Until the Lions

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Until the Lions, scénario de Karthika Naïr, chorégraphie d’Akram Khan

 

Hors scène, un être aux allures félines rôde dans les brumes puis se risque sur une plate-forme circulaire, coupe d’un tronc d’arbre gigantesque, dévoilant ses  anneaux de croissance.
Avec un public disposé autour de cette vaste piste. De longs bâtons, minces comme des lances, sont fichés dans le sol, où gît une tête humaine coupée. La créature rampe et se contorsionne sur une musique planante, présence androgyne, interprétée par Christine Joy Ritter.
Elle sera chassée par l’arrivée d’Akram Kahn, portant sur son épaule, telle une jeune épousée, la frêle Ching-­Ying Chien. Epiés puis rejoints par un mystérieux personnage, esprit de la forêt, double de la jeune fille ? Ils se lancent dans un duo, fait de courses-poursuites sauvages,  mouvements qui claquent, élans brisés et étreintes interrompues,  au rythme des tambours des chanteurs-musiciens, ou par une romance à la guitare.
A deux ou à trois, les danseurs, munis de leur lances de bambou qui volent, vont bientôt s’affronter en combats tumultueux mais savamment réglés, ou frappent la terre qui s’ouvre sous  leur coups titanesques… Les éclairages de Michael Hulls, qui tombent en couronne depuis le haut de la grande halle de la Villette, magnifient et dramatisent l’action et l’espace scénique de Tim Yip. 

 La chorégraphie de ce spectacle, créé au Royaume-Uni en novembre, raconte l’histoire de la princesse Amba. Le chorégraphe anglais, d’origine bangladaise, revient aux sources: le Mahâbhârata de son enfance, où, dans un univers magique, héros et dieux se côtoient dans des aventures pleines d’amour, de bruit et de fureur.
   Akram Khan avait, à quatorze ans, obtenu son premier rôle dans cette saga indienne, adaptée par Peter Brook. Il maîtrisait déjà l’art de la danse kathak à laquelle il a été formé, à sept ans, par le grand danseur Sri Pratap Pawar. Le temps a passé et son style enrichi par la danse contemporaine occidentale, notamment  auprès d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, s’est épanoui, et il est devenu une des étoiles de la danse actuelle. Comme dans l’inoubliable duo  Zero degrees (2005), avec Sidi Larbi Cherkaoui, et plus récemment dans ses pas de deux, avec Israel Galvan ( Voir Le Théâtre du Blog) …

 

Des innombrables épisodes du Mahâbhârata, Akram Khan a retenu l’histoire d’Amba, une héroïne ambigüe : «Dans ces contes passionnants, les personnages qui n’ont cessé d’habiter mes souvenirs, sont féminins. Comme dans beaucoup de mythes, ce sont souvent des  femmes incomprises. (…) D’après moi, Amba, héroïne méconnue  est aussi un métamorphe,  puisque son corps se transforme en corps masculin ». Le chorégraphe emprunte son schéma narratif au roman de Karthika Naïr, Until the Lions : Echoes from the Mahâbhârata. La princesse Amba aime Shalva mais est enlevée par le prince Bheeshma. Comme  il a fait vœu de chasteté, il repousse ses avances. Que va devenir la jeune fille ? Rejetée, elle se vengera, mue par une force supranaturelle et l’aide de Shiva. Pour cela, elle se réincarne en homme. Mais Bheeshama la reconnait, et se laisse tuer par elle . 

« Je souhaite explorer la notion des sexes. (…)  J’ai toujours eu peur d’approfondir les problèmes relatifs au genre, surtout à cause de mon éducation. Cependant, ces thématiques demeurent présentes dans notre vie intime. (…) La danse nous permet ces questionnements. » Mais ici, la question du genre n’est évoquée qu’en filigrane. On retiendra surtout ici un spectacle flamboyant de sensibilité et de beauté. Ici, la chorégraphie mêle gestuelle traditionnelle et contemporaine, nuancée par des interprètes d’exception.

Narrative, comme la danse indienne, l’action est répétée à l’envi : enlèvement, duo amoureux, le rejet, vengeance, et mise à mort sont joués et rejoués avec d’infimes variations, en parfaite corrélation avec la musique originale de Vincenzo Lamagna, accompagnée des percussions et voix de Sohini Alam, David Azurza, Yaron Engler. Jusqu’à l’image finale, saisissante. Un vrai bonheur.
Le titre Until the lions renvoie à un proverbe du peuple Ugbo (Nigéria) : «Tant que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur ».  Proverbe qui pourrait aussi bien s’appliquer aux personnages féminins…

Mireille Davidovici

Grande Halle de la  Villette, programmé avec  le Théâtre de la Ville, jusqu’au 17 décembre.

Et les 20 et 21 janvier, à Luxembourg ; le 16 février à Angers ; les 21 et 22 février, au Théâtre de Sète; les 26 et 27 février, au Quartz de Brest; les 3 et 4 mars, à Reims.

 Until the Lions est publié aux éditions Harper Collins India, 2015/Arc Publications – UK, 2016 

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Archive pour 7 décembre, 2016

Les Émigrés de Slawomir Mrozek

Les Émigrés de Slavomir Mrozek traduction de Gabriel Meretik, mise en scène d’Imer Kutllovci

 

les-c3a9migrc3a9s-13pascal-gc3a9ly-rc3a9duitL’auteur  polonais (1929-2013) développe à sa façon un théâtre de l’absurde. Mais, à l’origine du non-sens existentiel, la fatalité est ici sociale et intellectuelle, plutôt que métaphysique ou psychologique.

Et cette pièce (1970), mise en scène par l’homme de théâtre albanais Imer Kutllovci, oppose l’intellectuel au rustre, et plus généralement, l’hypocrisie à la violence, le civilisé au barbare, la belle idée à la vie vécue, ou encore l’humanité à la bestialité.  Cela se déroule dans l’inamovible d’une existence subie et les deux  hommes ne réussissent jamais à sortir de leur condition, même quand ils résistent, en luttant pied à pied contre un quotidien dégradant, et qu’ils multiplient les tentatives, tout aussi désordonnées que malhabiles, pour réagir contre un destin personnel qui s’annonce odieux.

Ils créent, à travers la dialectique de leurs échanges verbaux – économie de la parole, ironie, sous-entendus, non-dits et sarcasmes à peine voilés – un long suspense tenace. Jamais à court d’initiatives, propices  à un  rire salvateur qui casse les tensions et apaise l’émotion. L’ouvrier ment, pour garder l’équilibre contre la grisaille des jours, et se vante de ses prétendues virées joyeuses à la Gare centrale. Et l’intellectuel, lui, lecteur désenchanté qui ne prend pas l’air et ne se change guère les idées, l’arrête dans son envol pour restituer brutalement la vérité, réduisant son «colocataire» à un mystificateur, en mal de fantasmes : « Si tu aimes aller à la gare, c’est que tu es là-bas un étranger parmi d’autres, alors que, dans la rue, tous te reconnaissent comme l’étranger qui dépareille trop. »

De son côté, l’intellectuel trompe non son partenaire mais  lui-même, et refuse d’admettre qu’il n’écrira sans doute pas le livre qu’il prétend rédiger dans une totale liberté, d’abord longuement rêvée, puis enfin conquise. Mais la vraie liberté est bien ce qui manque à l’un comme à l’autre, même s’ils se sont échappés tous deux de l’enfermement de leur propre pays pour accéder à une autre, symbolique mais pas intérieure. Sans le sou, ils gagnent pauvrement leur vie, en accumulant les heures de travail!

Sont aussi évoqués dans cette pièce, l’idée aléatoire et contestable du progrès, et les régimes opposés de l’Est et de l’Ouest, selon l’endroit d’où l’on part et celui où on arrive. Le dissident politique dit au travailleur manuel que leur pays, de l’autre côté d’un mur alors non encore  tombé, possède bon nombre de casernes et de soldats.

Ce théâtre, entre comique et tragique, se mesure à l’aune des problèmes de notre temps et flirte avec  la désillusion. Mais Slavomir Mrozek ne savait pas que le thème de sa pièce dépasserait les blocs politiques de son époque, et toucherait à une dimension universelle avec une question très ancienne celle des migrants, réfugiés politiques et/ou économiques… qui s’avère de plus en plus brûlante. Excellents acteurs, le bosniaque Mirza Hlilovic et le russe Grigori Manoukov, sont attentifs à l’écriture et à la pensée rigoureuse de Slavomir Mrozek, et incarnent bien ces émigrés, frères d’infortune, vivent, couchés sur des matelas de misère dans une pièce basse de plafond , entre tuyaux d’eau et bouches d’aération, dans des conditions très difficiles.

L’ouvrier, lui, a le verbe haut et un corps libre, malgré ses chaussures de ville qui le font souffrir,  et a une humilité intuitive, face à la supériorité de classe de son interlocuteur. Il s’accapare d’un lieu pour mieux le comprendre et l’investir, et le fait qu’il n’y ait pas ici la moindre trace de mouche, l’offusque. Chez lui, à la campagne, toute vie allait, bon an mal an, entre mouches et attrape-mouches…
Grigori Manoukov, lui incarne un être méditatif et douloureux,  qui avoue parfois  être  un « salaud » et un délateur, utilisé à des fins politiques. Ce que l’ouvrier, n’est pas, lui, juste soucieux du bien-être de sa femme et de ses enfants restés dans son pays.
Mais tous deux ont besoin l’un de l’autre pour se sentir exister, et n’ont aucune condescendance entre eux: chacun va loin dans l’exploration existentielle. Rires, provocations, coups physiques et humiliations, regrets et pardons : un duel, aussi fort que délicat… entre boîtes de conserves et bouteille de vodka !

 Véronique Hotte

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris,  jusqu’au 23 décembre, et les 28 et 29 décembre. T : 01 40 05 06 96.

Le texte de la pièce est publié chez l’Arche Éditeur.

 

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