Walpurg-Tragédie, d’après Stanislaw Ignacy Witkiewicz

Walpurg-Tragédie, d’après Stanislaw Ignacy Witkiewicz, mise en scène de Jessica Dalle

 151659-walpurg-tragedie_hd08_jessica-dalle-1Dramaturge, essayiste, romancier et peintre polonais, Witkiewicz, dit Witkacy (1885-1939) aura marqué le théâtre du XXème siècle par ses travaux sur la «forme pure », devançant Antonin Artaud et  ce qu’on appellera le « théâtre de l’absurde »…       

Précurseur  il aura souvent, à travers de nouvelles formes de dramaturgie et de mise en scène, traduit le mystère de l’être, et mis au jour les forces vivantes-irréductibles et désordonnées- constitutives de toute existence : «Il faut prendre la vie par morceaux, et dans chaque fragment, se dissimule l’infini. » Ni réalisme ni psychologie n’influent sur son théâtre qu’il considère  comme un spectacle composé d’éléments visuels, sonores, gestuels et conceptuels, fondateurs de la création scénique. Cet artiste provocateur écrit Le Fou et la Nonne en 1923 et La Mère en 1924, pièces que la jeune metteuse en scène, Jessica Dalle, adapte avec un même regard : celui d’un enfermement et les moyens d’en sortir.«Ce qui nous attend, c’est l’épouvantable ennui d’une vie mécanisée sans âme … Les gens de l’avenir ne ressentiront pas le mystère de l’existence, ils n’auront pas le temps … Pourquoi donc vivront-ils ? Ils travailleront pour manger et mangeront pour travailler», écrit  l’écrivain, dans une lettre à son père.

Les deux pièces mettent en jeu les cellules familiale, sociale et intérieure, lieux de perdition existentielle et insaisissable. Dans Le Fou et la nonne, la cellule intérieure est une prison sous morphine dans un espace onirique – rêve et imaginaire- où Walpurg, le fou, un double du poète, essaye en vain de mettre en ordre un monde fantasmé,  refuge illusoire. Jean-Baptiste Tur ,dans le rôle du déraisonnable, a des airs de jeunesse romantique d’aujourd’hui, comme l’acteur Vincent Macaigne, dansant et tournant sur lui-même, recroquevillé sur un petit plateau de théâtre dans le théâtre, serré dans  une camisole de force, et narrant la fragilité des espérances, comme la pesanteur des désenchantements.

Il avance sur le proscénium et nous interpelle, en voulant instaurer un dialogue impossible. Sûr de ses convictions et d’une vision du monde brinquebalée  où se bousculent les images de la mort et de la vie, il fait preuve d’une éloquence à tout crin, à travers des discours obscurs et largement diffractés.
Le héros tente, tant bien que mal, de suivre son chemin, entre le désir premier d’écrire et la présence poétique à ses côtés de Sœur Anne l’aimée, la facétieuse Edith Proust au voile blanc de nonne qui vient dans la salle, et qui nous souffle  un peu provocante, le mot «morphine» en souriant. Patiente avec son amant malade, elle refuse aussi ce qu’il exige.

Dans La Mère, Bernadette Le Saché, persuasive, reste le plus souvent juchée sur un piédestal dans le lointain, d’où elle domine les scènes successives, invectivant ce fils qui n’en fait qu’à sa tête. Soutenue par la création musicale-singulière et efficace de Thomas Dalle-un univers sonore à part entière-la scénographie de Jessica Dalle est magnifique, faisant la part belle à l’ombre et à l’obscurité que les lumières de Jean-Marc François révèlent; çà  et là, des planches de bois verni, posées verticalement  qui rappellent celles d’un cercueil, retiennent des volumes de terre noire friable.
Et des fleurs en pagaïe, amas de pétales et tiges vertes et rouges glissent des planches de bois verni sur le sol, évoquant une sorte de jungle tropicale vive et généreuse, ressources ultimes du vivant.

 Est-ce une évocation du suicide de la première femme de l’écrivain qui organisa une mise en scène macabre à l’intérieur d’une voiture remplie de fleurs ? Ou une installation  qui rappelle  celui de l’auteur, désespéré par le nazisme ? Sa compagne d’alors rate leur suicide à deux, et lui survivra. Jesssica Dalle nous donne à entendre  sa lettre.

La vidéo de Violette Stehli distille sur un écran incliné en hauteur, la respiration vivante d’un ciel bleu qu’embarrasse le passage des nuages. On est rivé à cette fresque naturelle, souffle puissant du temps qui passe, devant laquelle les comédiens jouent un théâtre d’ombres.
Le spectacle aurait été pleinement convaincant, si l’aventure des deux amants sur la scène avait été tissée avec plus de rigueur, et non livrée, comme au hasard, à l’inspiration musicale du moment, sans articulation ni tissage vraiment préparés. Une installation colorée, sombre et lumineuse, aux performeurs un peu égarés…

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité internationale, Paris 13 ème, jusqu’ au 13 décembre. T : 01 43 13 50 50.


Archive pour 6 décembre, 2016

Walpurg-Tragédie, d’après Stanislaw Ignacy Witkiewicz

Walpurg-Tragédie, d’après Stanislaw Ignacy Witkiewicz, mise en scène de Jessica Dalle

 151659-walpurg-tragedie_hd08_jessica-dalle-1Dramaturge, essayiste, romancier et peintre polonais, Witkiewicz, dit Witkacy (1885-1939) aura marqué le théâtre du XXème siècle par ses travaux sur la «forme pure », devançant Antonin Artaud et  ce qu’on appellera le « théâtre de l’absurde »…       

Précurseur  il aura souvent, à travers de nouvelles formes de dramaturgie et de mise en scène, traduit le mystère de l’être, et mis au jour les forces vivantes-irréductibles et désordonnées- constitutives de toute existence : «Il faut prendre la vie par morceaux, et dans chaque fragment, se dissimule l’infini. » Ni réalisme ni psychologie n’influent sur son théâtre qu’il considère  comme un spectacle composé d’éléments visuels, sonores, gestuels et conceptuels, fondateurs de la création scénique. Cet artiste provocateur écrit Le Fou et la Nonne en 1923 et La Mère en 1924, pièces que la jeune metteuse en scène, Jessica Dalle, adapte avec un même regard : celui d’un enfermement et les moyens d’en sortir.«Ce qui nous attend, c’est l’épouvantable ennui d’une vie mécanisée sans âme … Les gens de l’avenir ne ressentiront pas le mystère de l’existence, ils n’auront pas le temps … Pourquoi donc vivront-ils ? Ils travailleront pour manger et mangeront pour travailler», écrit  l’écrivain, dans une lettre à son père.

Les deux pièces mettent en jeu les cellules familiale, sociale et intérieure, lieux de perdition existentielle et insaisissable. Dans Le Fou et la nonne, la cellule intérieure est une prison sous morphine dans un espace onirique – rêve et imaginaire- où Walpurg, le fou, un double du poète, essaye en vain de mettre en ordre un monde fantasmé,  refuge illusoire. Jean-Baptiste Tur ,dans le rôle du déraisonnable, a des airs de jeunesse romantique d’aujourd’hui, comme l’acteur Vincent Macaigne, dansant et tournant sur lui-même, recroquevillé sur un petit plateau de théâtre dans le théâtre, serré dans  une camisole de force, et narrant la fragilité des espérances, comme la pesanteur des désenchantements.

Il avance sur le proscénium et nous interpelle, en voulant instaurer un dialogue impossible. Sûr de ses convictions et d’une vision du monde brinquebalée  où se bousculent les images de la mort et de la vie, il fait preuve d’une éloquence à tout crin, à travers des discours obscurs et largement diffractés.
Le héros tente, tant bien que mal, de suivre son chemin, entre le désir premier d’écrire et la présence poétique à ses côtés de Sœur Anne l’aimée, la facétieuse Edith Proust au voile blanc de nonne qui vient dans la salle, et qui nous souffle  un peu provocante, le mot «morphine» en souriant. Patiente avec son amant malade, elle refuse aussi ce qu’il exige.

Dans La Mère, Bernadette Le Saché, persuasive, reste le plus souvent juchée sur un piédestal dans le lointain, d’où elle domine les scènes successives, invectivant ce fils qui n’en fait qu’à sa tête. Soutenue par la création musicale-singulière et efficace de Thomas Dalle-un univers sonore à part entière-la scénographie de Jessica Dalle est magnifique, faisant la part belle à l’ombre et à l’obscurité que les lumières de Jean-Marc François révèlent; çà  et là, des planches de bois verni, posées verticalement  qui rappellent celles d’un cercueil, retiennent des volumes de terre noire friable.
Et des fleurs en pagaïe, amas de pétales et tiges vertes et rouges glissent des planches de bois verni sur le sol, évoquant une sorte de jungle tropicale vive et généreuse, ressources ultimes du vivant.

 Est-ce une évocation du suicide de la première femme de l’écrivain qui organisa une mise en scène macabre à l’intérieur d’une voiture remplie de fleurs ? Ou une installation  qui rappelle  celui de l’auteur, désespéré par le nazisme ? Sa compagne d’alors rate leur suicide à deux, et lui survivra. Jesssica Dalle nous donne à entendre  sa lettre.

La vidéo de Violette Stehli distille sur un écran incliné en hauteur, la respiration vivante d’un ciel bleu qu’embarrasse le passage des nuages. On est rivé à cette fresque naturelle, souffle puissant du temps qui passe, devant laquelle les comédiens jouent un théâtre d’ombres.
Le spectacle aurait été pleinement convaincant, si l’aventure des deux amants sur la scène avait été tissée avec plus de rigueur, et non livrée, comme au hasard, à l’inspiration musicale du moment, sans articulation ni tissage vraiment préparés. Une installation colorée, sombre et lumineuse, aux performeurs un peu égarés…

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité internationale, Paris 13 ème, jusqu’ au 13 décembre. T : 01 43 13 50 50.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...