 

 

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Finir en beauté de et par Mohamed el Khatib

Finir en beauté, de et par Mohamed el Khatib
9096495-14470421Créée en 2014 au festival Actoral à Marseille, puis invitée par Arthur Nauziciel  à Orléans, reprise l’an passé dans le off d’Avignon, Finir en beauté est la troisième pièce de cet auteur franco-marocain de 35 ans qui a vécu toute son enfance à Beaugency.
Il a fait Science-Po à Rennes,  a vécu un temps à Mexico où il étudié la géographie,   et  a  soutenu une thèse en sociologie sur la critique dans la presse, et a été conseiller théâtre et danse à la DRAC en Haute-Normandie. Bref, un parcours un peu atypique.

Ici, il raconte, étant lui-même son propre interprète, la mort de sa mère en 2012, atteinte d’un cancer du foie, à l’hôpital d’Orléans, dans une unité de soins palliatifs. Il a obtenu l’autorisation de la filmer et sa mère avait accepté.
Une de ses trois sœurs n’était pas d’accord mais il a attendu qu’elle parte pour le faire.
Sur scène, une caisse à roulettes dite « flyer-case » avec un grand écran, et une autre avec quelques livres, un petit chapelet musulman, quelques livres et une grosse caméra. Sur l’écran qui reste noir, on voit défiler les paroles qu’on entend mais pas très bien, celle de sa mère et celle aussi des médecins qui essayent de lui rendre sa fin de vie supportable.Elle aurait dû se soigner, il y a une vingtaine d’années: elle ne l’a pas fait, et maintenant  la famille va apprendre que c’est une question de semaines, voire de jours:  elle va mourir. On ne verra jamais son  corps, sauf très vite sur son lit de mort.
Mohamed El Khatib raconte cette fin dramatique puis son enterrement au Maroc-dont on voit quelques images-avec les complications administratives pour le transport du corps. mais tout cela sans aucun pathos, avec une grande économie de moyens et un humour des plus caustiques.
Il nous fait ainsi entendre, enregistré sur son portable, un petit orchestre de trompettes qui, au cimetière, joue lamentablement faux, puis très juste… après que son oncle soit allé glisser un billet à leur chef. Il nous raconte aussi comment l’iman récite les sourates du Coran tenu de la main droite, tandis qu’il envoie un SMS de l’autre…
Nous nous retrouvons tous, dans cette confrontation avec la mort d’un proche, surtout quand il se met à poser des questions comme cette mère: «Pas d’opération, ni rien ? – Non, rien. Ils ne peuvent plus rien faire.» Phrase terrible, avec une variante aussi terrible-que nous avons entendue de la bouche d’un très proche, allongé dans son bain, le regard fixe, quelques jours avant sa mort: « Le médecin m’a dit hier qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour moi »!
Entre fiction théâtrale et autobiographie en forme de documentaire, le spectacle qui n’en est pas vraiment un et qui vaut sans doute plus par la présence effective de son auteur, plus que par une  mise en scène parfois assez conventionnelle, mais bon, l’essentiel du livre avec sa vérité juste et crue, est bien là…
Dans cet exorcisme très intime, l’auteur évoque, en à peine une heure, son deuil et celui de sa famille marocaine, et élève un « monumentum » à sa mère, quelques années après sa disparition. Avec une grande dignité mais aussi-sinon cela ne passerait pas- avec quelques phrases très drôles. Cela dit, la pièce méritait-elle vraiment le Grand prix de littérature dramatique? Dans sa forme, elle reste un peu décevante, et le thème aurait mérité une construction  plus solide.
A la fin, l’auteur-metteur en scène distribue de l’acte de décès au public (mais on n’en voit pas bien la nécessité!) et il y a la projection d’une très belle photo de cette mère adorée.
Mohamed El Khatib- et c’est bien ainsi-ne reviendra pas saluer. Profond silence et réelle émotion dans le public…

Philippe du Vignal

Monfort, Paris XVème, jusqu’au 26 novembre.Le texte de cette pièce est publié aux Solitaires intempestifs, 11 €.

 

 

Doreen Autour de la Lettre à D.

 Doreen Autour de la Lettre à D. d’André Gorz, texte et mise en scène de David Geselson

 

7d95f16f64André Gorz s’est donné la mort, avec sa femme, le 24 septembre 2007, dans leur maison à Vosnon (Aube). Lettre à D. Histoire d’un amour (2006), ultime confession amoureuse de l’époux, lui était destinée à elle, condamnée par la maladie.
Le philosophe et militant fait retour dans Lettre à D. sur Le Traître (1955), une autobiographie sur ses errances initiales, qu’articule une réflexion sociale, économique et politique dans la critique du modèle de la société capitaliste. Il était aussi
journaliste au Nouvel Observateur et écrivait sur l’économie sociale, les revenus minima, la productivité, la durée du travail, la décroissance, et pense l’Écologie politique.

 Tous les deux, ils vont découvrir aux États-Unis une contre-société d’«existentialistes » décidés à changer de vie- ensemble autrement-dans la mise en pratique d’alternatives. Les idées d’autogestion et de refonte des techniques de production font leur chemin. Toutefois, Le Traitre n’évoque ni conversion existentielle ni découverte à deux de l’amour, ce que regrette profondément l’auteur, qui reconnaît, une fois le livre paru : « Tu as tout donné de toi pour m’aider à devenir moi-même. »

 L’adaptation scénique de Doreen par David Geselson participe de l’histoire intime du couple mythique avec la réinvention d’un amour à deux : l’amant avoue à l’aimée qu’il lui doit la vie, alors qu’elle est elle-même rattrapée par la mort.
L’écrivain revient sur leur passé à tous les deux, ses manquements à lui et son égoïsme : « Sais-tu que tu ne m’as pas dit un mot depuis trois jours ?» remarque Doreen.
«Ta vie, c’est d’écrire. Alors écris», dit généreusement celle qui travaille à mettre à jour la documentation utile à l’activité professionnelle de son compagnon.

 Doreen irradie naturellement une confiance et une assurance qui suscitent en échange l’humeur sombre du philosophe tourmenté: elle est comparable aux hirondelles dansant dans le ciel : « Que de liberté pour si peu de responsabilité ! »
Ils se réfugient en fin de semaine à la campagne pour goûter la nature: «Nous faisions par tous les temps des promenades de deux heures… tu m’as appris à regarder et à aimer les champs, les bois et les animaux…», note l’amoureux ému.
Ainsi débute la Lettre à D. : «Tu viens juste d’avoir quatre-vingt-deux ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais… Je guette ton souffle, ma main t’effleure. Nous aimerions chacun, ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre »

 Le public est convié à entrer dans le salon de la maison du couple ; sur une table, des bouteilles de vin et d’orangeade invitent les spectateurs à boire un verre.  Les hôtes de cette soirée particulière engagent chacun à lire la Lettre à D.
Ambiance tamisée et cosy, jolis luminaires et bibliothèque-bureau des années cinquante, avec écritoire, buvards et stylo-plume, fenêtres et miroirs et petites surfaces géométriques d’écran où défilent des détails de paysages: branches et feuilles tremblant sous le vent, image de Beatriz Allende, filmée à La Moneda de Santiago du Chili, le 11 septembre 1973… Quatre ans après l‘assassinat ou le suicide de son père, la fille de Salvador Allende se donna la mort à Cuba.

Sur la scène, nous sommes en septembre 2007, avant le suicide des époux. Laure Mathis et David Geselson sont admirables, pleinement radieux, dans la lumière de l’amour infini que recèle leur personnage. À l’écoute, et souriante, Doreen se moque, vibrante d’émotion, entre rires et larmes. Élégante, l’interprète garde une présence intense qu’elle contrôle avec tact. Et l’acteur-metteur en scène pressent la mort à venir et n’en finit pas de vouloir s’entretenir avec celle qu’il aime et dont il est aimé.

Un duo de tendresse ludique et d’amour, dont le feu ne saurait se consumer.

Véronique Hotte

Spectacle vu au Théâtre de Vanves (Hauts-de-Seine), Scène conventionnée pour la danse, salle Panopée, le 5 novembre.
Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette 75011 Paris, du 13 au 24 mars.

Le texte de la pièce est paru aux Éditions Galilée.

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Il faut toujours viser à la tête

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Il faut toujours viser à la tête, «comédie-délire» texte et mise en scène d’Emile Salimov

Cet auteur, metteur en scène, scénographe et pédagogue originaire d’Azerbaïdjan, que nous connaissons depuis une quinzaine d’années, s’est toujours beaucoup intéressé à la bio-mécanique de Vsevolod Meyerhold sur laquelle il a fondé les principes de son enseignement. Il a une passion pour le théâtre d’Eugène Ionesco  et a été le premier à monter en Russie, à Moscou La Cantatrice chauve en 1987!
Il travaille  à Paris depuis longtemps et présente des spectacles que l’on pourrait qualifier «de recherche» (mais le plus souvent joués dans des lieux périphériques mais parfois aussi au Rond-Point et au Studio des Champs-Elysées) et à des horaires inhabituels, comme celui-ci, uniquement le dimanche, et à 17h…

Il se trouvait, dans cette salle difficile du Clavel quatorze spectateurs à avoir tenté hier l’aventure. Paris reste une ville étonnante quant à ses propositions théâtrales!
Sur scène, une très belle scénographie avec une grande toile peinte d’inspiration cubiste, évoquant des champs bien entretenus avec, dans le fond, une petite église. Et au sol, des rangées de fleurs rouges piquées dans une pelouse synthétique vert acide!
Cela commence avec une conversation entre deux  inconnus, en costumes déjantés et chapeau melon, lisant sur un banc de square orange, l’un La Voix du Nord et l’autre La Voix du Sud ! et se liant d’amitié. Côté jardin, un poteau d’arrêt de bus, lui aussi orange et bleu.
Arriveront ensuite et successivement, une jeune femme avec un couteau planté dans le ventre et couverte de sang, une dame en robe bleue à volants jaunes, et sa fille en robe rouge à volants de même couleur, et enfin le mari et père qui mourra sur scène, assassiné par un truand. La fille, elle, reviendra plus tard, bien enceinte, avec plusieurs couteaux dans le ventre et une hache plantée dans le dos. Et elle  accouchera d’un bébé épargné par les couteaux…

« J’ai eu envie de créer un spectacle visuel, dit Emile Salimov, avec des tableaux vivants, remplis de couleur et de mouvement. Un spectacle plein de situations drôles et tragiques, moqueuses et pathétiques, grotesques et poétiques ». On pense bien sûr à au spectacles de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, mais surtout aux merveilleux six clowns-acteurs de Seminyaki (ex Licedei), cette formidable compagnie russe (voir Le Théâtre du Blog).

La mise en scène est d’une rare  précision, et Emile Salimov dirige remarquablement ses acteurs (six comme les Seminyaki !) qui enchaînent des gags très gestuels rappellant souvent ceux de Buster Keaton et du cinéma muet en général.
Il y a des pauses entre les tableaux où on entend de merveilleux chants d’oiseaux. Il y a aussi parfois, en accompagnement, mais en décalage total, des extraits d’opéra ou des célèbres chants de l’Armée rouge. Le Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche et l’univers de Samuel Beckett, avec ses personnages hors-normes ne sont jamais très loin, comme la poésie d’Anton Tchekov qui écrivait dans Oncle Vania: «Les vivants ferment les yeux des morts mais les morts ouvrent les yeux des vivants ».
La pièce se terminera par une série de coups de revolver, avec mort du père et de la mère. Bref, le sang aura beaucoup coulé dans cette « comédie-délire ». Mais ces tristes et joyeux lurons repartiront tous, morts et vivants confondus, à bord d’un car.
Et cela fonctionne ? Après un début un peu longuet comme chez les  Licedei,  Il faut toujours viser à la tête, très bien joué par Jérôme Cusin, Thierry Ferrari, Aurélia Aimé, Virginie Pettenati, Lauren Deguitre-quelle intelligence pour jouer ainsi les jeunes idiotes !- et Daniel Lauer, monte en pression et possède un charme certain, notamment sur le plan visuel, lui aussi d’une rare sensibilité : mention spéciale  aux accessoires, costumes et maquillages, eux aussi véritables gags visuels que l’on ne se lasse pas de regarder. Ce qui est assez rare sur les scènes françaises et en parfaite harmonie avec le jeu des comédiens.
Voilà pour les fleurs.

Alors des réserves, du Vignal ? Oui, bien sûr ! Comme dirait notre amie Edith Rappoport, tout spectacle a souvent vingt minutes de trop. Et celui-ci, très bien rythmé mais trop long, mériterait d’être sérieusement élagué : il faudrait donc qu’Emile Salimov s’offre un bon sécateur et resserre aussi d’urgence les boulons… Cela augmenterait, à coup sûr, la qualité burlesque de sa « comédie-délire ».
Mais un spectacle comique comme celui-ci, fondé surtout sur les situations et donc encore fragile, ne peut progresser, malgré de grandes qualités, que s’il est joué tous les jours ou presque, et aps seulement le dimanche!
En tout cas, il mériterait d’avoir les honneurs d’une programmation quotidienne sur une scène et dans une salle correctes. Avis aux directeurs de salles, programmateurs et professionnels de la profession! Le théâtre contemporain, mis à part les solos d’acteurs et actrices comiques… qui ne le sont pas toujours, n’abonde pas en effet en spectacles burlesques!

Philippe du Vignal

Théâtre Clavel, 3 rue Clavel 75019 Paris, tous les dimanches à 17 h. Métro Pyrénées.T : 07 87 11 56 77.

 

 

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