Amphitryon de Molière, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

Amphitryon de Molière, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

 

amphitryonÊtre ou ne pas être soi, telle est la question. Sosie, assommé de coups de bâton par un Mercure très terrestre protégeant les amours de Jupiter, saura résister. Envers et contre tout, vertige existentiel, côtes froissées et ecchymoses, faim lui tenaillant le ventre devant la porte fermée de son patron : oui, je suis, j’existe, dirait Descartes en personne. Il plie devant plus fort que lui, mais se redresse dès qu’il le peut. Petite consolation : ce trouble profond d’être deux «moi», tout en restant obstinément soi-même, va saisir à son tour Amphitryon, si prompt à lever le bâton devant les explications inexplicables de son valet. Comme dit ailleurs Molière : « Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas ». 

La pièce, fusée à plusieurs étages, commence par une féérie à l’antique, un dialogue entre Mercure et le Nuit, continue dans la farce et les coups de bâton puis l’idylle amoureuse, et enfin dans le quiproquo qui constitue l’armature de la pièce : Jupiter n’a pu séduire Alcmène que sous les traits de son époux, mais quand celui-ci revient de guerre, il se trouve trompé… par lui-même. Et cela finit avec un Sosie qui préfigure Figaro : «Le véritable Amphitryon est celui qui donne à dîner », seule justification pour que le valet lui consacre sa force de travail. Les dieux en prennent pour leur grade : des brutes qui abusent de leur pouvoir, et c’est tout.  Et, à la fin, le metteur en scène ne les fait pas remonter au ciel des cintres, mais descendre dans les dessous !

Guy-Pierre Couleau traite avec jubilation tous ces étages de la comédie. Chaque  acteur joue sa partie avec générosité. On frise une folie à la Tex Avery avec chaque détail maîtrisé au millimètre. Il faut voir comment circulent les objets (et il y en a peu sur le plateau) dans une logique poussée jusqu’à l’absurde. Un savoureux détail de jeu parmi d’autres : le “vrai“ Amphitryon (François Rabette)-mais où est le vrai ?- est un poil plus raide, bref, un peu plus mari  que son double Jupiter (Nils Ôhlund), qui est,  lui, un peu plus amant.

Clémentine Verdier, en Alcmène tout juste mariée (ce qui expliquerait son appétit pas trop regardant pour son prestigieux mari), se montre exquise jeune première, tendre, amoureuse, puis furie, en épouse injustement soupçonnée. Chacun des rôles est dessiné avec la même précision, le même humour : Jessica Vedel joue la Nuit en dominatrice de sex-shop à deux sous  puis un général à la Tintin. Isabelle Cagnat donne à Cléanthis, la femme fidèle malgré elle de Sosie,  le feu de la vengeance et de la dignité offensée,  en double plus mûr et plus comique (comme il se doit) de sa maîtresse. Et Kristof Langromme donne à Mercure toute sa brutalité, grognon, peu enthousiaste  à servir Jupiter : n’est-il pas un dieu comme lui ?

Le pompon revient à Luc-Antoine Diquéro en Sosie. Un perdant magnifique, un “lâche“ qui se connaît, qui plie et ne rompt pas. Un philosophe des rues, puisqu’on ne le laisse pas entrer dans la maison, un héros de la faim qui rejoint les plus grands burlesques américains. Et présent partout, sans une seconde de relâche, dans la jubilation d’un jeu  parfaitement huilé, et toujours surprenant.

Ajoutons ce par quoi le spectacle commence : une magnifique mise en scène du ciel, avec lunes et planètes, telles qu’on les imaginait du temps de Descartes, au-dessus d’un tréteau à tout faire : le feu d’artifice peut commencer.

 Il ne faut à aucun prix manquer les dernières dates de  cet Amphitryon en fin de tournée .

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre 71 à Malakoff le 3 décembre.

Théâtre des Célestins à Lyon, du 17 au 28 janvier.
Théâtre de Bagneux, le 22 mars et au Bateau Feu de Dunkerque, les 10 et 11 mai.

 

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