Hommage à Didier-Georges Gabily
Hommage à Didier-Georges Gabily :
« Un des artisans les plus aigus et les plus exigeants de notre temps », disait de lui le grand critique Bernard Dort, son ami.
« Ecrire – le mouvement d’écrire, c’est-à-dire aussi l’art d’écrire ; c’est-à-dire, encore plus, l’artisanat, le labeur à l’œuvre – était tout, demeure tout pour moi, et par-dessus ce tout l’ange du doute -quand ce n’était pas le démon -souriait (sourit encore) doucement- le démon, lui, ricanait : une grimace ; ricane encore, et la grimace ne cesse de s’accentuer, monstrueuse, jusqu’à disparaître.(…) », écrivait-il dans Corps du délit (Les Cahiers de Prospéro, février 1996), peu avant de disparaître. « Un champ de bataille » ou de durs « labours », un travail acharné, avec le sentiment d’une infinie incomplétude.
La mort l’a fauché en plein cœur, en plein élan, il y a vingt ans. Il avait quarante-et-un an. Il laisse une œuvre touffue, baroque, qui reste à redécouvrir, où le trivial côtoie le poétique, à la fois glorieuse et détruite. Théâtre, roman, ses textes abolissent les frontières. En marge, son journal (A tout va) et ses notes de travail, aujourd’hui publiés, sont tout aussi marqués par une boulimie verbale, un inlassable creusement de la matière langagière, un ressassement.
« Une parole préclassique, écholalie et bégayement, dans ce qui ne peut plus s’annoncer dans l’évidence de l’hymne », insiste Eugène Durif, présent lors de cet hommage à Didier-Georges Gabily, parmi d’autres témoins ( écrivains, éditeurs, comédiens, directeurs de théâtre) qui réunis par Bruno Tackels, un compagnon de route de longue date, évoquèrent “ l’homme de lettres “,
La manifestation a rassemblé, pendant trois jours, un public nombreux et mélangé, ceux qui l’ont connu aussi bien que des jeunes avides de le connaître. Des lectures et des mises en espace, des films et des photos, des débats et des ateliers ont fait revivre, le temps d’un week-end, un artiste qui n’a pas eu l’écho mérité de son vivant. « Un poète qui va du côté du plateau et de la production, personne n’a envie d’entendre ça », explique Jean-Paul Wenzel qui a accueilli le metteur en scène et le groupe T’chan‘G en résidence de création au Centre dramatique de Montluçon.
On doit ces rencontres à certains du groupe T’chan’G, cet atelier de recherche théâtral qui fut son terrain de jeu expérimental de 1986 à 1996. « Je(u) ensemble», comme il disait. Mêlés à d’autres acteurs, ils ont rejoués ses pièces : Violences, Gibier du Temps, Scarron et fait « émerger les voix, rageuses, jacquetantes, inouïes» du roman L’Au delà . Muriel Vernet a donné une belle performance d’Ange, Art Agonie avec une danseuse; Anne Alvaro et Pascal Bongard ont tenu le public en haleine avec Dernière Charrette, une imprécation calme : la plainte poignante d’une carriole philosophe qu’on met au rebut : « la plainte est le chant commun des esclaves ».
Moment festif, Je ne raconterai pas forcement pourquoi je suis descendu dans la cave du Père Lachaise orchestre les paroles de “ la bande à Gabily “ à propos de leur travail théâtral collectif.
Il s’en dégage une manière de diriger les acteurs, procurant un sentiment de sécurité et d’insécurité: « Il arrivait à te mettre à l’endroit où il n’y avait qu’à dire. Là, on habitait le plateau » ; « Ça dansotte, ça dansotte, comme une chose qui ne s‘affirme jamais, qui reste dans le tremblement » ; « Didier il nous attend, il nous prolonge, être dans le bonheur du déséquilibre » ; « C’est un goinfre, il est un peu gargantuesque. Généreux et bouffeur et, en même temps, il te porte (…) il t’emmène à l’endroit où tu peux avoir ton essence » .
A travers leurs dires, et leurs anecdotes, on entrevoit un chef charismatique qui a marqué une génération de comédiens comme Nicolas Bouchaud, Serge Tranvouez. Alexandra Scivluna, Jean-François Sivadier… Il développait une technique de mise en scène : « Le “tiers inclus“, c’était obsessionnel, le regard d’un autre fait espace, triangulation » ; « Ce qui m’a impressionnée, c’était les fulgurances, il organisait le plateau, comme un peintre. Tu comprends que ça naissait du plateau.» ; « Didier, c’était des puits ou des cratères, avec des éruptions (…). Une voix d’enfer, une chose de la douleur de vivre.(…). Il cherchait (…). Il visait haut par rapport à ce qu’il voulait atteindre du champ de l’humain. »
Espérons que ces quelques jours porteront leurs fruits, qu’on reverra bientôt sur nos plateaux du Didier-Georges Gabily, et qu’il connaîtra enfin, à l’instar d’un Jean-Luc Lagarce, la reconnaissance qui lui revient. En attendant, on peut le lire, publié chez Acte Sud et Acte Sud-Papiers : la librairie qui vendait ses livres a été prise d’assaut.
Mireille Davidovici
Au Monfort, du 12 au 14 novembre 2016