Le Petit-Maître corrigé
Le Petit-Maître corrigé, comédie en trois actes et en prose de Marivaux, mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Administrateur de la Comédie-Française, Éric Ruf évoque à propos de cette pièce, la «vieille bataille Paris-Province que tous les changements de nom ou d’appellation territoriale ne sauraient faire cesser», et ceci, à travers l’épreuve de jeunes Parisiens, sommés de rabaisser leur arrogance, face à la franchise des sentiments non étudiés de jeunes beautés provinciales. Après la cabale orchestrée par Crébillon, et surtout à cause de sa modernité incomprise, la pièce ne sera jouée que deux fois à la Comédie-Française, puis les représentations seront annulées en 1734.
«Sobriété de l’intrigue et densité des répliques apparemment les plus simples selon Henri Coulet et Michel Gilot : Hortense aime Rosimond et en est aimée. Ce petit-maître est un jeune homme prétentieux et désinvolte (un personnage alors à la mode, au théâtre) que la jeune fille prend plaisir à éprouver, en feignant d’être attirée par Dorante.
Mais Dorimène, une dame légère, courtise Rosimond. Les parents assistent impuissants au manège des amoureux sur le point de rompre. Mais Frontin, le valet de Rosimond, et Marton, la suivante d’Hortense, arrangeront tout. Dorimène, Rosimond et Dorante recréent entre eux les jeux amoureux, précieux et libertins des courtisans et des fats de la capitale, sous les yeux médusés d’Hortense, Marton et Frontin. Ce valet et cette femme de chambre, amoureux l’un de l’autre, sont souverainement plus proches et plus libres. Ils mènent la danse, révélant les états d’âme et initient l’action.
Eric Ruf a conçu une scénographie inattendue ici: des dunes avec des touffes d’herbes ondulantes et de joncs, entre lesquelles les dames en belle robe et les messieurs en habit de ville doivent se frayer un chemin difficile…Cet espace sauvage aux nuances vertes et jaunes, dégagerait presque un parfum de campagne. Le public a même droit au son du vol d’insectes estivaux. Un rappel pictural des Coquelicots de Claude Monet-sans les coquelicots-mais avec promenade, herbes mouvantes, ciel bleu et nuages blancs inspirés de Constable. Cette nature piquante reflète la qualité des personnes vivant à la campagne : intuition, liberté de parole et de corps, loin des faux-semblants, masques et jeux parisiens artificiels.
Adeline d’Hermy (Manon) joue l’espièglerie et la facétie souriantes, fidèle à sa maîtresse (Claire de la Rüe du Can) qui affiche à la fois réserve et détermination. Elle court et chute avec plaisir dans les herbes en compagnie de son Frontin qui est prêt à abandonner ses accents du «bel air», prononçant «Péris» pour Paris. Christophe Montenez interprète avec justesse ce Frontin aux vrais sentiments, qui tente de rallier son maître à ses vues. Florence Viala est une Dorimène, citadine aux airs fanfarons. Pierre Hancisse, en Dorante, l’ami de Dorimond, joue de ses avantages, tout en raisonnant. Quant à Dominique Blanc et Didier Sandre, ils sont une marquise et un comte parfaits. Rosimond se conforme au «monde», à son opinion, à ses préjugés, mais ce petit-maître, incertain et précieux, sera corrigé par les deux beautés régionales. Loïc Corbery le joue à merveille, pouffant de rire et fuyant avant d’«être».
Ce spectacle, dans la mise en scène revigorante de Clément Hervieu-Léger, emporte le public dans l’imaginaire de tous les printemps.
Véronique Hotte
Comédie-Française, Salle Richelieu, Place Colette, Paris 1er (en alternance jusqu’au 26 avril).T : 01 44 58 15 15.
Le texte de la pièce est publié dans Marivaux (Folio Théâtre) aux éditions Gallimard
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